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Sexe, mensonges et vide-ordures

lundi 7 avril 2008

Etaler sa sexualité, y compris et surtout de façon ordurière, est devenu très à la mode ces derniers temps. Le loft en est à sa deuxième éjaculation, et les producteurs, inquiets (et on les comprend) de la courbe apathique de l’audimat, prennent les mesures qui s’imposent : animatrices ultra sexy, voyeurisme de supermarché et même, du haut d’une imagination qui force le respect, émissions consacrées à ceux-qui-n’y-sont-pas mais-qui-auraient-pu-y-être...

Mais seulement voilà : malgré tous les efforts consacrés à ce lourd dessein, la baise sur le canapé ou dans la piscine ne suffit plus à assouvir l’appetit vorace de ceux qui en demandent encore plus, toujours plus.

Alors mieux vaut, pour se sustenter, feuilleter (d’une main ?) les pages de l’autobiographie de Catherine Millet (1). Alors que la vérité sexuelle d’un être est toujours furtive, obscure, celle dont nous sommes témoins chez Mme M., à coups d’érections vicariantes et de pénétrations exotiques, d’éjaculations chatoyantes et de sodomies luxuriantes, vous a des airs de CAC 40 propres à décourager jusqu’aux plus amateurs de la chose.

Mais bon, Le Monde nous a dit que ce livre X marque une formidable avancée de la libération de la sexualité féminine, alors les séides médiocres, les soudards de la pensée unique, les adeptes aux petits pieds du grand prêtre Mode, seul et unique dieu de l’Olympe, répètent, en rang et au pas, la vérité révélée, celle qui ne souffre ni de commentaire, ni d’interprétation, celle que l’on se doit, afin d’être comme-il-faut, répéter et répéter encore, face à tous les beaufs que nous sommes. J’avoue que, pour ma part, dans la photo de Catherine Millet accroupie, nue et casquée, recevant un coup de bottes dans les fesses, la libération de la sexualité féminine m’avait un peu échappée. Heureusement pour moi, Le Monde a rétabli, à lui seul et d’un trait de plume, l’ancien et le nouveau testament. Ce journal n’a même pas besoin de dire pour ordonner, il lui suffit d’être. On le compare à l’ascendant des intellectuels francs maçons du début du siècle, et on a tort ; son pouvoir est bien plus grand. On le compare à l’influence des grands monarques et on a tort. Nul pouvoir séculaire ne peut lui être comparé. Seul le pouvoir tutélaire de la papauté est à sa hauteur. Nous avons en lui notre Vatican, notre Mecque. Comme des majeurs encore sous curatelle, nous éprouvons donc le besoin non d’apprendre ou de connaître, mais de savoir en le lisant ce qu’il faut dire et penser. On se plaint de l’obscurantisme religieux, de l’islamisme tout particulièrement, et à juste titre. Mais notre obscurantisme n’est pas moins grand. Le Monde est la Mode, et la Mode est Le Monde. Bouvard et Pétuchet, Pétuchet et Bouvard.

Que nous disent-ils, formant un choeur vicelard en nous demandant de soulever la jupe des sexualités, afin de nous dévoiler ses secrets les plus intimes — et les moins râgoutants ? Que Catherine Millet est la nouvelle Sade. Ceci vaut pour tout commentaire en effet, puisque depuis trente ans le monde artistique et littéraire s’extasie devant la prose sadienne, d’un ennui mortel, et jette dans les fossés de l’histoire (ceux des deux millions de morts cambodgiens) les tortures infligées à Melle Keller.

Janine Mossuz-Lavau, nouvelle caissière de La Vie sexuelle en France, prétend découvrir nos pratiques du haut de quelques entretiens glanés ici ou là. Et pour notre comptable, ce qui importe, c’est ce que fait Paul, Moustapha, Francis ou Odile, ce qui a pour moi autant d’intérêt qu’un entretien, chez Mme Dumas ou M. Delarue, avec un transsexuel du Carpentras. Ce qui fait sens pour elle, c’est l’existence (pas du tout avérée) d’un continuum entre le coït anal de machin, l’éjac faciale de truc, la partouze associant parents, enfants et voisins, et le coït frontal de deux époux légitimes. L’idée d’une révolution sexuelle, d’un changement global et généralisé des pratiques de nos semblables est très à la mode : c’est même, avec le salaire des cadres, le véritable maronnier des hebdos bobos, Nouvel Obs en tête.

Seulement voilà : la réalité de la vie sexuelle donne un tableau autrement plus sombre, voire tragique, des difficultés rencontrées par certains à seulement avoir une vie sexuelle. S’il y a eu des changements, pour reprendre le langage de notre caissière Mossuz-Lavau, c’est uniquement dans le sens d’une plus grande difficulté et d’une désaffection croissantes d’une part croissante d’hommes en matière de sexualité. Son tableau comparatif passe sous silence les contradictions éprouvées par la plupart d’entre-nous dans l’exercice de la fonction sexuelle, les troubles qui l’empêchent ou l’entravent, la part de refoulement et de souffrance qui l’accompagne. La libération sexuelle se heurte à cette évidence que la névrose et les perversions ont pout but de contourner : on ne maîtrise pas le désir, ni le sien, ni celui de l’autre.

On va même jusqu’à nous dire que le multipartenariat compulsif et le sexe immédiat des homos s’explique par l’existence d’une répression sociale à leur encontre. Comme si le rapport au corps et à l’autre était le même dans l’hétérosexualité (même à partenaires multiples) et dans l’homosexualité. C’est passer un peu vite sous silence que les composantes perverses (sadisme, masochisme, fétichisme, voyeurisme, exhibitionnisme, ..), présentes dans la sexualité de chacun, se rencontrent beaucoup plus souvent chez les homosexuels, et sont alors souvent exclusives de toute autre pratique. L’humanité, aujourd’hui comme hier, se partage entre hommes et femmes, et non entre homos et hétéros (qui ne sont, d’après Mossuz-Lavau, que des homos qui s’ignorent ou se contiennent).

La condamnation du désir

Mais il y a plus que cette escroquerie de (pseudo) sociologue : il y a un cadre normatif, juridique, aux desseins sournois, qui vise, par la loi, à modifier considérablement, et dans un sens fortement négatif, nos comportement sexuels. On pénalise les détenteurs d’images pédophiles, on renforce la répression du harcèlement et on introduit pour la première fois dans notre code pénal la condamnation des clients des putes. Dans les trois cas, où seul le premier me semble légitime, une même question est posée : que veut-on interdire ? le désir, ou l’acte par lequel il se traduit ?

N’y a-t-il pas contradiction entre la promotion d’une liberté sexuelle (fantasmée) et cette répression très marquée ?

Le délit de harcèlement sexuel a été élargi de façon subreptice, en catimini, par la loi de "modernisation sociale" du 17 janvier 2002. Le délit concerne à présent le comportement non seulement des supérieurs hiérarchiques, mais des collègues de travail (sur l’influence de notre même Mossuz, qui en voulait beaucoup à l’un de ses collègues de l’Université). Le harcèlement sexuel n’est plus lié désormais à la détention d’une autorité sur la victime, mais au comportement de toute personne poursuivant un but sexuel à l’égard de collègues de travail. Jusqu’ici, le harcèlement sexuel ne résultait pas de la proposition sexuelle en tant que telle, mais des éventuelles sanctions prises par l’auteur de celle-ci à l’encontre de celle (ou de celui) qui la refuse. La nouvelle loi est grosse de risques immenses : où passera demain la limite entre asymétrie désirante et exploitation sexuelle ? Quand le rôle actif de celui qui désire et la position passive de celui qui est désiré deviennent-ils domination et soumission ? Inviter à prendre un café une collègue serait-il un "agissement dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle" ?

En matière de prostitution, à la faveur de la sortie de Plateforme, le dernier Houellebecq, on a vu ressortir masquées les vélléités féministes ; elles se sont drapées des oripeaux d’une indiscutable protection de l’enfance. Mais les partisans d’une pénalisation du client de la prostitution ont alors entretenu une confusion délibérée entre celle des enfants et celle des adultes. La loi rend désormais délictueux le rapport avec un(e) prostitué(e) agé(e) de 15 à 18 ans. La peine maximum est de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende. On n’est plus dans le cas de pédophilie (la majorité sexuelle est en France de 15 ans, mais qui le sait ?), et l’auteur du délit n’est pas non plus forcément une personne majeure, ou un parent ou encore une personne chargée d’une autorité. Autrement dit, la personne prostituée est considérée comme mineure sexuelle bien que majeure. Et son client comme majeur, même s’il est civilement mineur. En outre, toute personne prostituée ayant entre 15 et 18 ans est désormais réputée non consentante, même si le cas relève de "l’atteinte sexuelle sans violence, contrainte, menace ni surprise" et non de l’agression, et même si cette personne exerce cette activité régulièrement.

Allons droit au but : la rédaction de la loi est telle qu’il suffira, lors de la prochaine vague de puritanisme féministo-répressif, d’ajouter ... "et de X années lorsque le client aura recours à une personne prostituée ayant plus de 18 ans". Ainsi sera décalquée la loi américaine ou suédoise criminalisant l’ensemble des clients de l’ensemble des prostitués.

Que sanctionne-t-on quand on va au-delà des deux seuls tabous qui justifient les restrictions à la liberté sexuelle : âge du partenaire et consentement ? A travers le harcèlement et la prostitution, voudrait-on réprimer le désir lui-même et son expression agie ? Il faut le reconnaître, le désir sexuel est toujours violent pour une part, unilatéral souvent, harcelant parfois. Il s’impose à son objet comme d’ailleurs à celui qui l’éprouve. Les violences sexuelles doivent être sanctionnées, mais la violence du sexe ne saurait être éradiquée.

C’est clairement la sexualité majoritaire, centrée sur le désir masculin pour la femme considérée, on ne sait pourquoi, comme intrinsèquement passive et objet, qui est visée. C’est-à-dire la sexualité qui n’élude pas la différence des sexes. En revanche, les formes infantiles ou régressives de la sexualité, ne sont non seulement pas interdites, mais au contraire, ce sont elles qui alimentent les fantasmes et scénarios de la littérature et du cinéma dits "libérés". Comme il y eut naguère un réalisme socialiste en peinture, il y a aujourd’hui en France un roman réaliste sexualiste. Mais ces représentations hypersexuelles ont un trait commun : l’horreur de la sexualité. Ce sont les composantes les plus archaïques qui sont montées, où le rapport sexuel se réduit à une fascination pour la "viande", qui a remplacé l’ancienne et chrétienne détestation de la chair. Il n’est donc pas étonnant que cette profonde horreur de la sexualité, c’est-à-dire de la différence des sexes, se traduise par une double série de représentations : un précipité de fantasmes régressifs et un souci de supprimer le désir sexuel lui-même. L’insoutenable désir de l’autre, voilà l’ennemi. Cette désexualisation des rapports humains, passionnément souhaitée par tant d’entre nous et exigée par la frange radicale des féministes, se met inexorablement en place. Le "nouvel ordre sexuel" est un nouvel ordre matriarcal (2).

Mais à contre-sens de ce mouvement vers une sexualité dont le désir et la violence seraient bannis, on enregistre dans les représentations une peur croissante de chaque sexe envers l’autre (3) et aussi, dans les banlieues, le retour d’une conception ultramachiste du rapport hommes-femmes (4). Il y a de quoi être inquiets.

Bientôt, se retirant dans un hideux royaume
La Femme aura Gomorrhe et l’Homme aura Sodome,
Et, se jetant de loin, un regard irrité,
Les deux sexes mourront chacun de leur côté.

Alfred de Vigny, La Colère de Samson.

Notes

1 : Catherine Millet, La Vie sexuelle de Catherine M., Le Seuil, 2001.

2 : Voir Michel Schneider, Big Mother, Odile Jacob, 2002.

3 : Les romans de Houellebecq sont une tentative désespérée d’affirmer la sexualité des hommes dans un monde féminisé.

4 : On connaît les cas nombreux de tournantes qui font la une des journaux à sensation.

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