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L’inflation, un facteur méconnu de destruction de notre prospérité

vendredi 6 août 2010

Les politiques monétaires sont l’une des questions les plus difficiles en économie. Mais aussi, je crois, un sujet d’une importance absolument cruciale pour notre prospérité.

Comme vous le savez tous, la Banque du Canada a haussé la semaine dernière son taux directeur d’un quart de point à 0,5%. Beaucoup de spéculation avait été soulevée au cours des dernières semaines à propos de cette décision de finalement hausser les taux après les avoir tenus à un plancher record pendant plus d’un an. Et comme à l’habitude, il y aura beaucoup de spéculation concernant les prochains gestes de la Banque. Jusqu’où ira-t-elle ? Avec quelle rapidité ?

Toutes ces suppositions sur la fixation des taux d’intérêt n’a rien à voir avec le capitalisme et le marché libre ; cela a plutôt à voir avec la planification centralisée et le contrôle de l’État sur la masse monétaire. Dans un marché monétaire libre, le taux d’intérêt serait déterminé par la demande de crédit et l’offre d’épargne, tout comme n’importe quel autre prix dans l’économie.

Le contrôle de l’État sur la monnaie a de lourdes conséquences dont peu de gens semblent conscients.

L’une d’entre elles est que les banques centrales augmentent constamment la quantité de monnaie en circulation dans l’économie. Au Canada par exemple, selon la définition la plus stricte de la masse monétaire, celle-ci a augmenté de 6 à 14% par année ces douze dernières années. C’est à peu près la même situation dans les autres pays.

Cette création de monnaie à partir de rien a pour effet de déprécier la valeur de notre monnaie et de faire grimper les prix considérablement. Les prix augmentent non pas parce que les entreprises sont avides de profit, ou parce que les salaires augmentent, ou parce que le prix du pétrole augmente. En dernière analyse, seule la banque centrale est responsable d’avoir créé les conditions pour une hausse des prix en imprimant toujours plus d’argent.

La Banque du Canada a une cible d’inflation de 2% depuis une quinzaine d’années. Cela peut sembler minime, un taux d’inflation moyen de 2% par année. Mais 2% de dépréciation année après année, ça finit par s’accumuler. Ainsi, de 1990 à aujourd’hui, l’inflation au Canada a été au total d’environ 45%. Cela signifie que votre dollar vaut aujourd’hui moins de 70 cents si on le compare à celui de 1990.

Comme l’a admis le président de la Réserve fédérale lui-même, Ben Bernanke, l’inflation est l’équivalent d’une taxe. Une taxe parmi les plus insidieuses, qui touche le plus directement ceux qui sont le moins capables de la payer. Cette taxe gruge notre pouvoir d’achat, nos revenus et nos épargnes.

Il est vrai que la plupart d’entre nous obtiennent des augmentations de salaire qui compensent la perte de pouvoir d’achat. Mais tous ceux dont les revenus n’augmentent pas aussi vite que les prix s’appauvrissent.

Plusieurs groupes d’intérêt, y compris les gouvernements, adorent le crédit facile. Il existe un penchant intrinsèque, dans le cadre de la politique monétaire, en faveur de plus bas taux d’intérêt. Mais cela aussi a des conséquences qu’on n’avait pas nécessairement souhaitées.

L’une d’elles est que cela incite les gens à épargner moins, parce que le rendement sur l’épargne est plus bas. Et ils ont plus tendance à s’endetter, parce que le crédit devient plus facile à obtenir.

C’est justement ce qui se passe au Canada, aux États-Unis et ailleurs dans le monde depuis 20 ans. En 1990, l’endettement total des ménages canadiens en pourcentage de leur revenu disponible était de 90%. Aujourd’hui, ce ratio d’endettement a atteint 144%, un sommet de tous les temps.

S’endetter semble être devenu un mode de vie. Heureusement, la dette publique au Canada se situe à un niveau raisonnable. Mais comme on peut le voir à travers le monde, plusieurs pays tels que la Grèce sont maintenant au bord de la faillite parce qu’ils sont devenus trop dépendants du crédit facile.

L’inflation monétaire crée toutes sortes de distorsions dans les marchés et est également la cause du cycle de booms artificiels et de récessions que traverse notre économie.

Il est devenu très clair que ce cycle n’est pas une faille inhérente au système capitaliste, comme beaucoup de gens le croient. Il est plutôt provoqué par les politiques des banques centrales, comme nous l’ont expliqué il y a longtemps des économistes comme le lauréat Nobel Friedrich Hayek.

Souvenez-vous : nous avons eu la bulle des dotcom à la fin des années 1990. Lorsque cette bulle a éclaté, Alan Greenspan a inondé les marchés de liquidités. Entre 2001 et 2004, la Réserve fédérale a réduit les taux d’intérêt jusqu’à 1%.

Si vous tenez compte de l’inflation, les taux d’intérêt réels étaient en fait négatifs. C’est comme si on subventionnait les gens pour les encourager à s’endetter. Mais on le sait tous : vivre sur la carte de crédit, ça ne peut pas durer indéfiniment !

Nous avons alors eu une autre bulle, qui s’est amplifiée avec l’aide du gouvernement américain. Celui-ci a incité les banques à accorder des prêts hypothécaires à risque et a encouragé ses concitoyens à acheter des maisons qu’ils ne pouvaient pas réellement se payer.

Vous connaissez le reste de l’histoire. Ces prêts ont été transformés en titres et revendus sur le marché un peu partout dans le monde. Les institutions financières à travers le monde qui détenaient ces titres se sont retrouvées en difficulté lorsque des propriétaires sont devenus incapables de payer leur hypothèque et que le prix des maisons a commencé à baisser.

En 2007, cette bulle de l’immobilier a elle aussi commencé à se dégonfler. Et depuis, les banques centrales ont de nouveau abaissé les taux d’intérêt pratiquement jusqu’à 0%. Ça veut dire qu’encore une fois, les taux d’intérêt réels sont négatifs, puisque les prix augmentent plus vite que cela. Les banques centrales ont inondé les marchés financiers d’argent et ont permis aux gouvernements de s’endetter de façon vertigineuse pour éviter une récession.

Il est vrai que la croissance économique semble être de retour. Mais dans quelle mesure peut-elle se maintenir durablement ? Comment les gouvernements et les ménages rembourseront-ils toute cette dette, sinon en coupant dans leurs dépenses ? Certains pays décideront-ils de monétiser leur dette et ainsi d’engendrer une forte inflation ? Avons-nous créé de nouvelles bulles dans d’autres secteurs qui entraîneront une autre récession mondiale lorsqu’elles éclateront ? Et si cela arrive, quelles sortes de plans de relance pourrons-nous adopter si nous croulons sous les dettes ?

Malgré tous ces effets négatifs de l’inflation, la plupart des économistes et des commentateurs semblent croire qu’un peu d’inflation est une bonne chose. Et ils nous disent que la déflation, c’est-à-dire une diminution des prix, serait un désastre pour l’économie. Mais c’est faux.

Commençons par le gros bon sens et ce qu’on peut observer dans notre vie quotidienne. Est-ce que vous, comme consommateurs, préférez acheter des biens qui sont moins chers ou plus chers ? Je pense qu’on connaît tous la réponse à cette question !

Nous sommes tous des consommateurs, et nous en bénéficions tous lorsque les prix baissent. Si nous pouvons débourser moins pour un bien, ça veut dire que nous avons de l’argent de surplus pour acheter d’autres biens.

L’activité économique ne s’arrête pas à cause de ça. Ça signifie simplement que nous pouvons acheter plus de choses avec la même quantité de dollars. Et un pouvoir d’achat plus grand nous permet à tous de jouir d’un plus haut niveau de vie.

En réalité, il n’y a rien de bien mystérieux à propos des conséquences d’une baisse de prix. Pensez aux ordinateurs.

Il y a quinze ans, ils étaient gros, pas très performants, contenaient peu de gadgets et coûtaient beaucoup plus cher qu’aujourd’hui. Depuis, les prix dans l’industrie informatique n’ont pas arrêté de baisser à chaque année.

Est-ce que les gens ont cessé d’acheter des ordinateurs ou ont attendu des années avant d’en acheter un nouveau pour profiter de prix encore plus bas ? Absolument pas. Au contraire, plus les prix baissent, et plus il se vend d’ordinateurs.

Imaginez une situation où les banques centrales ne manipulent plus la masse monétaire. Au lieu d’augmenter constamment de 6 à 14% par année, comme cela a été le cas ces dernières années au Canada, la quantité de monnaie dans l’économie reste fixe.

À chaque année cependant, on devient un peu plus productif. On crée de nouveaux biens et services. On trouve de nouvelles méthodes pour les produire plus efficacement. La technologie s’améliore. Et s’il y a une croissance de la population, il y a aussi plus de gens qui travaillent.

Il y a donc de plus en plus de biens et services disponibles dans l’économie, mais la même quantité d’argent pour les acheter. De toute évidence, les prix vont devoir baisser pour s’ajuster. Si l’économie croît, disons, de 3% par année, alors que la masse monétaire augmente de 0%, il y aura nécessairement une déflation des prix.

Notez bien que dans une telle situation, les entreprises peuvent toujours faire des profits, parce que leurs coûts aussi diminuent.

Ce n’est pas seulement de la théorie. C’est ce qui s’est passé à plusieurs reprises au 19e siècle, à une époque de développement économique rapide. Quand il n’y avait pas de banque centrale et que la monnaie était calculée en quantité d’or ou d’argent métallique.

La déflation n’est pas une menace à notre prospérité. Dans un contexte de quantité de monnaie stable, c’est au contraire le résultat de notre prospérité !

La prospérité, ça n’a rien à voir avec la quantité d’argent qu’on possède, mais plutôt avec la quantité de biens qu’on peut se procurer. Et si l’on peut acheter plus de biens avec la même quantité d’argent parce que les prix baissent, on est plus prospère.

Voilà pourquoi la crainte de voir les prix baisser n’est pas fondée. Et les interventions des banques centrales pour empêcher une baisse de prix pourraient créer plus de tort que de bien à l’économie.

Compte tenu de tout cela, que devrions-nous faire ? Je pense que d’ici quelques années, nous devrons tenir un véritable débat sur le retour à l’étalon-or.

Mais d’ici là, il y a d’autres mesures plus immédiates à discuter, telles que la cible d’inflation de la Banque du Canada. L’entente sur cette cible d’inflation entre la Banque et le ministre des Finance est fixée pour cinq ans et doit être renouvelée l’an prochain, en 2011. La Banque étudie différentes solutions de rechange à la cible actuelle de 2%.

J’ai été très heureux de voir que la Banque a déjà rejeté une suggestion faite dans un rapport du Fonds monétaire international l’hiver dernier d’augmenter la cible à 4%. La logique du FMI est entièrement fondée sur l’idée que les banques centrales devraient avoir plus de flexibilité lorsqu’elles tentent de manipuler les taux d’intérêt et la quantité de monnaie dans l’économie. Selon ce point de vue, si au début d’une crise l’inflation et les coûts d’emprunt sont plus élevés, cela permettra aux banques centrales de réduire encore plus agressivement les taux d’intérêt et de les laisser à un faible niveau plus longtemps si nécessaire pour encourager la consommation.

C’est un peu comme si on cherchait à guérir un drogué en lui donnant des injections de drogue plus fortes. Le problème est justement qu’il y a déjà trop d’inflation et trop de manipulations de la monnaie par les banques centrales. La solution est d’en avoir moins, pas plus.

Une autre des solutions proposées est de cibler l’atteinte d’un certain niveau de prix sur une plus long période plutôt qu’un taux d’inflation chaque année. Ça voudrait dire que si par exemple une année le taux d’inflation est de 1%, la Banque essaierait l’année suivante de faire augmenter les prix de 3% au lieu de simplement revenir à 2%. Elle chercherait à maintenir un taux moyen d’inflation à travers le temps et compenserait les déviations du passé par des déviations en sens inverse.

Laissez-moi reformuler tout ceci différemment selon ma propre perspective. Le taux d’inflation n’était que de 1% l’année dernière. Nous aurions dû déprécier la monnaie de 2% pour être en bonne voie d’atteindre le niveau de prix visé. Donc, cette année, créons encore plus de monnaie à partir de rien de façon à ce que le dollar perdre 3% de sa valeur. Cela compensera pour la dépréciation insuffisante de l’année dernière. Ça semble absurde ? Je pense aussi que ça l’est.

Si nous devons nous fixer une cible d’inflation, je crois que la solution la plus appropriée et la plus réaliste à ce stade est de la fixer à 0%. Cela diminuerait en effet la capacité de la Banque du Canada de stimuler artificiellement l’économie. Il ne pourrait plus y avoir de taux d’intérêt réels négatifs comme nous en avons en ce moment, puisque le taux officiel de la Banque ne peut pas aller sous zéro. Mais comme je l’ai expliqué, les manipulations monétaires font partie du problème, pas de la solution.

Pour maintenir l’inflation à 0%, la Banque devrait mener une politique monétaire beaucoup plus prudente et ferme. Cela aurait pour effet de réellement préserver notre pouvoir d’achat. Cela préviendrait les cycles de booms et récessions que nous avons récemment traversés. Cela éviterait la distorsion des prix que l’inflation engendre dans toute l’économie. Et cela faciliterait la planification financière des individus et des entreprises, tout en augmentant l’efficacité de notre économie.

En août dernier, le gouverneur de la Banque du Canada, M. Mark Carney, déclarait : « la contribution la plus directe que la politique monétaire puisse apporter à la bonne tenue de l’économie consiste à donner à nos citoyens et citoyennes l’assurance que leur monnaie conservera son pouvoir d’achat. »

Une cible d’inflation de 0% atteindrait exactement cet objectif, en plus d’affirmer clairement que l’inflation en elle-même est quelque chose de mauvais. Qu’il y a peut-être quelques avantages immédiats à déprécier notre monnaie mais que cela apporte toujours des maux à plus long terme.

Un tel changement constituerait un grand pas dans la bonne direction.

Je suis sans doute un rêveur, mais je pense que les questions monétaires devraient être un sujet chaud ! La révision actuellement de la cible d’inflation de la Banque du Canada est un excellent moment pour avoir ce type de débat. J’espère que davantage de Canadiens s’intéresseront aux effets de la cible d’inflation sur notre pouvoir d’achat, notre niveau de vie et, en conséquence, sur notre vie en général.

Merci.


Voir en ligne : L


Article repris du site de l’Institut Economique Molinari.

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