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Assurance maladie : vers des paiements de libération

lundi 7 avril 2008

En quoi l’assurance s’articule-t-elle avec le risque ? En réalité, l’assurance existe par les différences d’aversion pour le risque qui existent entre les individus, mais aussi et surtout entre les individus et des organisations collectives (sociétés d’assurance, compagnies publiques ou privées). En conséquence, l’assurance se définit comme un transfert du risque des plus vers les moins averses au risque.

A contrario, la mutualisation s’analyse de la façon suivante : les individus, sur lesquels pèsent un risque identique, ne supportent dans le cadre de la mutualisation que le risque moyen — qui est d’ailleurs d’autant moins risqué que le nombre d’individus est grand et que les risques sont indépendants (selon la loi mathématique des grands nombres).

Assurance ou mutualisation ? tout dépend en réalité de la conception que nous avons du contrat social lié au risque santé. On oppose classiquement deux figures modernes en la matière.

En premier lieu, Léon Bourgeois parlait, en 1866, de réciprocité directe, fondant un quasi-contrat social implicite (à la manière des contrats implicites de la pensée néo-keynésienne contemporaine). Le principe en est le suivant : j’ai reçu des générations passées / je donne aux générations actuelles et futures, en fonction de considérations morales et éthiques, et non d’un quelconque utilitarisme.

A contrario, Rawls s’est opposé, dans sa célèbre Theory of Justice (1971) à de telles considérations morales et non scientifiques. Pour lui en effet, la justice sociale n’est autre que celle des individus placés dans une situation originelle, derrière le "voile d’ignorance". La redistribution n’est possible qu’à la condition d’améliorer le sort du plus défavorisé. Rawls n’a donc pas besoin de contrat ou de quasi-contrat intergénérationnel (1).

Plaçons-nous dans le cadre épistémologique de Rawls, afin de considérer la pertinence de l’assurance d’un point de vue non moral ou éthique mais en terme d’efficacité. Dans ce cadre, une première observation nous semble devoir être la suivante : l’assurance contre le risque long est d’une nature bien différente de l’assurance contre le risque court. En effet, et c’est le cas de l’assurance-maladie, dans le cadre du risque long, de nouvelles informations pertinentes au calcul du risque sont révélées au cours de l’exécution du contrat. Si l’assureur a des informations lui indiquant que le risque s’est aggravé pour un assuré donné, il aura la volonté de résilier le contrat ou d’en conclure un nouveau avec une prime plus élevée. Une seule parade semble envisageable, en première analyse : celle qui consiste à interdire à l’assureur de tirer profit d’informations nouvelles survenues pendant la durée du contrat.

Cela étant, une telle solution reste largement illusoire si, de son côté, un assuré peut résilier son contrat, ou du moins le renégocier, dans l’hypothèse inverse où le risque effectif s’avère pour lui moindre que celui envisagé lors de la signature du contrat initial. Or peut-on interdire aux assurés de changer d’assureur ? de renégocier leur contrat en cas d’informations favorables ? Ceci reviendrait à empêcher aux individus de faire jouer la concurrence une fois le contrat signé, et cela n’inciterait pas non plus les assureurs à faire quelque effort de productivité que ce soit.

Il n’existe en réalité, face à un tel dilemme, que deux solutions envisageables. L’une d’elles justifie l’intervention publique en matière de risque maladie ; l’autre, que nous privilégierons, applique les lois du marché à ce même risque.

L’intervention publique est une solution logique pour contrer ce dilemme. En effet, le principe de l’assurance publique, collective et obligatoire, impose deux dimensions aux "assurés publics" : d’une part, par l’assurance publique, le risque maladie est couvert dès la naissance (en fait, même avant) ; d’autre part, cet engagement de "l’assuré public" est à la fois irrévocable et non renégociable. Les deux conditions réussissent donc à contrer le dilemme du risque maladie évoqué plus haut.

Mais il existe une autre solution, alternative, plus complexe mais sans doute mal ou pas du tout connue du plus grand nombre. C’est la raison pour laquelle nous insistons sur celle-ci et allons vous la présenter plus en détail.

Il s’agit de la formule dite du paiement de libération. Cochrane, en 1995, explique ainsi qu’un contrat de long terme (— et l’assurance publique couvrant le risque maladie n’est rien d’autre qu’un contrat de long terme) peut être remplacé par une succession de contrats de court terme.

A la fin de chaque contrat de court terme, un paiement de libération intervient. Ce dernier est égal à la différence de prime actuarielle entre les individus. Un individu assuré ayant appris, au cours de l’exécution de son contrat de court terme, l’aggravation de son risque (ce qui accroît sa prime actuarielle) recevra une somme lui permettant de payer cette hausse. D’où provient cette somme ? des individus devenus, eux, de bons risques.

En effet, l’assuré devenu en cours de contrat de court terme un bon risque devra a contrario payer à l’assureur une somme libératoire égale au gain de prime dont il bénéficiera sur le contrat suivant. Une fois ce paiement libératoire réalisé, l’assuré sera libre de changer ou non d’assureur, et l’assureur libre de prolonger ou non le contrat. Il est possible de représenter ce mécanisme par le schéma suivant :

Les plus sagaces auront sans doute compris les problèmes posés par un tel mécanisme : comment, en effet, faire payer les bons risqueurs en 1 ? Il existe une solution simple : elle consiste à faire payer à chaque individu, dès la première période (0), une somme permettant de couvrir les primes d’assurance correspondant à l’évolution la plus défavorable de son risque. Mais, pas plus que tout à l’heure, il n’est possible d’imposer aux individus un tel paiement, qui aurait par ailleurs le considérable défaut de contraindre ces mêmes individus à emprunter dès l’origine des sommes considérables pour s’acquitter de telles primes.

Mais il existe une autre solution, avancée par Cochrane au demeurant : elle consiste à établir un compte spécifique géré par chaque agent, et qui ne pourrait être utilisé que pour payer des primes d’assurance maladie. Ledit compte serait débité, ou au contraire crédité, selon que l’évolution du risque pesant sur l’individu est favorable ou défavorable, d’un montant égal à la variation de la prime actuarielle affectée aux contrats de court terme dont nous parlions plus haut.

Un tel mécanisme semble à la fois répondre aux considérations spécifiques du risque maladie, et aux mécanismes du marché. Et permet de résoudre le problème posé par Rosanvallon dans La Nouvelle question sociale en 1995, celui lié au déchirement du voile d’ignorance de Rawls, du aux progrès, chaque jour plus nombreux, de la médecine prédictive. L’avantage du marché sur l’intervention publique tient précisément en ce que le premier est plus apte à générer des alternatives face au changement. Le marché est plus réactif que l’Etat.

Notes

1 : En fait il est même absolument impossible d’appliquer le principe de différence de Rawls aux solidarités entre les générations.

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