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Sans le nucléaire on s’éclairerait à la bougie

vendredi 28 mai 2010

Alors que les libéraux se font les chantres d’un débat équilibré concernant l’écologie, tentant humblement d’offrir aux thèses modérées l’écho qu’elles ne trouvent guère dans un paysage médiatique souvent avide de spectaculaire et d’alarmisme, il semblait important de s’attarder sur le dernier essai de Corinne Lepage et Jean-François Bouvet. Celui-ci constitue en effet une contribution des écologistes à ce débat que nous ne cessons d’encourager contre les appels à la censure, et mérite de fait une réponse qui ne restera ici que parcellaire, format oblige.

Une nouvelle contribution à un débat plus serein ?

Prenant le contrepied de nombreux ouvrages écolo-sceptiques (L’écologiste sceptique de Bjørn Lomborg, C’est trop tard pour la Terre, de Cécile Philippe, ou plus récemment le très médiatique L’imposture écologique de Claude Allègre), Sans le nucléaire on s’éclairerait à la bougie et autres tartes à la crème du discours techno-scientifique s’attache à démystifier maximes et aphorismes des divers contradicteurs de l’écologie politique, désignés pour l’occasion comme les tenants de ce que les auteurs nomment les « technosciences ». Sous ce vocable péjoratif, ils brocardent ce qu’ils considèrent comme un mouvement récent de confusion entre science et technique, dans la soumission aux impératifs du marché, aux lobbies industriels et aux intérêts privés. Un rapide coup d’œil à la bibliographie nous apprendra d’ailleurs qu’est éligible au titre de « techno-scientifique » toute personnalité ayant publiquement remis en cause les cris d’alerte des écologistes, de Vincent Courtillot à Luc Ferry !

Se réclamant du Dictonnaire des idées reçues de Flaubert, le livre se découpe en une vingtaine de courts chapitres, dont chacun vise à dénoncer une erreur, une approximation ou une exagération prêtée aux écolo-sceptiques. Il n’est cependant pas dépourvu de ces pailles qu’il entend déceler dans l’œil de son voisin. Celles-ci peuvent être agrégées en quelques grandes catégories, que nous nous attacherons ici à présenter sommairement.

La chasse aux évidences

Reconnaissons tout d’abord à cet ouvrage un certain bon sens quand il nous rappelle à quelques réalités désormais largement reconnues. Ainsi M. Bouvet ne prend-il guère de risque en relayant la déconfiture des biocarburants, dont la mode devait beaucoup aux préoccupations vertes, et qui n’ont pas toujours inspiré que de la méfiance dans les milieux environnementalistes.
En revanche, un problème se pose dès lors que ces évidences sont présentées par les auteurs comme rejetées par la masse de leurs adversaires. Ainsi, le fameux chapitre sur le nucléaire et la bougie s’évertue juste à nous "rappeler" que la plupart des pays produisent leur électricité avec une part de nucléaire bien moindre que la France. Quand ils admettent que les alternatives sont le pétrole, le charbon et l’hydroélectricité, qui présentent tous de lourds inconvénients environnementaux, et quand ils mentionnent que les « énergies propres » (éolien et solaire) sont pour l’instant trop coûteuses et peu productives pour subvenir à nos besoins, leur essor technologique étant encourageant mais pour l’avenir, ils ne font que reprendre mot pour mot le discours des « techno-scientifiques » en faisant mine de le contredire.
Certes quelques exaltés, poussés par un animateur sur un plateau télé ou cherchant à marquer les esprits par une formule choc, se sont livrés à de grossières exagérations telles que « sans le nucléaire on s’éclairerait à la bougie » ; certes se borner à corriger ces exagérations serait tout à fait louable dans l’optique d’un débat serein et intelligent ; certes s’en servir pour discréditer leurs opposants serait après tout de bonne guerre ; mais voyons si M. Bouvet et Mme Lepage ne se prennent pas à leur propre jeu en versant eux-mêmes dans les exagérations qu’ils prétendent dénoncer.

Beaucoup de bruit pour rien

Sans réelle malhonnêteté, certains chapitres ne font tout simplement pas mouche par manque de contenu polémique. Le ton querelleur y cache mal une absence d’arguments solides.
Par exemple, un chapitre, visant à discréditer certains avis émis par les académies des sciences ne parvient finalement qu’à exhiber les désaccords des scientifiques avec le dogme écologiste du principe de précaution.
En dehors de l’exemple très réchauffé de l’amiante, dont les rapports de l’académie de médecine auraient sous-estimé l’impact en nombre de victimes, l’ensemble du chapitre repose sur l’étonnement de Mme Lepage à ne pas voir cette assemblée abonder dans le sens des rapports les plus alarmistes concernant les ondes électromagnétiques ou les OGM. L’institution se voit reprocher de ne pas appliquer le serment d’Hippocrate, quand elle souligne que le stress supplémentaire dû à des mesures s’inspirant trop du principe de précaution est aussi à prendre en compte dans la balance des avantages et des inconvénients.
Ces prises de position sont dénoncées comme ayant subi des échecs patents, alors qu’à l’heure actuelle, nul effet nocif sur la santé des ondes électromagnétiques n’a pu être mis en évidence de façon probante (un tout récent rapport de l’OMS vient d’ailleurs d’enfoncer le clou).
Sans plus de précision concernant l’ampleur du phénomène ou les conséquences qu’elle lui prête, elle dénonce que des personnalités autres que des médecins stricto sensu peuvent participer à l’académie. Cela ne vous rappelle-t-il pas un certain GIEC ? On n’imagine pourtant mal Mme Lepage le remettre en cause pour si peu.
À bout de souffle, l’argumentaire se rabat finalement sur de l’ad hominem bien alambiqué, dont le livre est d’ailleurs truffé, dans la plus pure tradition complotiste du "A a fréquenté B, qui était le cousin de C, qui n’a jamais caché sa sympathie pour D, qu’on sait tous être secrètement trempé dans l’affaire X". Un des six rédacteurs d’un rapport sur les ondes de l’académie de médecine, trop rassurant au goût de Mme Lepage, aurait donc un jour siégé dans un conseil financé en partie par des fonds privés et comptant parmi ses membres des représentants des opérateurs de téléphonie mobile. C’est apparemment le plus lourd dossier qu’elle ait trouvé pour discréditer les conclusions de l’institution... Terrifiant n’est-ce pas ? C’est qu’il s’agit de ne pas la discréditer trop fort non plus. Gageons en effet que les auteurs répercuteront à grand bruit toute conclusion en émanant, pour peu qu’elle aille même vaguement dans le sens de leurs pré-conceptions.

Querelles d’expert : l’idéologie pour juge

Le procédé le plus couramment employé dans cet ouvrage consiste à laisser la thèse des auteurs trancher la discussion entre experts du domaine concerné.
Ainsi, dans le chapitre « Manger bio n’offre aucun avantage nutritionnel », Mme Lepage commence par nous présenter deux synthèses sur le sujet – l’une de l’agence britannique de sécurité alimentaire FSA et l’autre de l’Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments (AFFSA) – concluant que les différences nutritionnelles entre agricultures biologique et traditionnelle ne sont pas significatives. Puis, elle nous instruit d’une autre étude (commanditée par la Commission européenne : QLIF) et d’un rapport (d’un certain Denis Lairon, pourtant coordinateur du rapport de l’AFSSA épinglé par l’auteure), qui penchent à l’inverse en faveur du bio. Deux points partout, balle au centre ? Non, Mme Lepage se contente de conclure sans s’y attarder qu’il n’y a qu’aux résultats allant dans son sens qu’il faut accorder du crédit.
De manière assez pratique, elle oublie au passage de citer d’autres études n’allant pas dans son sens. Mais il ne fait nul doute qu’elle aurait su démontrer qu’au moins un des collaborateurs de chacun de ces travaux avait, un jour ou l’autre, établi un contact quelconque avec l’industrie alimentaire.
Bien sûr ce n’est pas le seul domaine sur lequel, en à peine 120 pages, les auteurs prétendent trancher des débats qui agitent les communautés scientifiques depuis des décennies. On citera pêle-mêle, le réchauffement climatique, les ondes, les OGM…

Le "y’a qu’à, faut qu’on"

L’écologie politique aime à concurrencer le socialisme dans un utopisme tout aussi dangereux que naïf. Ainsi M. Bouvet nous explique-t-il, dans le chapitre « Sans les OGM, la planète va mourir de faim », que la surproduction globale fait que 50% des produits agricoles actuellement produits ne sont jamais consommés. La nutrition des affamés actuels comme des générations futures est donc présentée comme un simple problème de répartition. Du coup, pas besoin d’investir dans de nouvelles techniques pour améliorer nos productivités.
On remarque au passage qu’il n’a pas un mot contre les subventions colossales (entre autres la PAC européenne et le Farm Bill américain) à l’origine de la surproduction et des gaspillages en question, ainsi que de perturbations dans les cours des matières premières et des terrains.
Malgré cela, on se prend à espérer profondément que M. Bouvet, en versant comme de coutume du rouge dans son vert, ait enfin trouvé la fameuse solution au problème de la répartition idéale des biens de consommation dans la société humaine, celle-là même après laquelle les divers communismes ont si innocemment passé le dernier siècle à courir. Puis à la réflexion, on ne peut s’empêcher de se demander si ses expériences en la matière seront réellement préférables à une contamination massive et irréversible de nos cultures par des OGM, fussent-ils toxiques. En attendant l’avènement du rêve socialiste de M. Bouvet (ou le retour de nos cauchemars dirigistes), doit-on vraiment s’abstenir de laisser libre cours à l’évolution de technologies à même de rendre plus productives et moins coûteuses les industries qui assurent le plus directement notre survie ?

La manipulation

Surtout ne vous y trompez pas, quand notre ex-ministre dénonce ardemment manipulations statistiques et désinformation, elle en parle en expertise de cause.
Quand Mme Lepage clame que le dernier rapport de l’AFSSET en appelle à la méfiance vis à vis des effets sanitaires des ondes électromagnétiques, n’oubliez pas que celui-ci admet surtout qu’après examen de milliers d’études, rien de probant ne vient appuyer la thèse d’un quelconque risque. Il conclut clairement que les dangers mis en lumière restent toujours potentiels, et que leur conseil de prudence est donc aussi fondé qu’un proverbe de grand-mère, leur permettant, outre une conclusion ouverte digne des plus belles dissertations lycéennes, d’esquiver toute retombée négative en cas de retournement d’opinion.
Et quand elle nous explique que 19 études de l’OMS sur 23 montrent une augmentation des cancers et leucémies en cas d’exposition professionnelle aux EMF, elle oublie soigneusement de nous prévenir que, à partir d’une base de données stockant des milliers d’études, elle a laborieusement épluché une à une les valeurs des nombreux critères de recherche pour enfin trouver la bonne série (exposition professionnelle, année 2004, etc.), celle qui présentera l’échantillon à la fois le plus alarmiste et le moins représentatif. Elle ne précise pas que certaines études récentes révèlent une tendance aux cancers moindre chez les usagers de téléphones portables par rapport aux non-usagers. Elle n’évoque pas non plus les milliers d’études qui ne constatent aucun lien, ni les conclusions de l’OMS découlant de la synthèse de ces innombrables recherches sur la dangerosité des ondes électromagnétiques : « Compte tenu des très faibles niveaux d’exposition et des résultats des travaux de recherche obtenus à ce jour, il n’existe aucun élément scientifique probant confirmant d’éventuels effets nocifs des stations de base et des réseaux sans fil pour la santé. »
Après tout, savoir présenter les statistiques dans le sens le plus pratique, n’est-ce pas la base de la propagande politique ?

Au temps pour le débat

Passons rapidement sur les poncifs de l’anti-humanisme vert auxquels cet ouvrage n’échappe malheureusement pas (« La vie a finalement engendré... le meilleur ennemi de la vie », p.85) ou sur cette habituelle prétention à la détention exclusive de la vérité (voir l’édifiant dernier chapitre sur « nos sociétés (...) à la fois surinformées, sous-informées et désinformées » et sur « ce livre [qui] a simplement pour objet de participer à la prise de conscience (...), de promouvoir la capacité de décryptage des réalités », etc.) ; les quelques exemples évoqués ici auront achevé de nous en convaincre, notre espérance initiale d’une nouvelle étape en direction d’un débat plus raisonnable débouche sur une déconvenue magistrale.
Certes certains chapitres constituent d’intéressants rappels pour notre culture générale. C’est le cas par exemple de celui concernant les déchets nucléaires, ou encore celui consacré au principe de précaution (le lecteur sourira néanmoins de la naïveté désarmante de ces braves écologistes, tout surpris que leur beau principe, initialement presque raisonnable, ait été défiguré par l’épreuve de l’instrumentalisation politique ; peut-être même s’esclaffera-t-il franchement quand les mêmes écologistes s’acharneront à ne blâmer en la matière que « les grosses multinationales »). Certes le titre racoleur, les noms sur la couverture et le hideux orange criard de la pochette ne nous promettaient rien de bien fameux. On se surprend néanmoins à ressentir une certaine déception à la lecture de ce brulot, déplorant que les proses réunies d’une ancienne ministre et d’un docteur en sciences n’offrent globalement pas plus de résistance au moindre exercice de pensée critique. Tant pis pour le débat, il reste toujours les tartes à la crème.

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