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Pauvreté et inégalités dans les pays industrialisés

jeudi 3 avril 2008

Néanmoins cette mesure a elle-même des effets redistributifs : d’une part, elle constitue une barrière à l’entrée sur le marché des grandes surfaces, ce qui augmente la rente de situation des grandes surfaces qui existent déjà. Cette rente est supportée par les consommateurs. D’autre part, elle constitue également une barrière à l’entrée sur les surfaces commerciales moyennes (hard discount alimentaires) qui sont ceux dans lesquels s’approvisionnent les ménages modestes.

Par conséquent l’originalité de ce plan consiste à faire payer les mesures appliquées par les pauvres.

Comment définir l’inégalité ? C’est généralement l’existence d’un écart entre les niveaux de revenus ou de richesses, ou dans les conditions de vie (éducation, protection sociale, etc.).

La pauvreté est alors l’existence d’un revenu inférieur à un seuil minimum déterminé. Mais ici deux approches se font jour : soit une approche absolue (la détention d’un revenu inférieur à un certain seuil), en tenant compte de la taille de la famille. Soit une approche relative (la détention d’un revenu inférieur à la fraction du revenu moyen, 50 % par exemple). Mais ces deux approches restent statiques. Pour en appréhender la dynamique, il faut corriger cette approche par des analyses en termes de mobilité sociale.

FAITS STYLISES

La tendance de long terme à la baisse des inégalités et de la pauvreté s’est interrompue depuis vingt ans. Mais cette rupture est variable entre les pays industrialisés.

Tout d’abord, on observe sur une longue période, une baisse des inégalités et de la pauvreté absolues. Trois causes en sont à l’origine :
En premier lieu, la croissance économique a comme effet direct la hausse du revenu moyen. Kaldor explique que la croissance économique profite exclusivement au facteur travail : il y a une hausse du stock de capital par tête, mais la rémunération du capital reste inchangée. Le salaire réel a été multiplié par 14 en un siècle, dans la mesure où la hausse continue du stock de capital par tête a entraîné une hausse de la productivité moyenne du travail. La rémunération du capital, mesurée par le niveau des taux d’intérêt, est, elle, restée stable.
En second lieu, la généralisation d’un système assuranciel a conduit à une meilleure protection des individus contre les risques sociaux.
Enfin, s’est développée une politique de redistribution verticale.

Cette évolution semble s’être interrompue depuis vingt ans. Ainsi en est-il aux Etats-Unis, où la pauvreté a constamment diminué jusqu’aux années 1970, pour s’accroître à nouveau de 4 % par an au début des années 1980. Ceci a coïncidé avec les deux récessions américaines de 1980 et 1981-2. Entre 1983 et 1990, en revanche, la pauvreté a diminué.

Quelle a été l’évolution des revenus du travail ?
On observe une hausse de la dispersion des salaires dans les années 1980 dans tous les pays industrialisés. (Etats-Unis, Canada, Australie, Grande-Bretagne, Suède aussi, ainsi que les Pays Bas).
On observe une baisse absolue de la rémunération des travailleurs les moins qualifiés dans plusieurs pays de l’OCDE (ainsi aux Etats-Unis, le premier décile a connu une baisse de 10 %). En Europe au contraire, la rémunération des travailleurs les moins qualifiés s’est accrue.
On observe une hausse du taux de chômage des salariés faiblement qualifiés dans les pays disposant de salaires minimums relativement élevés au regard des salaires moyens. Il y a une relation nette entre la dispersion des salaires et les performances en termes de création d’emplois. Quand la dispersion est élevée, la création d’emplois est forte. Les autres pays n’ont, eux, pas créés d’emplois (France).
On observe enfin un accroissement net du rendement marginal du capital humain : l’avantage marginal d’une année d’études supplémentaire augmente.

Mais les situations restent très différentes selon les pays :
Les inégalités de revenus et de richesses sont plus fortes aux Etats-Unis et dans les pays anglo-saxons qu’en Europe, notamment du Nord.
La pauvreté relative est plus forte aux Etats-Unis qu’en Europe. Car les inégalités sont plus fortes. Mais la pauvreté absolue est plus faible aux Etats-Unis que dans les pays européens, même du Nord. Car le niveau de vie moyen est bien plus élevé aux Etats-Unis.
La mobilité sociale est beaucoup plus forte aux Etats-Unis ; un cinquième de la population sort de la tranche des 20 % les plus pauvres chaque année.

Ces observations posent un questionnement sur l’efficacité de nos Etats-Providence. Sont-ce les politiques publiques qui ont creusé les inégalités ? Ou est-ce le changement de contexte économique qui a engendré cet effet ?

ELEMENTS D’INTERPRETATION THEORIQUE

L’économie du bien-être

En 1922, Pigou, dans The Ethics of Welfare, se donne pour objet d’évaluer l’impact des politiques publiques et des systèmes sociaux et économiques en termes de bien-être social. Il aboutit ainsi à la détermination de systèmes de régulation économiques et sociaux et à des politiques publiques qui permettent d’obtenir le niveau le plus élevé de bien être. Son approche positiviste du bien être est composée de deux éléments : le niveau de revenus et la répartition de ce revenu.

L’économie du bien être fonde ainsi deux théorèmes :
En premier lieu, l’équilibre de marché assure une allocation des ressources optimale (au sens de Pareto), ou permet d’atteindre le niveau maximum de revenus pour un niveau de ressources et de techniques donné. La détermination des quantités et des prix des facteurs de production et des biens est effectuée par des décisions individuelles, décentralisées. Tous les prix résultent de la variation de l’équilibre entre l’offre et la demande sur tous les marchés. Ces prix constituent l’agrégation de décisions individuelles décentralisées. (1) Par conséquent, l’équilibre de marché représente le niveau de bien-être maximal. Là, les consommateurs maximisent leur utilité : pour chaque bien, l’utilité marginale de la dernière unité consommée est égale à son prix. Comme l’utilité marginale d’un bien est décroissante, le consommateur consomme des biens qui tendent vers l’utilité marginale.

La situation est identique pour les producteurs : il y a production d’une quantité de biens telle que pour chaque bien le coût marginal soit égal à son prix.

Par conséquent, pour chaque bien l’utilité marginale est égale au coût marginal. Et les utilités marginales relatives des différents biens, sont égales aux coûts marginaux relatifs et aux prix relatifs de ces différents biens.

L’équilibre général assure que l’économie produise les biens correspondant aux utilités et demandes des consommateurs. L’utilité totale de la consommation de chaque bien est maximale : Um = prix de chaque bien. Donc l’économie produit un certain montant de biens qui permet de maximiser l’utilité des consommateurs et des producteurs.
La répartition des ressources entre les agents : il est possible de modifier la répartition des revenus, des ressources, tout en conservant une situation Pareto-optimale. A une condition : utiliser des taxes ou des transferts non distordants ou forfaitaires. Sous différentes hypothèses, toute allocation de ressources efficiente est obtenue à partir d’un équilibre concurrentiel. Ceci a trois implications : en premier lieu, il existe donc une infinité d’équilibres efficients, se caractérisant tous par une répartition des ressources différente entre les agents ; ensuite, n’importe quelle répartition de revenus peut être obtenue à partir de mécanismes de marché. On peut passer d’une répartition à une autre par des taxes ou transferts forfaitaires ; enfin, si les taxes ou transferts sont distordants, on entre dans un dilemme efficience / équité.

En quelques mots, on peut observer que le premier théorème est une démonstration de la main invisible : l’économie de marché est le mode de régulation permettant d’atteindre le niveau maximum de richesses et de revenus.

Le second théorème montre que les objectifs d’efficience et d’équité sont totalement indépendants l’un de l’autre, orthogonaux. Il n’existe aucun dilemme de politique économique entre efficacité et équité, à condition d’utiliser les instruments économiques qui permettent ce découplage : toute division des revenus peut être atteinte dans le cadre d’une économie de marché.

La théorie normative de la redistribution

Cette théorie vise à déterminer ce que doit être une redistribution optimale permettant de maximiser le niveau de bien-être. Quels sont les arguments avancés pour modifier la répartition des revenus par rapport à ce que fait l’économie de marché ?
Un argument d’efficience : une répartition des revenus inéquitable, avec des inégalités excessives ou une pauvreté excessive, a des effets négatifs sur l’économie. La situation est alors sous-optimale : la pauvreté freine l’accumulation du capital humain. Il y a de plus un impact négatif sur la cohésion sociale. Lorsqu’elle se dégrade, la situation traduit des conflits sur le partage de la valeur ajoutée. Et ceci se solde toujours de la même façon : un groupe d’agents supporte les conséquences de ce conflit : ce sont les chômeurs. On a donc un niveau de chômage structurel plus élevé.

D’autre part la recherche de l’efficience a toujours des effets redistributifs : Kuznets souligne que la croissance économique n’est jamais neutre sur la distribution des revenus. La croissance a toujours des effets redistributifs car elle entraîne toujours des mutations sectorielles (progrès technique, recherche de gains de productivité). Et la concurrence fait qu’il y a des gagnants et des perdants. Par conséquent, lorsqu’on recherche une plus grande efficience, la société va globalement y gagner, mais il y aura toujours des perdants. Il faut donc que les gains des gagnants soient supérieurs aux pertes des perdants. C’est ici un principe de compensation qui vise à rechercher la plus grande efficience en se soumettant à la concurrence. La redistribution prend un peu aux gagnants pour que tout le monde gagne. On revient ici au second théorème de l’économie du bien-être : le découplage entre l’économique et le social.
Un argument d’équité : mais d’abord, comment définit-on l’équité ? C’est une distribution des ressources conforme aux préférences collectives, aux conceptions de la justice que se fait une société à un moment donné. Mais cette définition reste insuffisante. Il existe quatre manières de concevoir l’équité :

Pour les économistes classiques anglais d’abord, de Bentham à Stuart Mill, l’équité résulte de la maximisation de l’utilité de chacun. C’est la redistribution des revenus qui permet cette maximisation car l’utilité marginale du revenu est décroissante : au fur et à mesure que le revenu augmente, l’utilité qu’on en tire est décroissante. Par conséquent, pour eux, une redistribution vers les pauvres maximise le bien être de la société.

Pour Hayek ensuite, une redistribution de revenus dans une société ne peut pas être qualifiée d’équitable ou inéquitable. Car le juste ou l’injuste ne s’applique qu’à un acte individuel volontaire d’un individu. La distribution des revenus existe : c’est la résultante de toute l’agrégation d’actes individuels.

Nozick pense, lui, qu’il est possible de considérer qu’une distribution des revenus puisse être juste ou injuste. Il faut qu’elle résulte d’une situation où les droits de propriété soient respectés. Il faut donc que la puissance publique garantisse les droits de propriété. C’est une négation des politiques de redistribution.

Enfin, John Rawls considère que derrière le voile de l’ignorance, l’équité est une situation dans laquelle on maximise la situation des plus démunis. Rien ne permet de compenser une détérioration de la situation des plus démunis.

L’équité est donc le fruit de quatre approches :

Une approche verticale : elle correspond à une distribution verticale des revenus conforme aux préférences collectives de la société à un moment donné. Une politique de redistribution verticale est donc possible si la société le veut. C’est donc une notion relative, variable dans l’espace et dans le temps. Une politique de redistribution verticale ne permet donc pas d’avoir comme objectif pertinent l’égalisation totale des niveaux de revenus et de richesses. C’est non seulement impossible : ce n’est pas souhaitable (Rawls).

Une approche horizontale : c’est à la fois considérer que les politiques publiques doivent traiter de façon identique les agents dans des situations comparables (si les cotisations s’allongent dans le temps, les prestations doivent être plus élevées) ; et c’est également considérer que cette équité se traduit par la mise en place de mécanismes d’assurance permettant aux individus de se prémunir contre les risques affectant leur revenu (c’est le cas des politiques de redistribution horizontale entre les ménages ayant un même niveau de revenus mais confrontés à des situations différentes sur le plan des maladies, de la vieillesse, du chômage).

Ces deux premières approches justifient la mise en place de politiques de redistribution : il faut qu’elles soient découplées. Les deux autres approches ne justifient pas, elles, de telles politiques :
L’approche intertemporelle, qui affirme que les politiques publiques doivent traiter de façon identique deux agents disposant sur leur cycle de vie du même revenu actualisé. La fiscalité par exemple ne doit donc pas biaiser les choix intertemporels des agents (arbitrage consommation – épargne). Cette approche montre que le principe d’Haig-Simons est contraire à l’équité intertemporelle : il définit la base taxable en terme de revenu global (pour reprendre la formule de Hicks, " ce que l’on peut dépenser sans s’appauvrir "). Haig et Simons veulent taxer également le revenu du travail et le revenu du capital. Plus une personne épargnera, plus son taux d’imposition sera fort sur son cycle de vie. Il est par conséquent plus judicieux, comme le disent le tenants de l’approche intertemporelle, de taxer faiblement les revenus du capital ou revenu épargné. La base conforme à l’équité intertemporelle c’est la consommation, qu’il faut taxer à un taux progressif.
L’approche intergénérationnelle enfin : chaque génération a un stock de capital par tête au moins égal à celui de la génération précédente. La théorie de la croissance soutenable souligne ainsi que le stock de capital environnemental est plutôt fini ; le stock de capital environnemental par tête ne peut donc que se réduire au fil du temps. Il faut alors que le stock de capital humain et de capital physique par tête compense la dégradation du stock de capital environnemental par tête, ce qui suppose que les différentes formes de capital sont substituables, grâce au progrès technique. Mais cette approche concerne également la politique budgétaire, la politique fiscale, d’autres politiques publiques (financement des retraites, etc.). Cette approche repose sur un critère absolu s’imposant à la société.

LES INSTRUMENTS

La redistribution verticale implique d’intervenir dans les mécanismes de formation des prix. Les pouvoirs publics ont une gamme d’instruments très large. Par exemple en réglementant différents prix (loyers, taux d’intérêt, salaire minimum, etc.), en modifiant les prix relatifs (protectionnisme sur divers secteurs), par la fiscalité également (on peut ainsi modifier les prix relatifs du capital et du travail, modifier la consommation présente par rapport à la consommation future, le travail par rapport aux loisirs).

Il faut se méfier de la modification des prix relatifs par la subvention : c’est une perte de bien être dans la mesure où les agents consomment de façon croissante tel bien subventionné. Par conséquent, l’utilité marginale pour l’individu est inférieure au coût marginal pour la société, comme le montre le schéma suivant :

Soit une subvention accordée à un organisme d’HLM.

Sans subvention, le prix du loyer est de 1000 F. Le point d’équilibre est B (Um=prix=Cm)
Avec une subvention de 500 F, le loyer n’est plus que de 500 F. Le nouveau point d’équilibre est E. En E, l’utilité marginale pour le locataire est de 500 F, mais le coût pour la société est de 1000 F. La perte de bien être collectif est le triangle BCE.
(Coût pour les pouvoirs publics : ACED ; Gains pour le locataire : FED)

D’autre part, les transferts forfaitaires visent à assurer un revenu minimum ; mais ils ont une limite : les trappes à pauvreté. C’est le cas lorsqu’une hausse du revenu avant impôt et cotisation et transfert engendre une diminution de revenu après impôt – cotisation et transfert, ou se traduit par aucun gain de revenu. Cinq mécanismes peuvent conduire à de telles trappes : la forte progressivité de l’IRPP lors de l’entrée dans le barème ; les transferts sociaux sous conditions de ressources ; les transferts sociaux exonérés de l’IRPP, l’existence d’un salaire minimum et enfin le salaire minimum reposant sur le principe d’une allocation différentielle.

Un mécanisme permet de supprimer les trappes à pauvreté tout en maintenant le principe d’un revenu minimum : l’impôt négatif. Milton Friedman défend cette théorie : ce n’est pas une allocation différentielle, mais on ne transfère qu’une fraction des revenus du travail supplémentaires. (Ainsi pour des revenus passant de 0 à 1000, le transfert passe de 2500 à, disons, 1000 x 0.5, soit 2000). Quelque soit la hausse des revenus du travail, les revenus après transfert augmentent constamment.

QUELLES SONT LES CAUSES DE LA PAUVRETE ?

Les causes de la croissance des inégalités et de la pauvreté dans les pays industrialisés durant ces vingt dernières années sont donc :
D’une part des facteurs tenant aux politiques publiques : l’existence de trappes à pauvreté, d’un salaire minimum, de l’élévation du niveau moyen d’éducation ;
D’autre part des facteurs macroéconomiques : l’apparition d’un chômage de masse ; le ralentissement de la croissance (d’où un ralentissement de la hausse du revenu moyen), ce qui conduit à un effritement de l’acceptation sociale des politiques de redistribution ; et l’évolution divergente de la demande de travail qualifié par rapport à la demande de travail non qualifié (du fait de l’impact des échanges internationaux et du progrès technique).
Enfin, des facteurs tenant à l’interaction entre facteurs macroéconomiques et les politiques publiques : plusieurs politiques publiques ont diminué la pauvreté et les inégalités, mais après 1973 elles ont été un facteur d’augmentation de ces inégalités et de la pauvreté. Ainsi le salaire minimum était un instrument de redistribution des revenus du travail. Il constituait un plancher à la rémunération du travail. Mais aujourd’hui, le SMIC ne joue plus du tout ce rôle car les personnes rémunérées au SMIC ont une productivité qui est peu ou prou égale au SMIC. (Car si leur productivité marginale était inférieure au SMIC, ils seraient au chômage). Donc le SMIC ne joue plus le rôle d’un salaire minimum ; c’est aujourd’hui le rôle du RMI. Le SMIC est une barrière à l’entrée sur le marché du travail.

CONCLUSIONS DE POLITIQUE ECONOMIQUE

Il convient d’opérer par une stratégie fondée sur trois volets :
La recherche d’une croissance plus forte
Et d’une croissance plus riche en emplois
Et la refonte complète de nos politiques publiques : il faut remplacer le RMI par un impôt négatif, élever le niveau moyen d’éducation mais donner une qualification à ceux qui n’en n’ont pas.

Notes

1 : la " décentralisation " en économie conduit à une situation où les décisions relèvent des agents privés.

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