Contrepoints

Accueil > Philosophie > L’intérêt général dans la pensée ultralibérale

L’intérêt général dans la pensée ultralibérale

Préambule

mardi 13 novembre 2007

Préambule : L’Etat, médiateur entre la pensée et la pratique de l’intérêt général.

L’objet de ce préambule est de réunir le corps principal du mémoire (’l’intérêt général dans la pensée ultralibérale’) à l’annexe réalisée quelques mois plus tard (’l’intérêt général dans la pratique ultralibérale’). Pour ce faire, quoi de plus naturel que d’avoir choisi comme thème ’l’Etat’ : en effet l’Etat est le médiateur, l’instrument, qui permet d’articuler la pensée et la pratique de l’intérêt général.

Voici donc une brève réflexion sur l’Etat. On abordera, dans un premier temps, la notion d’Etat en des termes très généraux ; puis, dans un second temps, la conception qu’en ont les ultralibéraux.

L’Etat…

Contrairement aux recherches portant sur la réalité physique qui ne tolèrent pas la cohabitation de paradigmes différents, les recherches en sciences sociales ont la réputation d’être plus ouvertes et d’accepter la multiplication des points de vue. Faisant face à une réalité bien plus complexe, les chercheurs en sciences sociales ne peuvent se persuader qu’un seul paradigme suffira à cerner le problème. Ils sont donc obligés d’accepter des visions de la réalité sociale bien différentes.

Ainsi la notion d’Etat, dont la définition par les scientifiques est concurrencée par celle qu’en donnent les politiques, est une des plus riches en concepts et approches différentes. Il ne s’agit pas, dans ces quelques lignes, de tenter vainement une énumération exhaustive de ces différentes approches. On essaiera plutôt d’en élaborer une qui, bien que sommaire, nous permettra de poser un cadre solide, préparant ainsi notre réflexion sur la vision de l’Etat propre aux ultralibéraux.

L’Etat est une structure administrative résultant d’un procesus historique…

Les multiples tentatives d’explication historique de l’Etat ne s’accordent pas véritablement sur une date (même imprécise) censée marquer sa naissance. Ainsi Bernard Charbonneau considère Rome comme le premier Etat alors que Bertrand de Jouvenel insiste sur l’impact de la révolution française et la rationalisation administrative dirigée par Napoléon. De son côté, Pierre Rosanvallon fait des mesures hygiénistes prises au 19ème siècle la marque d’un premier interventionnisme annonçant l’Etat moderne.

Point d’entente donc, si ce n’est pour affirmer que l’Etat, compris comme une structure administrative imposante, s’est lentement dégagé de la société. En quoi à consisté ce processus historique de longue haleine ? Les trois auteurs insistent sur la puissance croissante de l’Etat : l’augmentation du pouvoir militaire impressionne les deux premiers alors que le dernier étudie les interventions toujours plus efficaces de l’administration sur la société civile.

S’attacher à décrire l’emprise croissante de l’Etat sur la société par le biais de l’administration est intéressant. Indispensable, même, si l’on veut se pencher sur un problème au cœur des politiques ultralibérales : l’interventionnisme économique. Mais il faut remonter plus haut pour saisir la nature même du phénomène administratif. En quoi consiste le processus historique dont résulte l’administration, base de l’Etat moderne ?

… qui consiste en une dépersonnalisation des rapports de pouvoir,….

La société, et plus particulièrement les hommes qui animent les rapports de pouvoir en son sein, précède l’Etat : nous venons de voir que celui-ci n’apparaissait qu’après une longue évolution. Quelle est la différence entre la société non étatique et la société étatique qui lui succède ?

En suivant Max Weber -qui nous guidera à plusieurs reprises dans nos recherches- nous apprenons que c’est la dépersonnalisation des rapports de pouvoir qui marque la différence entre les deux sociétés. Alors que le pouvoir politique reste, au sein de la première, prisonnier de rapports d’individus à individus, il est, dans la seconde, bien plus organisé et efface les individus derrière leur fonction. Le pouvoir, en se bureaucratisant, se rationnalise : tout y est pré-réglé.

Cette dépersonnalisation des rapports de pouvoir, qui n’est autre que la mise en place d’une organisation politique survivant aux individus, a été étudiée par des penseurs allemands et, à leur suite, par Maurice Hauriou dans sa théorie de l’institution.

…c’est à dire en la création d’une institution politique.

Maurice Hauriou définissait une institution comme "une organisation dans laquelle le pouvoir est subordonné à la fonction". L’individu s’y voit attribuer un statut et un rôle, il est inscrit au sein d’une structure hiérarchique qui le dépasse et qui détermine ses pouvoirs. S’il existe plusieurs types d’institutions (de plus ou moins grande échelle, privées ou publiques), l’institution administrative (chargée des problèmes politiques de la société globale) est belle et bien la marque de l’Etat moderne.

Mais au-delà de la dépersonnalisation des rapports de pouvoir, l’institution est aussi caractérisée par l’idée qui la domine et la dirige. En effet, "une institution sociale est une entreprise dont l’idée domine tellement le personnel des agents qu’elle est devenue pour eux une œuvre à accomplir". Qu’est-ce à dire ? Pour Maurice Hauriou, le phénomène d’institution se décompose en cinq phases principales : 1/ une idée d’œuvre est lancée par quelques individus, 2/ cette idée se propage, un groupe de gens l’assimile et aspire à sa réalisation, 3/ dans ce groupe s’élève un pouvoir qui s’empare de la domination pour réaliser l’entreprise, 4/ un débat historique s’engage et débouche bientôt sur une définition des rôles et des statuts (c’est à dire sur la constitution d’une organisation), 5/ cette organisation devient enfin une institution après une assez longue durée de rapports pacifiés.

Cette analyse entraîne cependant une difficulté majeure : quelle aurait été l’idée-mère à l’origine de l’institution étatique moderne ? Faut-il la baser sur l’idée de conquête qui guidait les romains (ou Napoélon), sur l’ideé d’unifier un pays pour mieux le contrôler (cf la révolution française, Robespierre et l’égalitarisme) ou encore sur l’idée d’assainir la société (par une politique hygiéniste, qu’elle soit médicale (19ème siècle) ou économique (20ème siècle)) ? A moins que l’Etat ne soit le résultat d’un lent agrégat d’institutions, toutes issues d’idées différentes ?

Nous rentrons ici au cœur de la problématique ultralibérale : en effet nous avons vu comment s’était peu à peu constitué au-dessus des invididus une institution étatique, censée assurer la réalisation d’une idée qu’ils partageaient. Cette idée est un intérêt commun, sur laquelle s’accordent tous les individus. Cependant, alors que l’Etat s’élève, l’intérêt commun est perdu de vue : l’institution se pose en absolu, ne dépend de plus aucune idée censée la justifier. Nous glissons ainsi vers une situtation où l’institution définit d’elle-même l’idée (ou les idées) qu’elle est censée réaliser : il s’agit d’un intérêt public3 (et non plus commun) qui ne justifie plus a priori mais a posteriori l’institution étatique.

L’ultralibéralisme est un mouvement qui veut remettre l’individu4 avant l’Etat : ce sont les individus qui doivent définir l’intérêt général (et se servir de l’institution étatique pour le réaliser) et non l’Etat qui, par une logique interne, définirait de lui-même l’intérêt général censé le justifier. Ainsi, comme nous le verrons plus loin, l’individu est le point de départ de la pensée ultralibérale. Ceci explique pourquoi J. Buchanan veut d’abord voir en l’Etat les individus qui le composent5

En des termes très généraux ; l’Etat est donc une instutition résultant d’un processus historique de dépersonnalisation des rapports de pouvoir. Cette institution à tendance à se détacher de la société pour exister en elle-même, au-dessus des individus.

Les individus évoluant au-dessous de l’institution étatique n’ont ainsi pas le recul nécessaire pour pouvoir porter un regard objectif. Leurs conceptions sont étroitement déterminées par les seules relations qu’ils ont avec l’institution étatique. Pour les uns, ces relations avec l’Etat débouchent sur des aides de diverses natures, pour les autres, elles se résument à des contraintes supplémentaires. Les ultralibéraux se situant généralement dans le second camp.

…est une contrainte.

Introduisons ici une précision nécessaire : nous adopterons dans ce mémoire une approche philosophique de l’idéologie ultralibérale puisqu’il s’agira de la présenter ’de l’intérieur’ (présentation incluant ses points faibles). Le problème sociologique des conditions de production de cette idéologie ne sera pas abordé. Nous ne développerons donc pas l’idée précédement éffleurée selon laquelle les ultalibéraux réduisent l’Etat à une simple contrainte du fait de leurs relations avec celui-ci.

La conception d’un Etat-contrainte sera au contraire abordée sous l’angle de ses justifications philosophiques. Justifications qui découlent d’une double conception de l’individu et de la société.

Parce qu’il gêne des individus autonomes.

Le libéralisme classique réduit souvent l’Etat à sa fonction protectrice : il est l’appareil judiciaire censé protéger le bourgeois contre les dangers potentiels que représentent les plus démunis. L’ultralibéralisme va plus loin en repoussant un Etat trop sécuritaire qui asphyxierait les individus. Sans le rejetter totalement (comme le font les anarcho-capitalistes), il ne veut pas voir l’Etat imposer un ordre trop rigide. Ainsi un auteur comme Ayn Rand se lance dans de longs plaidoyers pour une société libérée de l’emprise étatique. Emprise étatique qui empêcherait les individus d’accomplir leur ’élan vital’ premier.

Non content de gêner l’individu dans ses aspirations, l’Etat se voit aussi accusé d’étouffer ses aspirations avant même leur naissance : ainsi l’aide sociale ne ferait qu’encourager l’attentisme et l’impôt progressif décourager les citoyens dynamiques.

L’Etat est donc vécu comme une containte parce qu’il gêne des individus supposés autonomes. Mais il l’est aussi parce qu’il dérange "l’ordre spontané" qui harmonise naturellement la société.

Parce qu’il gêne une société autorégulée.

La plupart des citoyens américains ne font pas la différence entre le socialisme et le communisme : les deux théories politiques sont confondues et rejetées en bloc, accusées de laisser trop de place à l’Etat. Le théoricien ultralibéral F.V. Hayek va plus loin en affirmant que le socialisme n’est qu’une introduction au totalitarisme : ainsi, en Allemagne, le premier régime socialiste que fut la République de Weimar aurait préparé le terrain pour le totalitarisme hitlérien. Au-delà de la reconstruction historique qui ne peut que paraître suspecte dans un pays où les historiens sont majoritairement de gauche, on peut s’attarder sur la conception de la société que cette prise de position sous-entend.

En effet, ce qui est communément reproché aux socialisme, communisme et totalitarisme, c’est d’avoir l’ambition de tansformer massivement la société par le biais de l’Etat. Cette ambition est démesurée : comment les hommes pourraient-ils orienter consciemment l’évolution de la société ? Sans tomber dans un conservatisme immobiliste, les ultralibéraux rejettent l’idée d’une domination de l’odre social par les hommes. L’ordre social ne dépend pas de la volonté des individus (ce n’est pas un ’ordre artificiel’, du type ’contrat social’) mais émane directement de leurs actes sans qu’ils en soient conscients (c’est un ’ordre spontané’, construit à partir du modèle théorique du marché : l’offre et la demande s’harmonisent automatiquement, à partir de l’action de milliers d’individus, sans qu’il y ait concertation, sans qu’aucun d’eux ne dirige les opérations où même ne soit conscient de l’impact de ses actes).

Ainsi, derrière le rejet confus du socialisme, communisme et totalitarisme, il y a une opposition entre deux métaphores pour comprendre le fait social : celle du "contrat social" qui justifie la présence de l’Etat et celle du "marché" qui le juge inutile puisque la société s’autorégulerait.

Mais ici aussi l’Etat, plus que d’être inutile pour une société s’harmonisant naturellement, se révèle être gênant : ses interventions (notamment dans le domaine économique) perturbent les processus conduisant à l’ordre spontané et entraînent finalement des conséquences néfastes pour tous. Cette idée d’un Etat perturbateur est bien résumée par la théorie des deux mains invisibles de M. Friedman : comme la main invisible économique (celle d’Adam Smith) stabilise automatiquement le marché, la main invisible politique déstabilise automatiquement la société. Toute intervention du politique dans l’économie se traduit par des effets pervers incontrôlables…

En conclusion de ce préambule, rappelons simplement l’a priori négatif de l’ultralibéralisme vis-à-vis de l’Etat et le refus de la conception de Paul Valéry qui le place au-dessus et détaché de la société ; les hommes le subissant comme ils subiraient une force naturelle.

Contrairement au dernier rapport du Conseil d’Etat qui met en avant l’intérêt public, les ultralibéraux se limiteront à l’intérêt commun : l’Etat n’a pas une valeur en soi qui l’autoriserait à définir de lui-même l’intérêt général, il doit rester à son service.


Je tiens

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Se connecter
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Lien hypertexte

(Si votre message se réfère à un article publié sur le Web, ou à une page fournissant plus d’informations, vous pouvez indiquer ci-après le titre de la page et son adresse.)