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TGV : les lignes nouvelles sont des gouffres financiers

lundi 26 juillet 2010

Sans surprise, puisque les négociations étaient entrées dans une phase d’exclusivité suite à l’appel d’offres jugé fin mars dernier, c’est un groupement dirigé par Vinci qui va construire la ligne de TGV entre Tours et Bordeaux, appelée LGV sud, dans le cadre d’un "partenariat public privé", montage juridique présenté comme une grande avancée du modèle socio-économique français. En fait, la ligne LGV est un grand gaspillage de plus lié à notre fétichisme pro-ferroviaire, et que le bénéficiaire des largesses de l’état soit une entreprise privée plutôt qu’un tonneau des danaïdes publics (RFF) n’est qu’une très mince consolation.

Quelques chiffres

La ligne LGV viendra en remplacement de l’actuelle ligne Tours Bordeaux, partagée par tous types de trains. Cette ligne spécifique de 303 km entièrement nouvelle permettra aux trains parcourant la liaison Paris Bordeaux de gagner 50 minutes de trajet.

Cette ligne coûtera la bagatelle de 7,8 Milliards d’Euros à construire, en supposant qu’aucun dépassement ne soit constaté au final, ce qui serait tout à fait étonnant sur un projet de cette nature. Sur ces 7,8 milliards, 4 seront apportés par l’état et 3,8 par le groupement Vinci. Vinci se rémunèrera en faisant payer un droit de péage à la SNCF et d’éventuels autres opérateurs de train (on peut toujours rêver), dont elle espère officiellement tirer 250 millions d’Euros annuels pendant 35 ans.

Le principe de l’appel d’offres était simple : chaque groupement devait estimer le coût global du projet, et celui qui demandait à l’état la subvention la plus faible remportait la mise. En demandant 4 milliards "seulement", Vinci a devancé ses concurrents.

Autrement dit, en supposant que Vinci ne se soit pas trompé dans ses prévisions, pour que le projet soit rentable sans subvention, il faudrait qu’il coûte 3,8 milliards. Comme il coûtera deux fois plus, on peut donc considérer qu’une ligne de TGV gérée au mieux entre la capitale française, forte de 10 millions d’habitants, et une grande ville de province, le tout dans une zone sans difficulté géographique particulière ne nécessitant aucun ouvrage d’art hors normes, ne couvre que la moitié de ses coûts d’investissement et de fonctionnement.

La seule relative bonne nouvelle est qu’au moins, une fois la subvention d’investissement payée, le fonctionnement de la voie ne devrait pas être à la charge du contribuable. J’emploie le conditionnel, car nul doute que Vinci, si l’exploitation tourne moins bien que prévu, saura faire pression sur l’état - "des sous ou j’arrête tout !" - pour obtenir des compensations.

4 Milliards de subvention, c’est...

4 Milliards de subventions, sans lesquels le projet ne se serait pas fait, constituent bel et bien un cadeau à Vinci et ses alliés. Dans le groupement, d’ailleurs, figure la caisse des dépôts, ce qui permettra de garantir une partie des sommes empruntées par l’état en dernier ressort : Les taux d’intérêts préférentiels ainsi négociables constituent un autre cadeau, moins médiatisé il est vrai, de plusieurs millions chaque année pendant toute la durée d’amortissement des emprunts nécessaires au projet. Mais restons en au chiffre déjà en lui même considérable de 4 milliards d’Euros, 26 milliards de Francs pour les anciens.

4 Milliards pour 303 km de voies nouvelles, c’est à peu près un quart de ce que chaque année, l’état et toutes les collectivités locales (conseils généraux et mairies) mettent dans l’entretien et l’amélioration du réseau routier non concédé de toute la France (plusieurs centaines de milliers de km), ainsi que dans son fonctionnement (interventions sur accidents, déneigement des routes majeures, etc...). Et encore ce chiffre de 16 milliards d’Euros date-t-il de 2006, depuis, la crise et le Grenelle sont passés par là, et la route a été la grande perdante des coupes budgétaires que les entités publiques ont dû, fort logiquement, entamer. A relief égal, on peut estimer que 7,8 milliards permettraient de financer 1300 km de routes à 2X2 voies nouvelles, dont le service rendu à la mobilité des français serait infiniment supérieur.

Rappelons qu’en France, les recettes de la route (taxes spécifiques et péages payés par les automobilistes, pour un total de 40 milliards) couvrent largement ses coûts, "externalités" comprises (26 Milliards), alors que les recettes spécifiques du système ferroviaire ne suffisent visiblement pas à en équilibrer les comptes, un appel au budget général étant nécessaire pour boucler les fins de mois, à hauteur de 12 milliards d’Euros de subventions annuelles, ce chiffre n’incluant évidemment pas la LGV.

RFF, un simple instrument de dissimulation comptable de l’insoutenabilité financière du rail

250 millions de recettes de péages pendant 35 ans suffiront à Vinci & co. pour amortir SA dépense initiale de 3,8 milliards. Mais si les 303 km avaient dû être intégralement payés de leur poche, ce sont environ 515 millions annuels que l’exploitant de ligne aurait dû récolter pour rentrer dans ses frais. On peut donc affirmer que si RFF était aussi bien gérée qu’une entreprise privée bien établie, comme Vinci, elle devrait encaisser de la part de la SNCF (qui est l’exploitant quasi unique des lignes aujourd’hui), une somme annuelle de 1,7 millions d’Euros par an et par km de lignes TGV spécifiques existantes, sans inclure les lignes mixtes TGV+autres trains (en mettant de côté les surcoûts liés aux régions à fort relief) pour rentrer dans ses frais. Fin 2009, le réseau RFF comportait 1875 km de LGV existantes. La redevance annuelle d’équilibre pour ce seul réseau devrait donc s’établir à 3,19 Mds €. Or, c’est un peu plus que ce que la SNCF verse à RFF pour... La totalité de son réseau (3Mds/an), qui compte 29 000 km au total, de lignes de toutes caractéristiques !

Selon Wikipedia (je reconnais qu’il existe des sources plus fiables...), RFF dépense annuellement 5,3 Milliards pour son réseau HORS DEPENSES DE DEVELOPPEMENT, et cela est très loin d’être suffisant pour empêcher la décrépitude de son réseau régional. Bref, RFF n’est qu’un outil comptable visant à faire croire que la SNCF équilibre son exploitation, alors que l’activité ferroviaire dans son ensemble est destructrice nette de valeur.

Grenelle ferroviaire, Waterloo fiscal

Le Grenelle de l’environnement prévoit la mise en service de 2 000 km de lignes de TGV nouvelles, soit 1700 en plus de celle dont nous parlons ici. Naturellement, des lignes aussi indispensables que Poitiers-Limoges, dont le potentiel de trafic est beaucoup moins élevé que celui de Bordeaux-Paris, en admettant que leur coût de construction soit identique à celui de la LGV Tours Bordeaux, nécessiteront un pourcentage de subventions bien plus fort que 52% pour être acceptables par un opérateur privé. Comme l’a fait remarquer le professeur Prud’homme dans un article de "la tribune" (d’Avril) qui ne semble hélas pas librement accessible, la liaison LGV Tours-Bordeaux est sans doute une des "plus rentables", ou plutôt la "moins déficitaire", parmi celles envisagées par le Grenelle. Les autres nécessiteront par conséquent des subventions d’investissement plus élevées, sans parler de celles qui emprunteront des reliefs difficiles, comme celle qui ira vers Nice. On peut donc supposer de façon très conservatrice que les 1700 km restants nécessiteront au moins 25 milliards d’Euros de subventions publiques à des opérateurs privés de voies ferrées pour pouvoir être envisagés.

Je n’ai rien contre Vinci en particulier, ni contre ses confrères qui participeront aux autres lignes LGV, mais l’idée que 25 milliards de nos impôts vont servir à permettre à des groupes privés de s’assurer des revenus récurrents qu’ils n’auraient pu envisager sans notre petit coup de pouce me rend particulièrement maussade, surtout en ces temps où les hypothèques qui pèsent sur les finances publiques se révèlent particulièrement angoissantes.

Tout ça pour quels bénéfices ? Nous l’avons vu, le gain de temps entre Paris et Bordeaux sera d’environ 50 minutes, que l’on arrondira à 1 heure. Qui utilise le TGV ? A pratiquement 50%, des cadres et CSP+, alors qu’ils représentent moins de 10% de la population. Autrement dit, ce sont les contribuables de toutes conditions et de toute situation géographique d’aujourd’hui et de demain qui permettront au boboïde germano-pratin et au notable du bordelais de multiplier la fréquence de leur rencontres. Merveilleux exemple de redistribution sociale, non ? Nous noterons également avec ravissement un gain de 23 minutes entre Paris et La Rochelle, dont les bienfaits économiques n’échapperont à personne.

Il est assez délicat de trouver des estimations de trafic précises avant et après la mise en service, RFF ne communiquant pas sur ce point, à moins que je ne cherche mal. Cet article de France Soir note une "prévision de trafic global sur la ligne" de 20 millions de passagers par an, mais en incluant les trajets Paris-La Rochelle, Bordeaux-Tours, etc... Soit 3 millions de plus qu’actuellement du fait du "report modal" entre l’avion et le TGV.

D’ailleurs, je goûte assez peu aux calculs "d’externalités positives" du genre de celui ci : "Paris Bordeaux a un trafic annuel de 5 millions de passagers (approximation), ils vont gagner une heure, à 20 Euros de l’heure (Salaire Net Médian + Charges), cela représente un gain de 100 millions d’Euros, auquel il faut ajouter les 2 millions de nouveaux voyageurs, etc..." - Le temps de voyage dans les trains actuels n’a pas une valeur de zéro, sans quoi il ne serait pas entrepris, et le temps "économisé" sur des voyages qui sans TGV n’aurait de toute façon pas été entrepris, est une notion qui me parait sujette à caution, surtout lorsque le TGV subventionné se substitue à une alternative privée aérienne.

Et ne me parlez pas d’économies de CO2 : Outre que le CO2 - qui n’est pas un polluant, faut il encore le rappeler ? - n’a qu’une importance tout à fait secondaire climatiquement parlant, quoiqu’en disent Al Gore, JL. Borloo et consorts, quand bien même il en aurait, toutes les lignes de TGV ouvertes n’ont quasiment pas infléchi les courbes d’augmentation du trafic routier, et la contribution du transport aérien aux rejets hydrocarbonés est tellement négligeable que ce n’est pas la substitution de quelques avions entre Mérignac et Orly par des TGV qui va changer quoi que ce soit de signifiant à la quantité de CO2 rejetée en France.

Et que l’on ne vienne pas me dire, comme le fait RFF, que "ça va créer des emplois" : les 4 milliards de la LGV ou les 25 milliards de subvention versées aux voies nouvelles du "Grenelle", s’ils n’avaient pas été pris aux contribuables, auraient servi à autre chose, et leur retour dans un circuit économique purement privé serait indubitablement plus porteur d’effets économiques vertueux.

Mais que serait la France sans le TGV ?

"Mais, malheureux, que serait la France sans le TGV ?", me demanderez vous ? Car si l’on pousse mon raisonnement à l’extrême, le TGV n’existerait sans doute pas, en tout cas sous sa forme actuelle. Or, on ne peut nier que le TGV a profondément transformé, de par les opportunités qu’il a fait naître, le territoire français.

Et alors ? La France d’aujourd’hui serait seulement différente de celle façonnée par l’aménagement du TGV, cela ne signifie pas pour autant qu’elle serait moins désirable. Les pays qui n’ont pas créé de lignes de TGV en 1980, comme nous l’avons fait, ou dont les trains rapides le sont moins que les nôtres, ne se sont pas, que je sache, des déserts caractérisés par un haut niveau de sous développement marqué par rapport à la France. Sans intervention publique, la SNCF se serait restructurée, des opérateurs de car privés auraient fait revivre le transport collectif local aujourd’hui moribond dès que l’on quitte la zone de chalandise des grandes agglomérations.

Quant au transport de passagers longue distance, les trains classiques encore rentables grâce à des efforts de gestion professionnelle se seraient adaptées par des évolutions technologiques moins spectaculaires, mais financièrement soutenables, tels que des trains à moyenne vitesse dits "pendulaires" capables de réutiliser autour de 200km/h les voies existantes. En outre, le transport aérien régional aurait sans doute connu des évolutions que la concurrence subventionnée du TGV a rendues impossibles.

Enfin, les milliards qui ne seraient pas allés à la SNCF ou à RFF auraient fructifié ailleurs. Les potentialités que le TGV à transformé en opportunités ne se seraient certes pas matérialisées, mais d’autres, que nous ne connaîtrons pas, auraient bourgeonné.

Les subventions massives au transport ferroviaire, qu’il soit rapide, lent, national ou local, constituent de mauvaises allocations de ressources qui ont elles-mêmes engendré d’autres allocations de ressources tout aussi discutables par les agents économiques publics ou privés, telles que la transformation de villes de province comme Vendôme en gigantesques cités-lotissement dortoir. Le problème est que si, comme c’est hélas cruellement envisageable dans les prochaines années, la subvention à la SNCF s’arrête brutalement pour cause de cessation de paiement de l’état, rendant impossible la continuation de l’exploitation de certaines lignes, tous les aménagements privés qui ont été conçus en fonction de la présence du TGV risquent de se révéler eux mêmes totalement inadaptés.

Conclusion

La constitution d’un partenariat public privé pour l’exploitation de la LGV Tours Bordeaux ne fera pas de miracle, l’arrivée d’un opérateur privé dans l’exploitation des voies ne peut transformer un projet non rentable en miracle, elle ne peut que limiter le préjudice infligé aux contribuables.

La douloureuse, bien que moins élevée que si les budgets publics devaient en plus payer pour le fonctionnement de l’investissement une fois réalisé, n’en sera pas moins considérable. L’opération montre que même avec un exploitant réputé sérieux, un bassin de clientèle intéressant, et une altimétrie sans difficulté majeure, un projet de transport ferroviaire longue distance ne peut au mieux couvrir que 50% de ses coûts. Et inutile de dire que ce pourcentage sera très inférieur pour des liaisons de montagne telle que la liaison Lyon Turin, vieux fantasme technocratique que certains nous annoncent pour le début des années 20 !

Quel que soit la fierté que l’on puisse éprouver devant la performance technologique que représente le TGV, la vérité est cruelle : le développement du TGV est une bien mauvaise affaire financière et l’argent public qui sert à le subventionner serait bien mieux employé s’il était laissé dans l’économie purement privée.


Lire également :

Sur Ob’Lib’ :
- En finir avec le grand fantasme ferroviaire
- Pas de développement durable sans profits

Ailleurs :
- (PDF) Eurostat, panorama of transports (part de marché du ferroviaire en Europe : 6 à 8% des passagers x km)
- IFRAP : Comptes et légendes de la comptabilité de la SNCF


Voir en ligne : TGV : les lignes nouvelles sont des gouffres financiers


Article repris du blog de Vincent B

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