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Quel avenir pour les communes françaises en Europe ?

jeudi 3 avril 2008

Les comparaisons européennes sont hasardeuses, des typologies communales en Europe ont été réalisées, mais le choix des critères de classement est difficile tant les différences sont nombreuses. Toute typologie devient impossible s’il est tenu compte, à la fois, des compétences, des ressources financières, des formes du gouvernement local, des rapports avec les autres niveaux d’administration territoriale, avec les acteurs locaux, entreprises et tiers secteur, avec l’Etat, du lien des administrés avec les élus, ...

Historique

Notre système communal tire son origine du Moyen Age, mais la révolution française en fera un système général et homogène, avec les décrets des 14 et 22 décembre 1789 - La commune aura un régime unique et électif. Ainsi ce sont 44 000 communes qui sont créées, chacune est une unité de base, un lieu de regroupement de population élémentaire. Par exemple, le territoire d’une paroisse sera déclaré commune, il en sera ainsi en Bretagne. Les "plou" (les paroisses) donneront naissance aux communes de Ploudalmezeau, Plaurin .... A partir de l’an VIII commence une longue période de centralisation et de confiscation démocratique. La commune retrouve un statut de collectivité territoriale avec la loi du 5 avril 1884, mais elle restera cependant soumise à la tutelle de l’Etat. Celle-ci sera supprimée avec la loi du 2 mars 1982.

Si les modalités de gestion des communes ont évolué, toutes les réformes pour en diminuer le nombre ont échoué. Des 44 000 communes de 1789, il en reste plus de 36 000. Déjà en l’an III un éphémère conseil cantonal avait été instauré. Depuis, aucune des tentatives de regroupement n’a réussi. Dans les années 1960 et 1970, les préfets ont bien fait fusionner 400 communes, mais elles ont souvent retrouvé leur autonomie par "diffusion". Après tant d’efforts et si peu de résultats, est-il encore opportun d’aborder ce sujet ? oui et non parce que le débat s’est déplacé de la fusion des communes vers celui de l’intercommunalité.

La montée de l’intercommunalité

Depuis une dizaine d’années, une modification du pouvoir local, avec la montée en puissance de l’intercommunalité, est en cours. Cela se traduit par un transfert des compétences des communes vers des organismes de coopération intercommunaux. Dans ce contexte, se pose la question du devenir des communes.

Avec le développement de l’intercommunalité nous sommes dans une situation paradoxale d’un point de vue juridique et financier. D’un point de vue juridique, la commune a le statut de collectivité territoriale, ce qui veut dire qu’elle une compétence générale de gestion de son territoire sauf exceptions prévues par la loi. Les organismes de coopération intercommunaux sont des établissements publics, plus précisément des EPCI (Etablissement Public de Coopération Intercommunale), ils ont donc des compétences spécialisées, déléguées par les communes et définies par leurs statuts. La multiplication des compétences déléguées conduit à donner, dans les faits, une compétence générale aux EPCI et à spécialiser les compétences des communes. Ce paradoxe est renforcé par l’accroissement du pouvoir financier et économique des EPCI , qui ont des compétences fiscales accrues (en particulier par la maîtrise de la taxe professionnelle), qui bénéficient de bonifications des dotations de l’Etat, qui ont des pouvoirs d’aménagement et d’intervention économique, de maîtrise des services publics, eau, assainissement, transports, électricité, qui ont acquis des compétences en matière d’urbanisme, de voirie, d’équipements ... Le pouvoir juridique des communes est délégué et leur pouvoir économique et financier s’amenuise d’autant. Cette contradiction entre le virtuel et le réel s’accélère depuis la mise en application de la loi du 12 juillet 1999, qui fait quasiment obligation aux communes de se regrouper dans des EPCI à fiscalité propre à travers des communautés de communes, des communautés d’agglomération ou des communautés urbaines. Progressivement les anciens syndicats de communes vont se fondre dans les nouvelles structures ou auront un rôle strictement limité. En 1999, 20 000 communes étaient regroupées dans un EPCI contre 5 000 en 1993, 17 000 communes appartenaient à un EPCI à fiscalité propre en 1999 contre 466 en 1993.

La diminution du nombre de communes est-elle un danger pour la démocratie locale ?

En simplifiant, le seul argument qui reste pour le maintien de nos 36 000 communes est celui, de la proximité des élus avec les administrés. C’est un argument de démocratie locale. Les adversaires du statu quo brandissent celui de l’incapacité de gestion et d’action des petites communes et de la concurrence communale à l’intérieur des agglomérations.

La France compte 36 673 communes, elle a donc 36 673 maires, mais aussi 512 851 conseillers municipaux. Sur ce nombre, 368775 gèrent 30919 communes de moins de 1 500 habitants. Ainsi 72 % des conseillers municipaux sont élus par 12 % de la population. A l’inverse, 1/4 des conseillers municipaux ont été élus par les 3/4 de la population et gèrent 5 300 communes urbaines. Dans une commune de 99 habitants il y a un conseiller municipal pour 11 habitants, dans une commune de 300 000 habitants, un conseiller pour 4 600 habitants ! Comparativement, la représentation démocratique est très faible en milieu urbain, surtout si l’on considère que la population d’origine étrangère, concentrée particulièrement dans les villes, n’est pas représentée par le suffrage universel.

Plus que le nombre des communes, la question des écarts démographiques entre communes est centrale. On compte 21 574 communes métropolitaines de moins de 500 habitants, soit 60 % du nombre des communes mais elles ne regroupent que 8 % de la population. 4085 communes ont moins de 100 habitants et 4 communes en ont zéro en mémoire de la guerre de 1914-18. A l’inverse, il n’y a que 36 communes de plus de 100 000 habitants.

En 1789, la répartition démographique entre communes avait certainement plus de sens qu’en l’an 2001. Nous sommes aujourd’hui dans une société urbaine où la population a tendance à se regrouper dans des unités urbaines de plus en plus denses. En métropole, depuis 1936 la population urbaine est passée de 22 120 000 habitants à 44 197 000 - 26 855 000 personnes habitent dans 53 unités urbaines de plus de 100 000 habitants qui regroupent 1 690 communes en 1999.- 30 253 052 habitants se concentrent dans 52 aires urbaines de plus de 150 000 habitants. La population rurale était de 19 693 000 habitants en 1936 et représentait 47 % de la population. Elle est aujourd’hui de 14 321 000 habitants et ne représente plus que 24,5 % de la population totale.

Ces quelques chiffres, sur le nombre de conseillers municipaux et sur la démographie communale, montrent que la représentation démographique est plus forte en milieu rural qu’en milieu urbain et que la concentration urbaine défavorise la représentation démocratique. Y a t-il une surreprésentation démocratique dans les grandes communes ? et cette représentation démocratique a-t-elle un sens au regard des compétences réelles exercées par les communes ?

L’émiettement communal permet-il la réalisation et une gestion optimale des équipements collectifs ?

En moyenne, les 10 conseillers municipaux et le maire d’une commune de 100 habitants vont gérer un budget de 600 000 francs, alors que les 54 conseillers municipaux et le maire de la commune de 100 000 habitants vont gérer un budget moyen de 1 milliard de francs - le nombre des élus passe de 1 à 5, mais le budget géré est sans commune mesure. La petite commune a peu de moyens et beaucoup d’élus, la grande commune a peu d’élus et beaucoup de moyens.

Avec si peu de moyens quel rôle pour les élus ruraux ? Tous vous dirons, surtout le maire, qu’ils passent l’essentiel de leur temps à résoudre les problèmes quotidiens de leurs électeurs. L’élu rural est à la fois un animateur, un médiateur, un confident, une assistante sociale, un chercheur de crédit. Proche de la population, l’élu du village, mais aussi celui de la petite ville, joue un rôle essentiel d’interface entre la population qui l’a élu et les autres niveaux d’administration locales ou de l’Etat. Il intervient parfois à un niveau plus privé pour résoudre des conflits ou tout simplement trouver des emplois. Il a peu de moyens pour répondre de façon directe, avec le budget communal, aux besoins d’une population, majoritairement de culture urbaine, qui travaille en ville et qui demande des équipements de proximité identiques à ceux des villes. Cette demande trouve partiellement une solution grâce à l’intercommunalité. Niveau communal et intercommunal apprennent à coexister en milieu rural dans la mesure où la création et la gestion d’équipements doit être déléguée au niveau intercommunal et la commune peut rester un espace d’animation et d’expression de besoins spécifiques de la communauté villageoise.

En milieu urbain, la question est différente. L’intercommunalité y a été plus précoce, les districts urbains ont été créés en 1959, les communautés urbaines en 1975, et l’Ile de France a d’abord été un district urbain avant de devenir région en 1975. Du point de vue des moyens, les communes qui coexistent sur une même aire urbaine sont en concurrence. En effet, leur richesse respective dépend du poids de la taxe professionnelle dans leur budget. Plus la taxe professionnelle est importante, plus les équipements communaux seront importants. Mais il n’y a pas forcément, au sein d’une même agglomération, un lien entre les besoins de la population et le niveau d’équipement qui est lié à la richesse communale. La question est plus complexe que durant les années 1960 où l’on opposait la ville dortoir et la ville centre. Aujourd’hui, l’espace urbain est spécialisé. Schématiquement, certaines communes accueillent les activités, les familles avec de jeunes enfants vivent plutôt dans des communes périurbaines, tandis que la ville centre accueille les jeunes, les vieux et les familles monoparentales. Il en résulte que, richesses fiscales, besoins des populations et localisation des équipements sont rarement en adéquation.

La loi sur l’intercommunalité de 1999 tente de répondre à cette question en obligeant ou en incitant fortement les communes urbaines agglomérées à partager leur taxe professionnelle au moyen de la taxe professionnelle unique, par l’intermédiaire de communautés d’agglomération, de communauté urbaine ou même de communauté de communes. Mais la réponse à la question de la gestion des moyens et de sa socialisation au niveau de l’agglomération, ne résout en rien la question de la démocratie locale et de la sous-représentation en milieu urbain.

Au contraire, elle contribue à l’accentuer, puisque l’espace de décision et de gestion devient le niveau intercommunal et que le rôle des élus communaux se réduit à déléguer. Leur mode d’élection ne leur permet ni de gérer directement les équipements de la ville, ni d’être proche des préoccupations des populations vivant dans les quartiers.

Si, comme le déclarait aux élus en juin 2000 Jean Auroux, président du Grand-Roanne, l’enjeu de pouvoir devient l’intercommunalité et non plus la commune "les batailles dans les congrès des partis ne porteront plus sur la désignation des prétendants aux maires mais sur celle des candidats à la présidence des communautés d’agglomération". L’enjeu démocratique devient alors l’élection au suffrage universel direct des gestionnaires de l’intercommunalité.

En milieu urbain, le déficit démocratique est multiple, les conseillers municipaux sont en faible nombre par rapport au monde rural, ils ont un pouvoir affaibli par rapport au niveau intercommunal. Par exemple à Amiens - métropole, le pouvoir municipal se réduit quasiment à la gestion des sols, à l’état civil, et à l’aide sociale. De plus, le quartier, espace de vie élémentaire, n’est pas reconnu comme un espace de représentation démocratique de l’espace urbain.

Conclusion

La question du maintien des communes se pose différemment en milieu rural et en milieu urbain. En milieu rural, le village est un espace d’animation, d’interface et de forte représentation démocratique ; le niveau intercommunal, la communauté de communes, devient l’espace naturel de la réalisation et de la gestion des équipements. Sa gestion doit être confiée à une assemblée élue au suffrage universel direct.

En milieu urbain, la communauté urbaine, la communauté d’agglomération ou la communauté de communes, supplante le niveau communal et s’éloigne des espaces de vie que sont les quartiers, qui peuvent être comparés aux villages de l’espace rural. Le déficit de représentation démocratique peut être comblé par la gestion du cadre de vie des quartiers, par une assemblée de quartier , par la gestion des agglomérations par une assemblée d’agglomération, les deux assemblées étant élues au suffrage universel direct.

Les 36 000 communes sont une chance en milieu rural, du point de vue démocratique, elles ne sont pas une menace si les élus et les citoyens savent donner toute leur place à la coopération intercommunale.

En milieu urbain, les communes sont une menace si elles sont des espaces de résistance à la gestion intercommunale et à la reconnaissance des quartiers, de toute façon leur rôle s’estompera, peut être jusqu’à devenir inutile.

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