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Que penser de l’expérience Napster ?

L’ère nouvelle des droits d’auteur

vendredi 7 avril 2000

Comme le souligne fort justement Gary North, il y a un avant, un pendant et un après la législation sur les droits d’auteur.

Avant, c’est à l’aube du XVIe siècle, lorsque Luther placarda sur sa porte un défi, écrit en latin : ses Quatre-vingt quinze Thèses sur les Indulgences. Un imprimeur, d’une manière que nous ignorons, a reçut une copie de ce document et la publia. Tous les exemplaires se vendirent à merveille. Rapidement, les imprimeurs de toute l’Allemagne en produisirent et vendirent des centaines d’exemplaires.
Or sans l’imprimerie nous n’aurions sans doute jamais entendu parler de Luther. La manière dont la pensée de Luther a été véhiculée fait de cet épisode de 1517 la première manifestation de publication de masse.

Evidemment cette période ne dura qu’un laps de temps très court, et rapidement, sauf cas tout aussi clandestins, les "publieurs" purent conjuguer tout à la fois diffusion de masse et protection des droits d’auteur. Nous vivons encore sous ce régime, mais ses fondements ont sans doute à tout jamais disparus.

L’avènement d’Internet permet en effet de diffuser une nouvelle forme de distribution : une distribution numérique. L’industrie du divertissement ne pourra pas arrêter la technique. Gary North souligne ici qu’il ne faut pas oublier que l’industrie du disque, comme celle du livre, paie son personnel grâce aux revenus provenant de quelques artistes qui connaissent un gros succès, habituellement éphémère. La stratégie consiste à attraper un artiste qui rapportera ultérieurement beaucoup. Or Napster et les techniques concurrentes menacent de saper cet arrangement. Les données numériques sont des données numériques : la 100 000e copie est identique à l’originale. L’industrie musicale rendra quelques artistes célèbres, uniquement pour voir ses revenus détournés par le partage de données des consommateurs. Mais elle ne peut pas y faire grand-chose.

Pour des artistes à succès, le résultat se présentera sous deux aspects : d’une part plus de tournées et de plus grandes audiences, les artistes recevant la part du lion des prix d’entrée ; d’autre part, des droits d’auteur réduits à cause de la baisse des ventes de CD.

La question primordiale est de savoir comment, et dans quelle mesure, il est possible de concilier le droit d’auteur et le partage numérique. Cette dernière technique est directement dérivée du peer to peer qui permet à tout un chacun de communiquer directement avec le disque dur de votre correspondant, sans passer par un serveur — qui a, au mieux, une fonction d’indexation et de mise en relation.

On peut en effet lire la technologie reprise et développée par Napster comme un acte de piraterie répréhensible, qui dénigre le titre de propriété que constitue le droit d’auteur, et qui n’est donc qu’une forme de vol.
Seulement, en allant plus au fond des choses, une telle interprétation n’est pas des plus justifiées. En effet, deux facteurs sont rarement pris en considération.

1. Les industries du disque bénéficient d’une rente de situation

Un studio d’enregistrement n’emploie pas plus d’ingénieurs du son aujourd’hui qu’il y a qinze ans ; pourtant les bénéfices de ces mêmes studios, et plus encore des maisons de disque, ont augmenté depuis cette même date de 5 à 10% par an. Ceci n’est bien sûr pas un mal en soi, mais ceci nuance fortement les discours de Cassandre en tout genre.

Le problème vient du fait que ces mêmes maisons de disque sont soit directement (Sony), soit indirectement (Universal, Polygram, EMI) liées à des fabricants de matériel hi-fi, lesquels ont un monopole de fait sur le brevetage des nouveaux supports (le SACD de Sony et Philips par exemple).

Ce faisant, l’avènement du mp3 doit simplement s’analyser comme l’intrusion d’un nouveau support (numérique), qui a la particularité de ne pas être lié ou originaire des majors, et qui représente donc pour ces dernières un concurrent redoutable.

Le mp3 offrira aux artistes la possibilité de revenir sur la relaton organique qui les lie aux maisons de disque. Leur rétribution peut en effet très bien prendre d’autres chemins. Les droits d’auteur ne sont donc pas nécessairement mis à mal par le mp3. Ce sont les maisons de disque — et elles seules — qui ont du souci à se faire.

2. Le mp3 est un moyen de contourner les entraves au marché du disque

Le marché du disque n’existe pas. Ou plus exactement il n’est pas libre. Un prix est fixé par accord entre les Etats et les majors. Prenons un exemple simple :
soit un artiste A, disons Trail of Tears, groupe de black-metal qui doit vendre quelques dizaines au plus de copies de son dernier album dans notre pays. Son CD est vendu 120 FF dans les bacs.
soit un artiste B, Céline Dion par exemple, qui vend chaque année des millions d’albums un peu partout et sans doute ici. Son dernier CD sera lui aussi vendu 120 FF.

Si le libre jeu de l’offre et de la demande s’appliquait comme il se devrait, le prix des CD de Céline Dion devraient s’élever considérablement, jusqu’à atteindre plusieurs milliers de francs — point marginal à partir duquel plus personne ne désirerait acquérir le moindre CD de cette artiste. Le point d’équilibre trouvé, disons à 1500 FF, induirait que Céline vendrait moins de CD, mais nettement plus cher - ce qui serait une preuve de l’amour que lui porte le public.

Inversement, l’artiste A (Trail of Tears), s’il veut vendre des CD pour en vivre, et accessoirement se faire connaître, devra, face à une demande faible ou quasi inexistante, réduire considérablement le prix de ses disques à, disons, 5 FF. A ce prix d’équilibre, il vendrait suffisamment de CD pour en vivre, mais, à la différence d’aujourd’hui, bien plus de gens auraient connaisssance de l’existence de Trail of Tears, et cette notoriété accroîtrait ses revenus connexes, par exemple la billeterie de concerts à plus forte affluence.

L’application de la loi du marché aux ventes de disques aboutirait donc à un résultat qui ne surprendra que les collectivistes : les plus petits artistes verraient leur situation améliorée, dans que les grands voient la leur détériorée.

Napster, en ce qu’il augmente la part de revenus des artistes liés aux tournées, au détriment de la vente des CD, répond donc à une logique similaire à une libéralisation du marché.

Il ne faut enfin pas omettre que l’avènement de la technologie de compression numérique accroît considérablement la liberté et la qualité de la liberté des individus en la matière. Ils seront moins sensibles aux mass media et à leur matraquage, et pourront donc découvrir des artistes plus originaux, moins grand public mais tout autant, sinon plus, enrichissants. Enfin, s’il était besoin, l’Etat s’arroge un pourcentage important sur la vente des CD (taxe sur les droits d’auteur TVA). Napster permet de passer outre cette taxe sur les droits d’auteurs, qui est proprement archaïque et injustifiée.

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