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Vers le crédit d’impôt et l’impôt négatif !

lundi 7 avril 2008

« Je salue toutes les conversions à l’impôt négatif, celle de Laurent Fabius et celle de Jacques Chirac »

Alain Madelin, président de Démocratie libérale

Président de Démocratie libérale, Alain Madelin, qui est déjà en campagne pour l’élection présidentielle, est l’un des premiers responsables politiques français à s’être déclarés en faveur du projet d’impôt négatif. Dans un entretien au Monde, il se montre très critique à l’encontre du projet de crédit d’impôt que Lionel Jospin vient d’arrêter mais il admet que le débat évolue, à gauche aussi bien qu’à droite.

Pourquoi la France serait-elle condamnée à copier systématiquement le modèle anglo-saxon ? Après les stock-options, les fonds de pension, voici que la polémique se focalise sur l’impôt négatif ?

Défendre l’introduction en France du système de l’impôt négatif n’équivaut pas à défendre le système anglo-saxon ou à recommander qu’on le copie. Le projet d’impôt négatif pour lequel je milite depuis longtemps s’insère dans le contexte français, pas dans le contexte américain. Ce que je propose, c’est un revenu familial minimum garanti qui constitue un vrai filet de sécurité pour tous les Français et qui permette, par une allocation dégressive, jusqu’à un certain seuil, de compléter la feuille de paie, favorisant ainsi, chaque fois qu’on le peut, la reprise du travail pour celles et ceux qui sont enfermés dans l’assistance. Il s’agit d’importer l’esprit de l’impôt négatif, d’en adapter les modalités à une situation française caractérisée par l’existence de huit minimums sociaux de base et par l’existence d’un salaire minimum. Je constate heureusement que l’idée progresse en France, même si, compte tenu de ses origines libérales et anglo-saxonnes, il sent encore le soufre pour les idéologues socialistes. Aujourd’hui, c’est un projet de bon sens. Pour preuve, il a fait son chemin, au-delà des Etats-Unis ou de la Grande-Bretagne : la Belgique, par exemple, vient de le mettre en oeuvre.

Il existe effectivement plusieurs versions de l’impôt négatif. Laquelle a votre préférence ?

A mon sens, la version française doit avoir pour ambition de résoudre trois grands problèmes que connaît notre pays. D’abord, notre système d’aides sociales est devenu, au fil des ans, trop complexe, trop illisible et source d’injustices et d’effets pervers auxquels il faut remédier. Ensuite, il faut briser l’enfermement dans la dépendance et dans une culture d’assistance d’une partie grandissante des Français. Enfin, il faut alléger le coût, aujourd’hui beaucoup trop élevé, des emplois à faible valeur ajoutée.

Concrètement, que préconisez-vous ?

Le revenu familial garanti que je propose n’est pas une disposition qui se surajoute au dispositif existant, mais une vraie réforme qui exige une remise à plat à la fois de notre fiscalité et de notre système d’aide sociale. Il faut donc que ce revenu minimum garanti s’inscrive dans un projet plus vaste. Un projet qui prévoit un redéploiement et une plus grande lisibilité de nos aides sociales, de sorte qu’elles deviennent plus équitables, mais aussi une refonte fiscale d’envergure. Ce n’est qu’à ces deux conditions que le revenu garanti peut réussir.

Quelle réforme fiscale ?

Je pense, en particulier, à une fusion de la CSG et de l’impôt sur le revenu, la CSG devenant la première tranche proportionnelle d’un impôt sur le revenu simplifié, allégé et retenu à la source. La technique du crédit d’impôt n’a de sens que si l’on réintègre cet impôt caché qui n’ose pas dire son nom et que représente la CSG dans l’impôt sur le revenu.

Quel jugement portez-vous sur le dispositif annoncé par Lionel Jospin ?

C’est du bricolage. La « prime pour l’emploi » annoncée par le premier ministre n’est pas une réforme mais un dispositif improvisé dans l’urgence pour apporter une solution de rechange à une disposition fiscale rejetée par le Conseil constitutionnel.

Peut-être - Il reste que l’idée de l’impôt négatif gagne du terrain, y compris à gauche. N’êtes-vous pas amer parce qu’on est en train de vous voler votre fonds de commerce ?

Non. Si je pouvais convertir MM.Jospin, Emmanuelli et Hue à cette réforme, je ne me sentirais pas pillé mais utile, car j’aurais contribué à faire avancer une bonne idée.

Qu’avez-vous pensé du récent rapport du Conseil d’analyse économique défendant l’idée d’un impôt négatif et réalisé par un ancien collaborateur de Dominique Strauss-Kahn ?

Ce rapport n’est pas le seul. Il y en a eu de nombreux autres qui, de l’OCDE au Plan, préconisent tous des solutions voisines. J’en conclus que cette idée est une bonne idée qui fait son chemin. Il n’y a pourtant pas si longtemps, dénoncer, comme je le faisais, les trappes à pauvreté était considéré comme un propos scandaleux.

L’idée a visiblement fait son chemin à l’Elysée. Si Jacques Chirac s’est récemment converti, lui aussi, à cette idée de crédit d’impôt, est-ce seulement pour placer la majorité dans l’embarras ou parce qu’il en a tardivement découvert les mérites ?

Je salue toutes les conversions, celle de Laurent Fabius aussi bien que celle de Jacques Chirac.

Même dans l’opposition, certains font pourtant de la résistance et préconisent plutôt une politique d’allégement de charges sociales

A dépenses sociales constantes et même croissantes, ce que l’on baptise « allégement de charges sociales » ne constitue en réalité qu’un transfert de charges sociales qui comporte de nombreux effets pervers, à commencer par le risque, en raison des effets de seuil, de tirer les salaires vers le bas. Il existe des bas salaires à faible valeur ajoutée pour lesquels une réduction du coût du travail se justifie. Mais, dans les industries à forte valeur ajoutée, l’intervention de l’Etat équivaut à une subvention non justifiée en faveur de ces entreprises. »

Propos recueillis par Laurent Mauduit


Qu’il est bon de lire de tels propos.
Ils ne nous sont certes pas destinés, mais tout de même, quelle surprise de lire plus de trois phrases intelligentes à la suite, sous la plume d’un socialiste !
Bravo !

Crédit d´impôt : pas de timidité, camarades !

SMIC ou crédit d´impôt ? Il paraît que nous vivrions un psychodrame… Quelques remarques me paraissent s´imposer.

1. Ce n´est pas favoriser la démocratie ni la réflexion bien nécessaire de l´opinion que de présenter une discussion ou même un désaccord comme une crise. Le choix n´est pas simple, il est utile qu´il soit réfléchi et approfondi. Préférerait-on que les oukases tombent, dès l´ouverture de tout débat, de la bouche auguste du premier ministre et que personne ne discute ? Qu´est-ce que c´est que cette vision de la démocratie ?

2. Que l´on me pardonne : dans le présent débat, je prétends tirer quelque autorité de mon silence discipliné et attristé lorsque le gouvernement, il y a quelques mois, a eu la mauvaise idée de mettre en cause l´homogénéité et la cohérence de la contribution sociale généralisée (CSG).

Lorsque nous avons créé cet impôt pour rendre le financement de la Sécurité sociale moins préjudiciable à l´emploi, les problèmes de constitutionnalité non seulement ne m´avaient pas échappé, mais nous avaient beaucoup occupés. L´égalité devant l´impôt est une exigence absolue dont les implications techniques sont complexes. Si l´on veut un jour – et je crois que ce serait bon – simplifier tout le système en faisant de la CSG le socle de l´impôt général sur le revenu, auquel s´ajouterait l´actuel impôt sur le revenu comme complément progressif – ce qui, au passage, permettrait de baisser un peu le poids de l´ensemble –, alors il faut préserver la proportionnalité constante, l´absence de dérogations et la non-déductibilité. On a tenté de rompre avec cette perspective d´avenir, mais la décision du Conseil constitutionnel devenait prévisible, sinon inévitable.

3. Cela fournit l´occasion de chercher une solution qui contribue à corriger les défauts de l´actuel système : excessive multiplicité des minima sociaux, effets de seuil insurmontables, et trappe à chômage constituée par le revenu minimum d´insertion (RMI) faute de l´avoir fait évoluer à temps.

Le crédit d´impôt, même s´il est de mise en œuvre complexe, a le double et considérable avantage de se déduire d´un principe très simple (un revenu de base est défini, au-dessus on taxe, en dessous on compense dans des conditions incitatrices à la recherche de travail) et de liquider d´un coup effets de seuil, trappe à chômage et multiplicité des minima sociaux.

Aucune autre technique ne permet de régler tous ces problèmes à la fois, et surtout pas celle qui aurait consisté à creuser le déficit de la Sécurité sociale en diminuant les charges des entreprises pour leur permettre de payer un peu mieux les salariés au SMIC ou juste audessus. Les effets de seuil, donc leur grande injustice, et la trappe à chômage subsisteraient.

En tant que créateur tant du RMI que de la CSG, je reste fort attaché à l´idée que je me faisais de leur évolution. Faire de cela une allocation complémentaire de revenu serait d´ailleurs encore plus approprié, avec les quelques améliorations et délimitations que cela supposerait.

4. Ce ne serait pas de gauche ? Voilà bien la meilleure, comme l´on dit familièrement ! En outre, c´est une effarante stupidité. D´abord, l´exigence de l´égalité devant l´impôt est une exigence de gauche. La droite a bien montré dans l´histoire qu´elle lui est indifférente.

De plus il y a, je suis bien obligé d´en convenir, dans l´accumulation des minima sociaux et du RMI un petit aspect charité publique ou paternalisme qui sent davantage la droite que la gauche. Ce qui était de gauche dans le RMI était l´insertion, pas le plus facile. Le remplacement de tout cela par un principe unique, applicable aux riches comme aux pauvres, incitateur à la recherche de travail par son mode de calcul, et exclusif de tout enfermement dans des situations de non-travail, a un autre panache et correspond bien davantage à une vision de gauche de l´articulation entre revenu, fiscalité et travail.

La paternité de ce système serait compromettante ? Allons donc. A tout seigneur tout honneur, le président de la République a pris parti en sa faveur, l´affectant d´une connotation lourde. D´accord, le président est de droite et s´en fait gloire ; il lui est en outre arrivé, même sur des points techniques et peu symboliques de la droite ou de la gauche, de se tromper. Qui oserait en tirer la conclusion qu´on est sûr d´être sur la bonne voie éthique et technique quand on décide, en toute occasion et à tout propos, de faire strictement le contraire de ce qu´il préconise ?

Vient le crime de lèse-majesté. L´inventeur du concept, c´est connu, est Milton Friedmann, le fondateur de ce cruel néolibéralisme, ou plutôt monétarisme, qui régit le monde d´aujourd´hui et y engendre une croissance exponentielle des inégalités, une dangereuse instabilité financière et l´enfermement de bien des nations dans le sous-développement. Mais d´abord on y est. Volens nolens, on a pris le système. Pourquoi dès lors refuser l´amortisseur de souffrance sociale que lui-même avait jugé nécessaire de lui adjoindre puisqu´il avait compris la cruauté sociale de ce qu´il proposait ? C´est tout de même un comble d´en prendre le pire et pas le meilleur.

Et puis, enfin, depuis quand la gauche s´encombrerait-elle de la paternité des concepts qu´elle juge utiles à défendre sa cause ? Lorsque François Mitterrand, vers la fin de son premier mandat, édicta un jour qu´il était temps que les prélèvements obligatoires cessent d´augmenter, il a eu rudement raison. Cela ne voulait d´ailleurs pas dire baisser. Mais il reprenait là, au moment opportun, une vieille idée de droite. Personne ne l´en a accusé.

Mieux, le malheureux Tobin, lorsqu´il a proposé voilà vingt et quelques années, sa célèbre taxe, était un respectable membre de l´establishment économique américain et fort soucieux de n´afficher aucun engagement partisan et surtout pas progressiste. Il est le premier surpris de ce qui est arrivé à son idée. Nous avons eu raison de la lui prendre, même si on n´en a pas fini avec les difficultés concrètes de définition et d´application, ce qui est une autre histoire. Allons camarades, pas de timidité conceptuelle. La vraie gauche, elle prend ses idées où elle peut, mais elle combat pour la justice sociale, pour l´égalité devant l´impôt, pour la prise en charge des souffrances sociales autrement que par la charité et pour l´incitation au travail, à la croissance et au développement.

Michel Rocard, ancien premier ministre, est député au Parlement européen.

Le Monde daté du vendredi 12 janvier 2001


Vers le crédit d’impôt et l’impôt négatif !

Les bas revenus toucheront en septembre un chèque du fisc. Le nouveau mécanisme de crédit d’impôt remplace les ristournes dégressives de CSG annulées par le Conseil constitutionnel. Une nouvelle usine à gaz fiscale.

Le Premier ministre a confirmé, hier, présentant ses voeux à la presse, qu’une « prime à l’emploi » va se substituer aux ristournes de CSG censurées par le Conseil constitutionnel. Le nouveau dispositif « prendra la forme d’un remboursement de prélèvement » de CSG sur les seuls revenus d’activité, versé par le fisc « dès le mois de septembre prochain », a précisé Lionel Jospin. Cela « permettra de mieux rémunérer le travail et de redistribuer les fruits de la croissance en faveur de ceux qui en ont le plus besoin ». Selon Matignon, le nouveau système s’inscrit dans le même cadre que celui des ristournes de CSG censurées : 8 milliards y seront affectés en 2001, puis 8,5 milliards de plus en 2002 et en 2003. Quelque 9 millions de personnes restent théoriquement concernées bien que le champ du nouveau système soit élargi, car il prend en compte les revenus de l’ensemble du foyer fiscal. De surcroît le nouveau dispositif, complexe, sera difficilement lisible par les bénéficiaires eux-mêmes. Laurent Fabius et Elisabeth Guigou le détailleront mardi 16 janvier. Il soulève d’ores et déjà d’épineuses questions.

Qui touchera la « prime à l’emploi » ?

Les experts du gouvernement sont encore incapables de dire combien de foyers fiscaux la toucheront... En théorie, les bénéficiaires seront les salariés, indépendants ou agriculteurs percevant des revenus d’activité jusqu’à 1,4 Smic pour un célibataire.

Pour une famille, c’est plus compliqué. Le montant de la prime dépendra des autres revenus du ménage, du nombre des enfants et personnes à charge, ainsi que des heures travaillées par chacun. Sur la déclaration fiscale du foyer figurera d’ailleurs la durée annuelle de travail de chacun.

Quel sera le montant de la « prime à l’emploi » décidé par Matignon ?

Une chose est sûre : le bonus sera inférieur à ce qu’aurait été la ristourne de CSG, soit 2.160 francs par an pour un célibataire smicard. Le mécanisme du crédit d’impôt s’enclenchera dès l’embauche à temps partiel au Smic. La prime atteindra son maximum au niveau d’un Smic à plein temps pour un célibataire et décroîtra ensuite jusqu’à 1,4 fois le Smic (graphique ci-dessus). Pour une famille, la présence d’enfants donnera droit à une majoration de la prime, comme toute personne à charge. « Un smicard célibataire sera défavorisé par rapport à un smicard qui fait vivre une famille nombreuse », admet-on à Matignon.

Les inactifs seront-ils vraiment encouragés à prendre un emploi ?

C’est une vraie question. Ce dispositif est proche du crédit d’impôt en vigueur aux Etats-Unis. Or, les résultats en termes d’emplois y sont minimes (lire ci-dessous). La France parviendra-t-elle à faire mieux ? La « prime à l’emploi » rencontre de nombreux écueils. En principe, un foyer fiscal peut en perdre le bénéfice lorsque l’un de ses membres retrouve un travail.

Exemple d’un couple sans enfant dont un des conjoints gagne 2,6 fois le Smic et l’autre est inactif. Son revenu par tête est de 1,3 Smic. Logiquement, il reçoit donc la prime. Si l’inactif trouve un emploi à plein temps au Smic, le revenu par tête passe à 1,8 Smic. Le ménage va-t-il perdre sa prime ? Les ordinateurs de Bercy tentent de répondre à ce genre de question. Matignon affirme, d’ores et déjà, que le bonus bénéficiera « au conjoint d’un cadre supérieur qui exerce un mi-temps au Smic ».

Et que se passe-t-il lorsque l’un des enfants trouve un « petit boulot » ? Le casse-tête se complique encore. Techniquement, il s’agit de trouver le seuil d’entrée idéal dans le barème de la ristourne, si tant est que cet idéal existe.

Quels moyens supplémentaires pour les services fiscaux ?

Elisabeth Guigou avait soulevé le lièvre. Le crédit d’impôt oblige l’administration fiscale à expédier des millions de chèques chaque année une innovation. Les syndicats réclament déjà des moyens supplémentaires. C’est la raison pour laquelle Laurent Fabius, contrairement à ce qui fut dit, ne plaidait pas pour un crédit d’impôt... mais pour la réduction de la TVA.

La « prime » est-elle conforme à la Constitution ?

Certains en doutent, puisque la prime est réservée aux revenus d’activité, ce qui exclut les revenus de l’épargne, aussi frappés par la CSG.

Rémy Janinet Nicolas Prissette

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