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La mémoire tronquée

dimanche 29 mars 2009

Rappeler chaque jour les atrocités nazies — exercice devenu sacré, désormais, sous le nom de "devoir de mémoire", — entretien un bruit de fond permanent qui ne laisse plus de vigilance disponible pour le rappel des atrocités communistes. Selon la formule d’Alain Besançon, l’"hypermnésie du nazisme" détourne l’attention de l’"amnésie du communisme". Chacun comprend donc que toute analyse, tout travail des historiens minoritaires ramenant l’accent sur leur essentielle similarité soulèvent des ouragans annonciateurs de rages vengeresses. On objectera, certes, avec raison, qu’aucun rappel de la criminalité nazie ne saurait être excessif. Mais l’insistance de ce rappel devient suspecte dès lors qu’elle sert à en ajourner définitivement un autre : celui des crimes communistes. Quelle efficacité morale, éducative et donc préventive peut avoir l’indispensable réprobation des crimes nazis si elle se transforme en paravent destiné à dissimuler d’autres crimes ?

Révélateur du succès obtenu par ce leurre est le sens qu’a pris l’expression "devoir de mémoire", désignant de façon quasi exclusive le devoir de rappeler sans cesse les crimes nazis et eux seuls. On ajoute éventuellement à la liste quelques autres forfaits qui peuvent leur être comparés, à condition qu’ils n’appartiennent pas au champ d’action des grandes maisons mères communistes et ne relèvent pas non plus de la conception socialiste du monde.

Cette censure latente, raréfiant la mention des crimes de gauche, a reçu le contreseing de la droite. Il fut octroyé avec l’empressement discipliné que, selon son habitude, elle met à intérioriser les consignes culturelles de ses adversaires. Ainsi, le 16 juillet 1999, le président de la République française, Jacques Chirac, se rend à Oradour-sur-Glane pour inaugurer un "Centre de la mémoire" dans ce village où, le 10 juin 1944, les SS de la division Das Reich ont massacré 642 habitants, dont 246 femmes et 207 enfants, brûlés vifs dans l’église. Noble et pieuse évocation du chef de l’Etat. Dans le discours qu’il prononce sur place, le président flétrit, par-delà l’holocauste (au sens littéral) d’Oradour, "tous" les massacres et génocides de l’histoire, " et d’abord, bien sûr, dit-il, celui de la Shoah". Puis il évoque également la Saint-Barthélemy, "les villages de Vendée sous la Terreur" (ce qui est courageux, vu le tabou d’origine jacobine qui a longtemps refusé la "mémoire" à ce génocide cependant fort mémorable). Puis furent énumérés Guernica, Sabra et Chatila (une pierre dans le jardin d’Israël), les meurtres de masse intertribaux du Rwanda en 1994 ; les milliers de Bosniaques assassinés dans et par tous les camps au nom de la "purification ethnique" entre 1992 et 1995, enfin les carnages plus récents du Kosovo. Dans tous ces exterminations, comme à Oradour, "les bourreaux n’ont pas fait de distinction entre les hommes, les femmes et les enfants", a souligné Jacques Chirac avec force et indignation.

On le remarquera ou, plus exactement, personne ne l’a remarqué, dans cette fresque de "tous" les crimes, de "tous" les temps et de "tous" les lieux ne figure aucun des massacres communistes. Katyn n’a jamais eu lieu [1]. Lénine, Staline, Mao, Pol Pot, Mengitsu, Kim Il Sung ont quitté sur la pointe des pieds, sous la houlette d’un chef d’Etat gaulliste, le théâtre de la mémoire des génocides et l’histoire des répressions exterminatrices du vingtième siècle. Du passé de gauche faisons table rase ! Bien plus : les despotismes communistes toujours actifs et inventifs, aujourd’hui même, dans l’art de peupler les cimetières progressistes et les camps de rééducation par le travail sont passés sous silence. La Chine où se pratiquent par milliers chaque jour impunément des tortures qui ne sont pas au passé, de ces tortures qui valent par ailleurs une juste inculpation à Pinochet, lequel n’est plus au pouvoir (...)

"Mémoire", qui veut dire en français "faculté de se souvenir", est employé, depuis quelques années, comme un synonyme du mot "souvenir". Quant au "souvenir de" quelque chose, depuis qu’il s’est glissé dans les habits de la "mémoire de" on n’a plus le droit de l’employer qu’au sens de souvenir, pardon ! "mémoire" des crimes nazis et, en particulier, de l’holocauste des Juifs. "Mémoire" et "crimes nazis" sont donc désormais deux termes interchangeables. Il en ressort que le "devoir de mémoire", lié au nazisme par une relation exclusive, est un devoir d’oubli pour tout le reste.

Au lendemain des propos présidentiels à Oradour, le quotidien régional Ouest France titre : "Une mémoire contre la barbarie". Est-ce à dire qu’une seule mémoire, la mémoire d’un seul individu se souvient encore de cette barbarie ? Ce serait fort triste. N’hésitons pas à traduire : le souvenir sans cesse ravivé de la barbarie nazie doit enseigner aux jeunes générations le devoir d’éliminer toute barbarie dans l’avenir. En revanche, les régimes communistes, n’ayant jamais manifesté la moindre barbarie, ce qui est notoire, ne relèvent point du "devoir de mémoire". Ceux qui actuellement subsistent, torturent et persécutent, ne sont l’objet d’aucun "devoir de vigilance". Notre résistance au nazisme se fait d’autant plus farouche que celui-ci s’éloigne dans le passé. C’est ainsi que le ministère des Anciens combattants, de moins en moins surmené au fur et à mesure qu’il y a de moins en moins d’anciens combattants, songe à se reconvertir en un "ministère de la Mémoire" et même à mettre sur pied un "tourisme de la mémoire" [2]. Gageons que ces organisateurs de voyages éthiques ne délivreront guère de billets à destination des "lieux de mémoire" de la Loubianka soviétique, du goulag, aujourd’hui désaffecté, ou des laboratoires de travaux pratiques toujours en pleine activité du laogaï chinois. Que notre vigilance à l’égard des crimes du Troisième Reich ne cesse de croître, c’est en soi un fruit salutaire de la conscience historique. Mais qu’elle ait décuplé depuis que la vérité sur la criminalité du communisme, après sa chute, a été mieux connue, ou, du moins, plus difficile à escamoter, voilà une concomitante qui laisse perplexe quant à l’une des composantes, au moins, de nos motivations antinazies.

Le jour même où le président Chirac s’exprimait à Oradour, notre Premier ministre, Lionel Jospin, ne voulant pas être en reste dans la course à l’éthique hémiplégique, faisait, accompagné de son épouse, elle-même d’origine polonaise, du "tourisme de mémoire" à Auschwitz. Qui ne lui en serait reconnaissant ? On ne rappelera jamais assez "l’unicité de la Shoah", pour reprendre les termes d’Alain Besançon [3]. On regrettera toutefois que nos deux "touristes de mémoire" ne se soient pas mis en"devoir", puisqu’ils étaient en Pologne, d’en profiter pour pousser jusqu’à Katyn. Le devoir de mémoire est universel ou il n’est que pharisaïsme partisan. C’est insulter la mémoire des victimes du nazisme que de se servir d’elles pour enterrer le souvenir de celles du communisme.

Qu’on veuille bien m’excuser de résumer les faits, à l’usage des jeunes générations auxquelles l’appellation géographique "Katyn" ne dit rien — je l’ai souvent constaté — pour la raison que leurs professeurs, leurs journaux et leurs médias ont pris toutes les précautions nécessaires pour éviter qu’elle ne leur dise quoi que ce fût. En septembre 1939, après la défaite de la Pologne, envahie simultanément par les nazis à l’ouest et par leurs alliés communistes à l’est, une zone d’occupation de deux cent mille kilomètres carrés est (entre autres territoires) octroyée par Hitler à ses amis soviétiques pour les récompenser de leur aide précieuse. Dès la défaite polonaise, dans cette zone, les Soviétiques, sur ordre écrit de Staline, massacrent plusieurs milliers d’officiers polonais prisonniers de guerre : plus de quatre mille à Katyn (près de Smolensk), lieu où fut découvert ultérieurement le charnier le plus connu, mais aussi environ vingt et un mille en divers autres lieux. A ces victimes, il faut ajouter quelque quinze mille prisonniers simples soldats, probablement noyés dans la mer Blanche. Perpétrés en quelques jours selon un plan préétabli, ces tueries en masse de Polonais vaincus, exterminés pour la seule raison qu’ils étaient polonais, constituent d’indiscutables crimes contre l’humanité, et non pas seulement des crimes de guerre, puisque la guerre était terminée en ce qui concerne la Pologne. D’après les conventions de Genève, l’exécution de prisonniers d’une armée régulière, qui ont combattu en uniforme, est un crime contre l’humanité, surtout une fois le conflit terminé. L’ordre de Moscou était de supprimer toutes les élites polonaises : étudiants, juges, propriétaires terriens, fonctionnaires, ingénieurs, professeurs, avocats, et, bien sûr, officiers.

Lorsque ces charniers polonais furent découverts, le Kremlin imputa ces crimes aux nazis. La gauche occidentale s’empressa naturellement d’obéir à la voix de son maître. Je ne dis pas que toute la gauche non communiste fut servile. La partie d’entre elle qui avait des doutes resta en tout cas fort discrète et plus plaintivement perplexe que catégoriquement accusatrice. Pendant quarante-cinq ans, affirmer hautement que l’on croyait vraisemblable la culpabilité soviétique — pour la bonne raison que les crimes avaient été commis dans la zone d’occupation soviétique et non allemande — vous classait sur l’heure parmi les obsessionnels "viscéraux" de l’anticommunisme "primaire". Et puis voilà qu’en 1990, grâce à Gorbatchev et à sa glasnost, le Kremlin, dans un communiqué de l’agence Tass, reconnaît sans détours atténuants que "Katyn a été un grave crime de l’époque stalinienne". En 1992, à la suite d’un début d’inventaire des archives de Moscou, est divulgué un rapport secret de 1959 dû à Chélépine, alors chef du KGB. Il fait état de "21 857 Polonais de l’élite, fusillés en 1939 sur ordre de Staline".

La question étant donc tranchée du fait des aveux soviétiques mêmes, on aurait pu espérer que les négationnistes occidentaux de gauche qui, pendant quatre décennies, avaient traités de fascistes, ou peu s’en faut, les partisans de la culpabilité soviétique, fissent alors amende honorable. C’était mal les connaître. Aussi peut-on regretter qu’en 1999 le Premier ministre de la France n’ait pas eu, en Pologne, un petit geste "touristique" pour montrer qu’enfin la gauche avait cessé d’être une unijambiste de la "mémoire", de la morale et de l’histoire.

Cette discrimination persistante provient de la non moins tenace aberration selon laquelle le fascisme serait l’antithèse du communisme et donc que les victimes du second, quoique se chiffrant par dizaines de millions, seraient qualitativement moins "victimes" que celles du premier. On a envie d’interpeller les négateurs de ces victimes en leur criant : "De quel lieu vous taisez-vous ?" Ce n’est pas le fascisme qui est l’ennemi du communisme. C’est la démocratie. La démocratie est leur adversaire commun. La vraie barrière entre les régimes du vingtième siècle passe entre les démocraties et les totalitarismes, si divers que soient les antagonismes apparents de colifichets idéologiques dont se parent les tueurs de la liberté.

Il n’y aura pas de "mémoire" équitable, donc pas de mémoire du tout, car la mémoire volontairement tronquée est par là même inexistante, aussi longtemps que gauche et droite traiteront différemment les criminels vainqueurs et les criminels vaincus.

L’une des causes, en effet, du voile jeté sur les crimes communistes est une lâcheté certaine, puisqu’il est plus facile de s’en prendre à des totalitaires morts qu’à des totalitaires vivants. Il suffit de voir avec quels égards sont traités les régimmes communistes subsistants, même faibles, pour mieux comprendre la colossale servilité qui se manifesta envers la puissante Union soviétique entre sa victoire militaire de 1945 et sa disparition en 1991. Obligatoire en Occident chez ses partisans ou sympathisants, cette servilité surprend par son ampleur inattendue chez les adversaires mêmes de son idéologie. On a pu l’excuser jadis en alléguant des motifs de realpolitik. Mais elle survit chez eux à la fin du communisme soviétique et européen, parce qu’ils n’ont toujours pas le courage de déplaire à leur propre gauche, laquelle renâcle encore à reconnaître l’échec universel et les crimes avérés du socialisme réel. D’une part le Troisième Reich a été anéanti politiquement voilà plus d’un demi-siècle, tandis que le communisme existe encore ; d’autre part, l’idéologie nazie a cessé depuis cinquante ans de représenter une force culturelle, sauf chez quelques marginaux sans influence, dont l’importance est d’ailleurs soigneusement grossie dans le dessein d’entretenir le mythe d’un "danger fasciste" éternellement renaissant. Au contraire, l’idéologie marxiste-léniniste, tout autant discréditée par la praxis ou qui devrait l’être, continue d’imprégner nos schémas interprétatifs et nos comportements culturels. Les procédés stalino-léninistes restent d’usage courant. La calomnie, le mensonge, la désinformation, la déformation, l’amalgame, l’injure excommunicatrice, le rejet dans le camp fasciste, vichyste, voire antisémite de tout contradicteur, l’affront immérité autant qu’insidieux restent admis dans nos moeurs politiques, et même artistiques ou littéraires. Le plus véniel anathème consiste à traiter de nazi quiconque désapprouve votre secte, sur quelque terrain qu’elle se situe, le débat fût-il même étranger à la politique. Il est au demeurant révélateur que la loi française punissant depuis 1990 la contestation des seuls crimes nazis, et donc autorisant, par son silence même à leur sujet, la contestation des crimes communistes.... soit due à un communiste. Je veux bien qu’on m’exhorte à exécrer chaque jour davantage les anciens admirateurs d’Himmler, à condition que cette homélie comminatoire ne me soit point administrée par d’anciens admirateurs de Beria.

Que la gauche s’abstienne de me traiter de "fasciste" parce que j’établis ce parallèle entre le SS et le tchékiste. Le rapprochement n’est pas de moi : il est de Staline. C’est lui qui appelait Beria "notre Himmler", et c’est en ces termes qu’il le présenta au président américain, Franklin Roosevelt, interloqué par tant de cynisme [4].

La procédure d’enterrement périodique des souvenirs sur le communisme de la part de ses anciens complices s’accompagne, à l’égard des régimes communistes survivants, d’une complaisance identique à celle dont bénéficiait jadis l’Union soviétique. Non seulement à gauche, ce qui n’a rien de surprenant, mais aussi à droite. C’est une vieille tradition : après tout, c’est un homme politique que nous qualifierions aujourd’hui de centriste, le radical-socialiste Edouard Herriot, qui, s’étant promené ou ayant été promené en Ukraine au début des années trente, déclara n’y avoir vu que des gens prospères, heureux et bien nourris. Durant les années 1933 et 1934, où ce pompeux imbécile confiait ses béates impressions de voyage à la presse française, quinze millions de paysans ukrainiens, chassés de leurs terres, furent déportés en Sibérie ; on en exécuta un million sur place ; six millions moururent des suites d’une famine sciemment provoquée. Malgré ces fâcheux antécédents, la même cécité affecte, trente ans plus tard, les spécialistes du voyage en Chine, qui ne discernent rien des carnages de la pseudo-révolution dite culturelle. Ce fut en réalité une épuration sadique et sanglante déclenchée par Mao. Les Gardes rouges lynchèrent et assassinèrent des millions de leurs compatriotes. Démence bestiale que Chou Enlai en personne définira plus tard comme ayant été la plus grande catastrophe de toute l’histoire de la Chine.

Déjà, le "Grand Bond en avant" (1959-1961) avait été, selon Jean-Louis Margolin, son plus récent historien, "la plus grande famine de l’histoire" [5], famine délibérément suscitée par Mao Tsé-Toung, en vertu de ce mélange unique d’idiotie économique, d’incompétence agronomique (il avait transplanté en Chine les théories de Lyssenko !) et de mépris du peuple qui caractérise le communisme. "Famine d’essence politique", dit encore Margolin. Elle fit grimper la mortalité de quinze pour mille en temps normal à soixante-huit pour mille. En 1994, des documents d’origine chinoise, à usage interne du Parti, ont filtré en Occident, prouvant que le total des morts dues au Grand Bond en avant et à la Révolution culturelle devait être révisé à la hausse de plusieurs centaines de millions [6]. Au moment où les perroquets occidentaux allaient répétant que "Mao avait peut-être supprimé les libertés mais qu’au moins grâce à lui les Chinois mangeaient à leur faim", les pertes dues à la surmortalité pour cause de disette entre 1959 et 1961 sont proches de quarante millions de victimes ! Les autorités chinoises, dès 1998, en avouèrent vingt millions. Or, non seulement les visiteurs et la presse d’Occident firent en général le silence, pendant des années, sur cet assassinat collectif, mais encore, en 1997, le travail historique de Margolin suscita l’indignation de la gauche européenne !

Pendant le deux dernières décennies du siècle, hommes d’Etat et hommes d’affaires occidentaux ont rivalisé d’obséquiosité en rendant visite aux dirigeants communistes chinois ou vietnamiens. Le triste état des droits, ou plutôt des non-droits de l’homme dans la Chine de cette fin de siècle est cependant bien documenté, de même que la ferme résolution qu’a le parti unique de maintenir son hégémonie dans le domaine politique, sinon économique. Dix ans après que la Chine a ratifié un traité international banissant la torture, elle continue de la pratiquer dans toutes les prisons, notamment au Tibet. En 1998 et 1999, les incarcérations de dissidents et la répression idéologique redoublent d’intensité, décevant les espoirs de certains observateurs qui pronostiquaient que la relative libéralisation économique entraînerait progressivement une libéralisation politique et culturelle. En décembre 1998, de nouvelles règles (on n’ose les appeler lois) viennent comprimer encore davantage, s’il se peut, toute liberté d’expression dans les journaux, les livres, le cinéma, la télévision, les vidéo-cassettes, l’utilisation d’Internet et des logiciels d’ordinateurs. Toute infraction à cette censure renforcée sera considérée comme une "tentative de subversion contre l’Etat" et sera punie de la prison à vie [7]. J’ai déjà mentionné le système concentrationnaire chinois, le laogaï, qui compte plusieurs milliers de camps disséminés sur tout le territoire. On en trouvera le dénombrement exact dans le Laogaï Handbook, publié en Californie et périodiquement remis à jour par la Laogaï Research Foundation [8]. La peine de mort appliquée sommairement même pour de petits délits ou des insubordinations mineures aboutit en Chine à plusieurs milliers d’exécutions capitales chaque année. La question de savoir si le communisme est ou non intrinsèquement criminogène, dans le cas chinois comme dans le cas russe, ne peut donc faire l’objet d’une réponse négative ou ambiguë que par l’effet d’une obnubilation idéologique sans rapport avec les faits. Le mystère n’est pas la criminalité communiste, c’est qu’en 2000 il faille encore en discuter.

La direction du PC chinois n’a nulle intention d’adoucir sa mainmise totalitaire sur le pays. Tout au contraire. En décembre 1998, Jiang Zemin, chef à la fois du Parti et de l’Etat, exclut "à jamais", dit-il avec force, la démocratie à l’occidentale et annonce que restera inchangée "pendant les cent ans à venir la ligne fondamentale du Parti communiste". Voilà ce qu’on appelle un "homme de conviction", qualité que les politiciens occidentaux prisent par-dessus tout. Vingt ans auparavant Den Xiaoping s’était écrié : "Il faut étouffer dans l’oeuf les activités subversives et séparatistes". Ce dernier adjectif est une allusion évidente au Tibet [9].
Aux yeux de nos démocrates occidentaux, on le sait, droite et gauche confondues, les exécutions sommaires, les arrestations arbitraires, les massacres, la torture, les camps, les déportations de populations, les annexions et persécutions de peuples sans défense, les procès truqués constituent des actes humanitaires lorsque ce sont des communistes qui les commettent. Ils ne deviennent des crimes que s’ils sont dus à Hitler ou à Pinochet, lequel, d’ailleurs, comparé à l’efficacité industrielle de Staline et de Mao, n’était qu’un modeste artisan. Cela n’est pas nouveau. Mais notre bienveillant pardon accordé à la Chine est d’autant plus imprudent que cette puissance demeure une menace stratégique. Son arsenal atomique se renforce constamment, grâce, en particulier, à l’espionnage et au pillage, qui lui a permis de voler dans des laboratoires nucléaires américains les informations grâce auxquelles elle a confectionné une bombe atomique du modèle le plus perfectionné [10]. En outre, l’agressivité de Pékin à l’égard de Taiwan met en danger de façon permanente la paix en Extrême-Orient.

Les démocraties capitalistes avalent toutes ces couleuvres sous des prétextes économiques. La Chine a potentiellement le premier marché du monde et nul n’a le droit de le négliger, dit-on. Mais c’est un client qui, comme feu l’URSS, et comme l’actuelle Russie, nous achète nos produits surtout avec l’argent que nous lui prêtons et qu’il ne nous rend pas ou très peu. Les dettes chinoises ou ne sont pas remboursées (encore quatre milliards de dollars de banqueroute en janvier 1999) ou sont "rééchelonnées", ce jargon pudique indiquant que le remboursement est renvoyé aux calendes grecques. Les Etats-Unis à eux seuls déversent par an soixante milliards de dollars de prêts risqués ou irrécupérables sur le régime chinois.

De plus, l’Occident crédule se laisse prendre au piège de statistiques chinoises outrageusement falsifiées et qui exagèrent l’ampleur du décollage de la Chine, donc de sa capacité d’acheter. L’économiste et démographe Jean-Claude Chesnais, directeur de recherches à l’INED, a décortiqué les raisons pour lesquelles les statistiques chinoises qui embellissent la situation du pays sont peu fiables [11]. Contrairement à l’Inde, la Chine n’a aucune tradition statistique moderne. Son bureau central statistique n’a été créé qu’en 1952 et fermé douze ans plus tard, lors de la Révolution culturelle. (...) Si l’essor économique chinois depuis le début des années quatre-vingt est indéniable, son importance est majorée par les inventions statistiques dans le souci essentiel de répandre la fable que la Chine aurait atteint un niveau de vie par habitant supérieur à celui de l’Inde. C’est l’inverse qui est vrai. (...)

Nous n’avons rien appris. Le cocktail élaboré par les démocraties pour régaler l’URSS pendant soixante-quinze ans est resservi aujourd’hui à la Chine : un tiers d’indulgence pour les violations des droits de l’homme, un tiers d’indolence devant les menaces stratégiques, un tiers de complaisance économique, arrosant de crédits les terres stériles du collectivisme avec une prodigalité frisant la jobardise.

Le refus de l’histoire, l’amputation de la mémoire inspirent le même "surprise", la même colère à gauche, chaque fois qu’ils sont contrariés parce que paraît un nouvel ouvrage établissant la liste des crimes du communisme contre l’homme et ses inépties économiques. Cette ignorance volontaire et cette fuite devant tout ce qui vient la bousculer se doublent logiquement à droite comme à gauche, d’une incapacité à profiter des leçons du passé pour améliorer la politique du présent. Comme l’écrivent Vladimir Boukovsky et le dissident chinois Wei Jinsheng [12], "l’histoire a prouvé abondamment que les stratégies de la détente étaient fausses. Et pourtant, de nouveau, comme il y a vingt-cinq ans, on nous assure, dans le cas de la Chine cette fois, que le commerce avec l’Occident et quelques sourires en plus, suffiront à transformer une société totalitaire en démocratie".

Un malentendu fausse quasiment toutes les discussions sur les mérites respectifs du socialisme et du libéralisme : les socialistes se figurent que le libéralisme est une idéologie. […] Les libéraux se sont laissé inculquer cette vision grossièrement erronée d’eux-mêmes. Les socialistes, élevés dans l’idéologie, ne peuvent concevoir qu’il existe d’autres formes d’activité intellectuelle. Ils débusquent partout cette systématisation abstraite et moralisatrice qui les habite et les soutient. Ils croient que toutes les doctrines qui les critiquent copient la leur en se bornant à l’inverser et qu’elles promettent, comme la leur, la perfection absolue, mais simplement par des voies différentes.

Si, par exemple, un libéral dit à un socialiste : " A l’usage, le marché semble être un moins mauvais moyen d’allocation des ressources que la répartition autoritaire et planifiée ", le socialiste répond aussitôt : " Le marché se résout pas tous les problèmes ". Certes ! Qui a jamais soutenu pareille ânerie ? Mais, comme le socialisme, lui, a été conçu dans l’illusion de résoudre tous les problèmes, ses partisans prêtent à leurs contradicteurs la même prétention. Or tout le monde n’est pas mégalomane, heureusement. Le libéralisme n’a jamais eu l’ambition de bâtir une société parfaite. Il se contente de comparer les diverses sociétés qui existent ou ont existé et de retenir les leçons à tirer de l’étude de celles qui fonctionnent ou ont fonctionné le moins mal. Pourtant, de nombreux libéraux, hypnotisés par l’impérialisme moral des socialistes, acceptent la discussion sur le même terrain qu’eux. " Je crois à la loi du marché, mais elle ne suffit pas " déclare l’économiste américain Jeremy Rifkin . " Le marché libre ne peut tout résoudre ", renchérit le spéculateur George Soros . Ces piètres truismes émanent d’un système de pensée figé, selon lequel le libéralisme serait une théorie opposée au socialisme par ses thèses mais identique par ses mécanismes.

Or, il n’est ni l’un ni l’autre. Le libéralisme n’a jamais été une idéologie, j’entends n’est pas une théorie se fondant sur des concepts antérieurs à toute expérience, ni un dogme invariable et indépendant du cours des choses ou des résultats de l’action. Ce n’est qu’un ensemble d’observations, portant sur des faits qui se sont déjà produits. Les idées générales qui en découlent constituent non pas une doctrine globale et définitive, aspirant à devenir le moule de la totalité du réel, mais une série d’hypothèses interprétatives concernant des événements qui se sont effectivement déroulés. Adam Smith, en entreprenant d’écrire La Richesse des nations, constate que certains pays sont plus riches que d’autres. Il s’efforce de repérer, dans leur économie, les traits et les méthodes qui peuvent expliquer cet enrichissement supérieur, pour tenter d’en extraire des indications recommandables. Il procède ainsi comme Kant qui, dans la Critique de la raison pure, dit à ses confrères philosophes : depuis plus de deux mille ans, nous tentons d’élaborer des théories du réel valables pour l’éternité. Elles sont régulièrement rejetées dès la génération suivante faute de démonstration irréfutable. Or, depuis un siècle et demi, nous avons sous les yeux une discipline récente, qui est enfin parvenue avec certitude à établir quelques lois de la nature : c’est la physique. Au lieu de nous obstiner dans notre stérile dogmatisme métaphysique, observons donc plutôt comment s’y sont pris les physiciens pour réussir et inspirons-nous de leurs méthodes pour tâcher d’égaler leurs succès.

Il faut donc refuser l’affrontement entre socialisme et libéralisme comme étant l’affrontement de deux idéologies. Qu’est-ce qu’une idéologie ? C’est une construction a priori, élaborée en amont et au mépris des faits et des droits, c’est le contraire à la fois de la science et de la philosophie, de la religion et de la morale. L’idéologie n’est ni la science, pour laquelle elle a voulu se faire passer ; ni la morale, dont elle a cru détenir les clefs et pouvoir s’arroger le monopole, tout en s’acharnant à en détruire la source et la condition : le libre arbitre individuel ; ni la religion, à laquelle on l’a souvent et à tort comparée. La religion tire sa signification de la foi en la transcendance, et l’idéologie prétend rendre parfait ce monde-ci. La science accepte, je dirai même provoque, les décisions de l’expérience, et l’idéologie les a toujours refusées. La morale repose sur le respect de la personne humaine, et l’idéologie n’a jamais régné que pour la briser. Cette funeste invention de la face noire de notre esprit, qui a tant coûté à l’humanité, engendre en outre, chez ses adeptes, ce curieux travers qui consiste à prêter à autrui leur propre forme d’organisation mentale. L’idéologie ne peut pas concevoir qu’on lui oppose une objection si ce n’est au nom d’une autre idéologie.

Or toute idéologie est un égarement. Il ne peut pas y avoir d’idéologie juste. Toute idéologie est intrinsèquement fausse, de par ses causes, ses motivations et ses fins, qui sont de réaliser une adaptation fictive du sujet humain à lui-même – à ce " lui-même ", du moins, qui a décidé de ne plus accepter la réalité, ni comme source d’information ni comme juge du bien-fondé de l’action.

C’est donc un non-sens, quand une idéologie est morte, de se dire qu’il faut de toute urgence la remplacer par une autre. Remplacer une aberration par une aberration, c’est de nouveau céder au mirage. Peu importe alors quel mirage se substitue au précédent, car ce n’est pas le contenu d’une illusion qui compte, c’est l’illusion même.

Le libéralisme n’est pas le socialisme à l’envers, n’est pas un totalitarisme idéologique régi par des lois intellectuelles identiques à celles qu’il critique. Cette méprise rend absurde le dialogue entre socialistes et libéraux. […] je n’ai jamais lutté contre le communisme au nom du libéralisme, ou seulement au nom du libéralisme. J’ai lutté contre le communisme avant tout au nom de la dignité humaine et du droit à la vie. Que la faillite permanente et ridicule des économies administrées ne fût pas sans apporter quelques arguments aux économistes libéraux – encore que bien des socialistes le nient encore aujourd’hui farouchement – c’était incontestable, mais ce n’était pas l’essentiel. Quand on se trouve devant une prison doublée d’un asile de fous et d’une association de meurtriers, on ne se demande pas s’il faut les détruire au nom du libéralisme, de la social-démocratie, de la " troisième voie ", du " socialisme de marché ", ou de l’anarcho-capitalisme. De telles arguties sont même indécentes, et le débat sur le libéralisme ou social-étatisme ne peut renaître légitimement que dans une société rendue à la liberté. J’ai combattu le communisme mû par la même " obsession " qui m’avait jadis fait combattre le nazisme : l’ " idée fixe ", " viscérale " du respect de la personne humaine. Pas pour savoir qui a raison de Margaret Thatcher ou de Jacques Delors, d’Alain Madelin ou dde Lionel Jospin, de Reagan ou de Palme. Cette deuxième question suppose le rétablissement d’une civilisation de la liberté.

Les socialistes contemporains, totalitaires light, au moins dans leurs structures mentales et verbales, s’égarent donc lorsqu’ils imaginent que les libéraux projettent, comme eux-mêmes, d’élaborer une société parfaite et définitive, la meilleure possible, mais de signe opposé à la leur. Là gît le contresens du débat postcommuniste. Ce n’est pas la peine d’applaudir Edgar Morin lorsqu’il recommande la " pensée complexe " contre la " pensée simpliste " si c’est pour ensuite renforcer le simplisme hors de toute mesure.

Articulons, dans un parallèle pédagogique, le constat suivant : " la liberté culturelle est plus propice à la création littéraire, plastique et musicale que le dirigisme étatique ". Cet énoncé empirique, étayé par une vaste expérience passée et présente, ne signifie pas et ne comporte pas l’engagement que toutes les productions nées dans les conditions de la liberté (ou, au sein de régimes totalitaires, dans les conditions de la dissidence) ont été, sont ou seront toujours des chefs-d’œuvre. Or, c’est ce que comprend le socialiste ! Il citera aussitôt des milliers de livres, de tableaux, de pièces et de films médiocres ou nuls, éclos dans le contexte de la liberté. Il s’écriera : " Vous voyez bien que le libéralisme ne marche pas ! " En d’autres termes, il prête au libéralisme son propre totalitarisme. Se croyant, lui, propriétaire d’un système qui résout tous les problèmes, y compris celui de la beauté, il croit suffisant de supprimer le marché pour supprimer la laideur. Le totalitarisme culturel n’a, pour sa part, jamais produit autre chose que de la laideur . Ce fait ne le gêne aucunement. L’étatisme n’a-t-il pas, du même coup, tué dans l’œuf les déchets de l’art capitaliste ? Qu’il ait, en se mêlant de le diriger, anéanti l’art même n’était-il pas le prix à payer pour cet assainissement ?

Bien entendu, et qu’on veuille bien me faire la grâce de penser que je ne l’ignore pas, il y a eu de tout temps des artistes que le marché à lui seul ne pouvait faire vivre et qui ont été pensionnés par des princes, subventionnés par des républiques ou aidés par des mécènes privés. Mais il y en a eu aussi d’immenses que leur succès auprès du public suffisait à nourrir, voire à enrichir. Cependant ne perdons pas de vue non plus que ni le marché ni la subvention ne garantissent le talent, ni, au demeurant, son absence. Le marché peut faire pleuvoir la fortune sur Carolus Durand comme sur Picasso. La subvention étatique peut aussi bien procurer la sécurité nécessaire à un vrai génie que l’argent facile à un faux créateur, dont les principaux mérites sont l’amitié du ministre, le copinage politique et le culot dans les relations publiques . Décréter que le marché est en soi réactionnaire et la subvention en soi progressiste relève donc de la pensée non seulement simpliste, mais intéressée, celle des virtuoses du parasitisme de l’argent public.

Lors de la visite du pape Jean Paul II en Pologne, au mois de juin 1999, j’ai entendu un journaliste radio de France-Info " informer " ses auditeurs en disant, en substance : le pape sait que le retour des Polonais au capitalisme leur a apporté une certaine prospérité, mais au détriment de la justice sociale. Ce qui sous-entend donc que le communisme leur avait apporté la justice sociale. De nombreuses études ont montré quelle hypocrisie se cachait derrière ce mythe. Le capitalisme n’apporte certes pas l’égalité, mais le communisme encore moins, et, lui, sur fond de pauvreté généralisée. Mais voilà, une fois de plus, on le juge sur ce qu’il était censé apporter et le capitalisme sur ce qu’il apporte effectivement. Même pas, à vrai dire. Car, si on le faisait, on constaterait […] qu’en 1989, dernière année du communisme, un chômeur indemnisé à l’Ouest touchait entre cinq et dix fois plus, en pouvoir d’achat réel, qu’un ouvrier pourvu d’un prétendu " emploi " à l’Est . Autrement dit, ce sont les sociétés du capitalisme démocratique qui ont mis en place les systèmes de protection sociale les plus correcteurs des inégalités et des accidents de la vie économique . Mais ce constat est rejeté lorsque l’on persiste à comparer la perfection de ce qui n’existe pas – l’utopie communiste – avec les imperfections de ce qui existe – le capitalisme démocratique.

Cette partie de boxe entre socialisme et libéralisme est d’autant plus truquée qu’y domine la confusion entre libéralisme politique et économique, économie de marché et capitalisme, laissez-faire et " jungle " sans loi. Il est désolant, par exemple, qu’un prix Nobel d’Economie, Maurice Allais, commette lui aussi la faute d’orthographe laisser-faire, à l’infinitif, en tonnant contre les " perversions laisser-fairistes " . Chacun sait ou devrait savoir que les célèbres " laissez faire, laissez passer " de Turgot et des physiocrates sont synonymes de liberté d’entreprendre et de liberté du commerce. Ce sont des impératifs à connotation d’activité, sans rapport avec l’incurie apathique des infinitifs substantivés, liés par un trait d’union, le " laisser-faire ", bientôt dégradé en " laisser-aller ". C’est, dit-on, un marchand, François Legendre (ou Le Gendre), qui, le premier, à Colbert qui lui demandait comment le gouvernement du roi pouvait aider le commerce, répondit : " Laissez-nous faire . " Il peut très bien y avoir, en effet, un capitalisme sans marché. Le privé sans le marché, le privé protégé de la concurrence par un pouvoir politique complice et rétribué, c’est même le rêve de beaucoup de capitalistes. Ce fut le système pratiqué pendant des décennies en Amérique latine, admirablement organisé pour servir les intérêts d’une oligarchie. C’est pourquoi, lorsque le " sous-commandant Marcos ", dans le Chiapas, bombe le torse en se nommant " chef de la lutte mondiale contre le néolibéralisme ", il sert en réalité le capitalisme privé sans marché, le capitalisme associé au monopole politique du parti révolutionnaire institutionnel qui, pendant quarante ans, au nom du socialisme, a entretenu la pauvreté du peuple mexicain au profit d’une oligarchie.

Le capitalisme antilibéral resta longtemps aussi la spécialité du Japon et, nul ne l’ignore, de la France. En France, les ennemis du libéralisme se côtoient dans un pot-pourri où se retrouvent communistes, trotskistes, extrémistes de droite du Front national, avec une proportion de certains socialistes et une autre de certains gaullistes, beaucoup de néo-keynésiens, de protectionnistes et subventionnistes culturels, de privilégiés du secteur public, tous unis pour des motifs hétéroclites dans une arlequinade idéologique disparate et, surtout, intéressée.

Pendant plus d’un demi-siècle, le capitalisme français a été et il demeure de nos jours pour une large part un capitalisme fermé, un double mimétique du pouvoir politique. Toutes les opérations de fusion entre sociétés privées, ou soi-disant telles, tous les contrats intéressant les entreprises publiques et privées ne se décidaient en France qu’après consultation et approbation du gouvernement et, en bien des cas, du président de la République en personne. Cette tradition du capitalisme fermé était commune à la droite et à la gauche. Les deux la justifiaient par la nécessité de défendre l’indépendance nationale et la solidarité sociale. Droite et gauche promulguèrent des lois sociales et augmentèrent la charge fiscale. Une des dernières augmentations massives des impôts est due au gouvernement Juppé. Comme le dit Nicolas Baverez , elle porta en 1995 à notre économie un coup aussi dur que l’avait été le premier choc pétrolier, en 1973.

[…] Pas plus que la gauche la droite n’a le moins du monde succombé en France à " l’illusion libérale ", si tant est qu’il y ait illusion. S’il y en a une, en revanche, l’Union européenne y cède, elle, sans retour. Car c’est l’Europe seule, en définitive, qui nous entraîne vers le libéralisme et qui a forcé la France à sortir avec lenteur mais inexorablement de notre vieille ornière " social-étatiste ", selon l’expression de Guy Sorman . Ce qui est rejeté, en ce moment, dans les actes sinon dans tous les esprits, c’est bien plutôt l’illusion étatiste commune à presque tous les partis politiques en France.

Cela est fort bien analysé par Jacques Lesourne . Ancien directeur du journal Le Monde et président de l’association Futuribles, fondée par Bertrand de Jouvenel (l’illustre auteur de Vers l’économie dirigée), Lesourne est un économiste et un sociologue qui peut difficilement se définir comme un ultralibéral assoiffé de sang.

Avec un brin de provocation, et je dirai, pour ma part, de simplification, il soutient que, de la Libération aux années 1975-1980 environ, la France a été, sur le plan économique, ce qu’il appelle une Union soviétique qui a réussi. Cette réussite s’est faite, dit-il, autour de l’Etat, sous forme d’un compromis entre marxistes et chrétiens-sociaux. Elle s’est caractérisée par un vaste secteur public, le contrôle des prix, des salaires, des changes et de la circulation des capitaux, par l’encadrement du crédit et la réglementation du marché du travail. Ce modèle a coïncidé avec ces années qu’on appelle parfois les " Trente glorieuses ". Malgré les gigantesques erreurs commises, il a tenu, grâce à l’efficacité de l’administration française et à une marge d’initiative appréciable laissée aux entreprises privées. Aujourd’hui, dit Lesourne, ce modèle est hors d’usage, brisé, périmé. Pourquoi ? Parce qu’il est incapable de s’adapter aux deux grandes nouveautés de l’avenir : la mondialisation et la société d’information. L’événement historique auquel nous assistons en ce moment, c’est l’agonie du soviétisme à la française.

Lorsque le Secrétaire national du Parti communiste français, M. Robert Hue, souhaite que le gouvernement de la gauche dite " plurielle ", où figurent des ministres communistes, se dégage de " l’emprise libérale ", il anticipe audacieusement. S’il y a emprise, elle est encore étatique. Mais M. Hue exprime aussi des craintes fondées, de son point de vue, car l’érosion du soviétisme à la française, malgré les solides bastions de privilèges où il trouve encore refuge, a entamé un cours désormais irréversible.

L’économie de marché, fondée sur la liberté d’entreprendre et le capitalisme démocratique, un capitalisme privé, dissocié du pouvoir politique mais associé à l’Etat de droit, cette économie-là seule peut se réclamer du libéralisme. Et c’est celle qui est en train de se mettre en place dans le monde, souvent à l’insu même des hommes qui la consolident et l’élargissent chaque jour. Ce n’est pas que ce soit la meilleure ni la pire. C’est qu’il n’y en a pas d’autre – sinon dans l’imagination. C’est ce que voulait dire Francis Fukuyama dans sa Fin de l’Histoire en 1989. Il décrivait le " point final de l’évolution idéologique de l’humanité et l’universalisation de la démocratisation libérale occidentale comme forme finale du gouvernement humain ". C’est parce que son livre exprimait une vérité à la fois évidente et scandaleuse qu’il fut dans l’instant un succès mondial et par la suite un objet d’opprobre, dès que les fidèles de l’idéologie défunte se furent ressaisis. Car nul besoin qu’existe encore le choix possible d’un monde totalitaire en état de fonctionnement pour que ceux qui haïssent la liberté la combattent et cherchent à l’éliminer. Même une fois le monde totalitaire englouti, même lorsque ses partisans n’étreignent plus que le vide, ils continuent de vouloir détruire la liberté comme si son contraire constituait toujours une perspective plausible et un programme réalisable.

[…]

Alain Touraine, dans un livre lucide, paru au début de 1999, a bien cerné le contresens ou l’hallucination par lesquels on fustige comme étant du libéralisme ce qui en est le contraire. Dénonçant en particulier les contradictions de la gauche française, il avoue ne " voir vraiment pas comment la défense des statuts protégés ou de l’Etat en tant qu’acteur économique peut améliorer la situation des chômeurs ou aider à la création de nouveaux emplois ". La défense des statuts protégés, et, disons-le clairement, le renforcement des privilèges sont devenus les principales causes de ce que la gauche ose encore appeler des mouvements sociaux, alors qu’ils sont antisociaux. Touraine discerne avec perspicacité la duplicité de leurs acteurs et la naïveté de leurs victimes. " Ceux, déplore-t-il, qui voient dans l’appui massif de l’opinion publique à la grève [des services publics] de décembre 1995 le signe du renouveau des luttes de classes ou même de la combativité syndicale, prennent leurs désirs pour des réalités ". L’auteur suit ici le sage conseil de Karl Marx (rarement ou jamais suivi par les marxistes), à savoir de ne pas confondre la réalité avec l’idée que s’en font ou que veulent en donner les acteurs sociaux. Touraine raille donc les obnubilés qui qualifient d’ultra-libéral le modèle économique français. " N’est-il pas ridicule, écrit-il, d’entendre parler de libéralisme extrême dans un pays où l’Etat gère la moitié des ressources du pays, soit directement, soit à travers les systèmes de protection sociale, soit encore en intervenant dans la vie économique ? ".

Malheureusement une regrettable erreur typographique des services de fabrication de l’éditeur, cependant un des meilleurs de la place, a conduit à faire figurer sur la couverture de ce livre un titre manifestement destiné à un autre : Comment sortir du libéralisme ? Il ressort en effet de façon éclatante du contexte que les trois quart au moins des pays de la planète, et notamment la France, ne sont même pas entrés dans le libéralisme. Comment pourraient-ils en sortir ? Nous sommes, dit notre auteur, dans " l’étatisme le plus extrême " (p.111), " en particulier en 1995, quand la défense du secteur public fut élevée à la hauteur d’un devoir démocratique pour résister aux attaques d’une société civile (et surtout d’une économie) gouvernée, affirmait-on, par la seule recherche de l’intérêt particulier. Quelle image grotesque ! " On croirait lire du Frédéric Bastiat. Comme celui-ci, et dans la grande tradition libérale française, Touraine nous amène à penser que l’Etat est la source même des injustices et des privilèges plutôt que l’instrument permettant de les combattre. De tels passages achèvent de rendre odieux l’inexplicable mastic du titre. Ce mauvais tour joué à un si éminent sociologue français me révolte. L’a-t-on abusé ? Drogué ? Peut-être même torturé ? A-t-il cédé à des menaces ? A-t-il eu peur ? De quoi et de qui ? Ayant toujours entretenu avec Alain Touraine des relations fort cordiales, je me propose de fonder une association pour la défense de ses droits individuels et de sa liberté d’expression. Les " résistants " antilibéraux sont en effet capables du pire pour écarter le danger de la pensée unique. Un Nicaraguayen n’est-il pas allé jusqu’à " étrangler sa femme parce qu’elle avait des sympathies pour les libéraux " ?


Réaction : Revel encerclé par les rouges

par Laurent Joffrin

Ils sont là. Dans nos villes, dans nos campagnes, dans nos maisons et dans nos têtes, ils sont là : les rouges sont revenus. En Corée du Nord ? A Cuba ? En Chine ? Non, là, tout près, chez nous, dans nos journaux, nos revues, nos universités, ils sont revenus. Avec leur cortège d’idiots utiles - socialistes naïfs, intellectuels simplets, gauchistes enfièvrés, écologistes possédés, journalistes courbés -, les communistes ont rétabli leur diabolique influence. Les communistes ? Oui, les communistes ! Ceux de Robert Hue, ce rad-soc jovial ? Oui, non, enfin, c’est plus compliqué... En tout cas, Jean-François Revel, lui, les a vus. Aucun doute : ils sont là.

Sachant qu’il allait se heurter, tel David Vincent dénonçant les "Envahisseurs", à l’incrédulité de ses contemporains, il s’est lancé dans une longue traque à travers les essais, les éditoriaux, les chroniques radiophoniques, les débats télévisés. Il en a fait un livre, La Grande Parade, sous-titré Essai sur la survie de l’utopie socialiste. Une vaste entreprise de désinformation serait donc à l’oeuvre, qui n’aurait pour autre but que de ressuciter l’increvable et meurtrière utopie.
Elle se déroule en deux temps : on jette d’abord sur les crimes du communisme un voile d’amnésie bonhomme qui ne tend pas à les nier mais à les oublier progressivement. On dit d’un ton badin : "il y a eu beaucoup de morts, beaucoup d’erreurs, beaucoup de crimes, tout cela fut horrible", puis on passe à autre chose. On s’attache ensuite non pas à louer le communisme, tâche impossible, mais à diaboliser le libéralisme, alors qu’il apporte tant de bienfaits à l’humanité. Cette double tactique - amnésie d’un côté, diabolisation de l’autre - débouche sur la renaissance d’une gauche intolérante qui aura tout oublié et rien appris du désastre historique essuyé par le "socialisme réel". L’utopie n’est pas morte. Les communistes reviennent !

Parfois, il faut bien le dire, Revel n’a pas tout à fait tort. La diabolisation de l’économie de marché nous ramène à de mauvais souvenirs léninistes ou staliniens. Surtout, certaines polémiques menées au moment de la sortie du Livre noir du communisme apportent un peu d’eau à son moulin. Avec l’étrange désir de minimiser les crimes commis, qui se montent, on le sait aujourd’hui, à plusieurs dizaines de millions de morts, une partie de l’extrême-gauche - et même de la gauche - s’est evertuée à contester l’enquête scrupuleuse menée par les chercheurs français.
Entreprise dérisoire et inquiétante, en effet, comme si l’échec monstrueux de l’entreprise communiste devait être occulté, assourdi, banalisé à coups d’arguties et de polémiques subalternes. Aussi bien l’indulgence historique parfois témoignée aux bourreaux totalitaires débouche-t-elle immanquablement sur le mépris des victimes, alors qu’elles sont innombrables et souvent héroïques - paysans déportés, menchviks fusillés, ouvriers réprimés, libéraux massacrés, intellectuels torturés, dissidents emprisonnés, syndicalistes exécutés - et qu’elles ont droit à la même dignité que tout autre martyr de la liberté.

Mais ce ne sont là que justes remarques perdues dans un flot furieux. Revel est toujours brillant - c’est l’un de nos meilleurs polémistes - et, on l’a dit, il a parfois raison. Mais quand il nous vend l’horrifique histoire de la renaissance du monstre, il attige. Ainsi l’utopie communiste aurait survécu ? Où, quand, comment ? Les communistes russes ont abdiqué, les démocraties populaires se sont effondrées, les Chinois sont passés au capitalisme autoritaire. Restent les Vietnamiens, les Cubains, les Coréens : économie malade, bureaucratie décatie et prestige quasi nul.

Les communistes, dans les démocraties, survivent à la condition d’abjurer. D’Alema est plus à droite que Bayrou, les PC des pays de l’Est défendent un programme social-démocrate bon teint et le PCF participe à un gouvernement qui ancre la France dans l’espace démocratique européen. Autrement dit, on perçoit mal le sens des émois revéliens : il pointe un doigt fiévreux sur un ennemi en fuite, il crie à l’incendie en pleine inondation. Il veut relancer la croisade alors que Jérusalem est tombée depuis dix ans.

A moins qu’on ne le perçoive trop bien. Ce qu’il attaque, en fait, ce n’est pas la gauche communiste, c’est la gauche démocratique. D’abord en niant son rôle. Ce qu’oublie de dire Revel quand il fustige à raison les complaisances communisantes, c’est que l’un des anticommunismes les plus efficaces, et parfois les plus courageux, fut l’anticommunisme de gauche. Gide, Camus ou Koestler furent plus redoutables pour l’image de l’URSS que tous les écrivains réacs de leur temps. La dénonciation du goulag fut l’une des tâches prioritaires de journaux de gauche comme « Libération » ou... « le Nouvel Observateur », qui fut si longtemps mis à l’index par le Parti. La social-démocratie - on le lui a assez reproché - fut intraitable à l’heure de la confrontation Est-Ouest. Dans l’exécration léniniste ou stalinienne, les socialistes occupaient souvent le premier rang : Kautsky, Bernstein, Blum, Noske, Moch. Quant à Mitterrand, on sait qu’il n’embrassa le PC que pour mieux l’étouffer.

De même Revel oublie que la branche réformiste du mouvement ouvrier - dont il semble ignorer l’existence - a obtenu contre le communisme (et contre le libéralisme) des succès historiques insignes. Pendant les trente années de l’après-guerre, le modèle social-démocrate s’imposa à l’Europe : jamais on n’a connu dans l’histoire un tel enrichissement allié à une telle extension des protections sociales. Quoique frappé par la crise des années 80 et 90, ce modèle demeure une référence - et une réalité - pour des dizaines de millions de travailleurs qui n’ont cure des folies communistes et se méfient comme de la peste des potions libérales. On comprend le but de Revel quand il qualifie l’Etat-providence mis en place à la Libération de « soviétisme à la française » : ce qui le met en furie, c’est que la gauche démocratique n’ait pas sombré avec le communisme. Et s’il réinvente une fantomatique menace révolutionnaire, c’est pour discréditer toute idée de réforme.

Il n’y a pour Revel qu’une politique possible : celle du FMI et de Hayek. Tout le reste, c’est du soviétisme déguisé. Entre les communistes ressuscités et lui, il n’y a rien. Et si, quelque part, un naïf se prend soudain à songer qu’après tout le monde pourrait être meilleur, on verra surgir Revel agitant frénétiquement son goupillon et hurlant : « Goulag, goulag, vade retro ! » Au fond, il est d’accord avec Lénine : qui veut l’égalité doit tuer la liberté. Vouloir la justice sociale, c’est vouloir le goulag. Un siècle et demi d’histoire de la gauche démocratique démontre le contraire.

Laurent Joffrin, Le Nouvel Observateur du 9 mars 2000


Comment éluder un problème ? Ne pas en parler

Par Copeau

Il est permis d’être quelque peu surpris par l’éditorial de Joffrin.. A-t-il lu le livre, ou s’est-il contenté du compte-rendu qu’en fait Commentaire ou Le Monde ? Loin de prendre la défense de Revel, qui en règle générale n’en a pas du tout besoin, nous voudrions tout de même souligner le décalage un peu trop flagrant entre les dires de l’auteur de La Grande Parade et les remarques de Joffrin.

En premier lieu, il est piquant de lire dans le journal officiel de la deuxième gauche toutes ces (justes) allusions aux crimes du communisme. Le Nouvel Obs a-t-il toujours été un contempteur des pays de l’Est ? Ont-ils vraiment envie qu’on leur raffraichisse la mémoire ? Qu’on leur rappelle leurs reportages sur la Chine ou le Vietnam des années 1970, sur la Roumanie des années 1980 ? Sur la RDA, présentée comme le temple du socialisme démocratique quelques mois seulement avant sa déconfiture ? Très récemment encore, en 1995, la chaîne câblée Planète diffusait un prétendu documentaire en l’honneur d’un journaliste australien, maître incontesté de toutes les propagandes, à faire pâlir d’envie Gustave Le Bon : Wilfred Burchett [13]. Voici comment le supplément télévision des donneurs de leçons du Nouvel Obs annonçait l’émission : "Pour avoir dit la vérité, cet Australien sera banni" [14]. Quel bannissement ? En fait, aucun.. puisque Burchett n’avait plus la nationalité australienne depuis longtemps, étant devenu tantôt Cubain, tantôt Bulgare, tantôt nord-vietnamien.

Poursuivons l’anectode : Burchett affirmait que les Etats-Unis pratiquaient la guerre bactériologique en Corée. Prétendre, comme le fait l’hebdomadaire de la gauche caviar, qu’il "disait la vérité", c’est défendre une thèse qu’aucun parti communiste, pas même en ex-Union soviétique, n’ose plus avancer. "Malheureusement, poursuit le Nouvel Obs, l’intégrité, bien souvent, ne paie pas. C’est là tout le malheur de Wilfred Burchett, témoin privilégié de quarante ans d’histoire contemporaine". C’est donc un film qui "retrace la vie du grand journaliste australien. Véritable documentaire politique, il représente avant tout la parfaite antithèse du politiquement correct".
Comme le souligne à juste titre Revel, que la propagande soviétique et ses sbires occidentaux s’acharne à faire passer Burchett pour un journaliste indépendant en 1975, passe encore. Mais en 1995 ? Le cas Burchett n’est plus qu’un problème historique, non un problème d’actualité. Et pourtant le Nouvel Obs défend bec et ongles le flasificateur professionnel, pour la simple raison qu’il fut non seulement communiste, mais au service des organes de l’Internationale. La gauche démocratique ferait bien de balayer devant sa porte plutôt que de s’auto-encenser de manière peu pudique.

Plus fondamentalement, le texte de Joffrin met à l’oeuvre un mécanisme que Revel explicite justement très bien : la gauche est ontologiquement bonne, donc elle ne peut être coupable d’une quelconque collusion avec la barbarie. Que ce même Mitterrand ait pactisé avec le diable - bien avant que Marchais justifie, depuis Moscou, l’intervention soviétique en Afghanistan, faut-il le rappeler ? - ne suffit pas à lui porter un once de reproches. Rien. Qu’à peu près tous les intellectuels, que tous les descendants de la génération 68, aient vanté les mérites ultimes, économiques, politiques, sociaux, de la Chine de Mao et de ses successeurs, alors qu’aucun régime au monde, pas même (et de très loin) le nazisme, n’a autant massacré de populations innocentes, cela ne semble pas empêcher particulièrement de dormir M. Joffrin. Il est vrai que le mol oreiller des dîners du VIIe arrondissement fait admirer n’importe quelle eau-de-boudin.

Enfin, venons-en à l’essentiel : où Joffrin a-t-il vu que Revel, telle une Cassandre faisandée, annonçait le retour de la bête immonde, du vil communisme ? Il est si facile de tourner en dérision un essayiste qui n’a jamais été épargné par la gauche, sans se soucier de répondre aux vrais questions qu’il pose. Ce que dit Revel, c’est que la différence de nature que l’on croit trouver dans le communisme par rapport au nazisme n’est pas justifiée. Que le communisme n’est pas démocratique là où le nazisme était totalitaire. Il s’agit de deux totalitarismes aux innombrables points communs. L’historiographie lit le communisme non pas à l’aune de ses exploits, mais en fonction de ses seuls principes. Comme si on pouvait étudier le nazisme depuis le seul Mein Kampf. Ce tour de passe-passe permet à toute la gauche, largement associée au communisme, du moins en France et en Italie, de se dédouaner à bon compte de toute remise en question. Si Robert Hue est un sympatique "rad-soc", un centriste magnanime, ce qui prête à sourire, ses prédecesseurs étaient-ils des petits chanteurs à la croix de bois ? Mais alors, s’ils n’étaient pas si fréquentables, pourquoi le Nouvel Obs a-t-il soutenu l’alliance PS-PCF depuis Epinay ? Parce qu’il savait que cette alliance conduirait à l’effritement du PCF ? [15] Que dirait-il si, demain, la droite s’alliait avec l’extrême-droite pour les mêmes motifs ?

Terminons en laissant la parole à Revel :

"Lorsque je fus élu à l’Académie française (20 juin 1997), le quotidien Libération consacra un entrefilet à cette nouvelle, déclarant à mon sujet : "Il se compose dans les années soixante-dix un personnage réactionnaire, rugueux, paladin de l’anticommunisme". D’où il ressort qu’inversement, pour la gauche, avoir été communiste c’est avoir été progressiste. Et nous sommes en 1997 ! En dépit d’une indépendance revendiquée à l’égard d’un carcan intellectuel stalinien, la gauche non ou ex-communiste elle-même reste asservie à ses procédés d’étiquetage préparant le départ pour l’abattoir. Dans son for intérieur, elle considère encore l’anticommunisme comme un péché, le symptôme d’une prédisposition au fascisme, aggravée d’un léger dérangement cérébral."

Copeau


L’illustration est sous licence Creative Commons.

victims of nazism and comunism


[1Voir la page que consacrée sur ce site au discours de Staline

[2Le Monde, 18-19 juillet 1999

[3Le Malheur du siècle. Sur le nazisme, le communisme et l’unicité de Shoah, Fayard, 1998

[4L’anecdote est rapportée par le fils de Beria dans ses souvenirs sur son père. Segio Beria, Beria mon père. Préface, traduction et notes de Françoise Thom, Critérion, 1999

[5Le livre noir du communisme, p.530. Voir surtout J. Becker, Hungry Ghosts, Londres, John Murray, 1996. Trad. fr., La Grande famine de Mao, ed. Dagorno.

[6"Revelations on Mao’s famine : the great leap into death", International Herald Tribune, 18 juillet 1994.

[7Dépêche Reuter émise de Pekin, 23 décembre 1998. Voir également International Herald Tribune, 25 décembre 1998.

[8PO Box 631375, CA 95036 Etats Unis

[9Compte rendu complet de ce discours dans Le Figaro et l’International Herald Tribune des 19-20 décembre 1998.

[10Révélation du Washington Post, 1er janvier 1999.

[11"Les comptes fantastiques de la Chine", Annales des Mines, mars 1998.

[12"Les crimes impunis de la Chine", Libération, 24-25 avril 1999.

[13Voir La Grande Parade, p. 175-6.

[14TéléObs, 25/08/95.

[15Lequel effritement ne doit rien à Mitterrand. Arrêtons ces salades : tous les PC d’Europe ont subi la même érosion à la même période.

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