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Quelques réflexions sur le Conseil constitutionnel

mercredi 7 avril 1999

L’ordre juridique supérieur auquel s’identifie la constitution, en matière d’équilibre entre les pouvoirs publics et de protection des droits fondamentaux de la personne ne relève plus de l’incantation, mais de l’autorité exercée par le juge constitutionnel. La barrière de l’Etat de droit dressée autour du pouvoir, enferme les gouvernements dans la sphère constitutionnelle : "la loi n’exprime la volonté générale que dans le respect de la Constitution" dit le CC dans sa décision célèbre du 23 août 1985 (Nouvelle Calédonie).

Le CC, nous l’avons dit, est l’organe régulateur de l’activité des pouvoirs publics. (CC, 6/11/1962, Election du président de la République). Un bref regard sur ses chefs de compétences en apporte la démonstration.
En premier lieu, et de manière incidente, écartons la fonction suggestive du CC (selon la formule de Gicquel).
Ensuite, le CC dispose d’une fonction consultative intéressante. Il est appelé, dans des conditions limitativement énumérées, à émettre des avis simples : en matière de mise en oeuvre des pouvoirs extraordinaires de l’article 16 (il est officiellement consulté par le président sur toutes les mesures prises), et au regard des opérations de référendum (il est consulté par le gouvernement sur l’organisation des opérations de référendum, mais cette consultation s’apparente à un avis conforme).
D’autre part, bien sûr, le CC a une compétence juridictionnelle. En matière de contentieux électoral et référendaire, le CC veille à la régularité de l’élection de divers organes (le président de la République, les parlementaires) et est d’autre part garant de la régularité des opérations de référendum (60C).

Mais le point sur lequel nous souhaiterions insister, concernant cette compétence juridictionnelle du CC, est celui du contrôle de constitutionnalité de la loi, qui reste d’ailleurs, bien sûr, son activité principale.
Le CC contrôle en effet la loi par voie d’action. La collation avec la Constitution (ou le principe de constitutionnalité) s’opère sur la base de l’article 61-2 C pour les lois en instance de promulgation. Il porte, en principe, sur son contenu et sur la procédure suivie. Cependant, une loi peut faire l’objet d’un recours en déclassement ou délégalisation de la part du premier ministre, après sa promulgation (art. 37-2 C) ou à l’occasion d’une loi postérieure qui la modifie ou la complète (CC, 25/01/85, Etat d’urgence en Nouvelle-Calédonie). Ceci est conforme à la limitation de l’étendue du domaine de la loi telle que l’article 34 de la Constitution la détermine. Il nous semble que cette possibilité de délégalisation qui est offerte au premier ministre est un mauvaise solution, qui n’a d’autre but que de restreindre encore le pouvoir du parlement, et ne se montre pas d’un intérêt évident. Bien sûr, à l’article 34 lui-même s’appliquent les mêmes reproches. Dans une telle perspective, le projet de révision constitutionnelle maintes fois repoussé (notamment en 1990 et 1993) instituant le contrôle de constitutionnalité de la loi par voie d’exception nous semble la grande mesure constitutionnelle d’avenir. C’est une mesure qui est destinée dans un même mouvement à couronner l’Etat de droit et à consacrer l’autorité du CC. Elle mettra un terme à l’aliénation des justiciables et à une contradiction, dès lors qu’au lendemain de l’élargissement de la saisine du CC (loi constitutionnelle du 29/10/1974), ils demeurent les seuls à en être tenus à l’écart, tandis qu’ils peuvent ester devant la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) et la CJCE. Toute personne partie à un procès pourrait contester la constitutionnalité de toute loi qui méconnaîtrait, selon elle, ses droits fondamentaux et sur laquelle le CC n’aurait pas été appelé à statuer. Rappelons qu’à ce jour, l’exception d’inconstitutionnalité est accueillie par le CC lorsqu’une loi modifie complètement ou affecte, le domaine d’une loi antérieure (CC, 25/01/85).
Par conséquent, l’exception d’inconstitutionnalité serait invoquée par le justiciable devant toute juridiction d’instruction ou de jugement, qui, agissant comme un premier filtre, en examinerait le caractère sérieux, puis en soumettrait l’examen soit au Conseil d’Etat (CE), s’il s’agit d’un juge administratif, soit à la Cour de Cassation, s’il s’agit d’un juge judiciaire. Cette juridiction suprême, à son tour, en apprécierait le bien-fondé, tel un second filtre et saisirait, en définitive, le CC. Ce dernier statuerait dans un délai, disons, de trois mois. La décision n’aurait, et c’est capital, de valeur que pour l’avenir : la disposition incriminée cesserait sur le champ de produire des effets de droit.
Bien évidemment, cette exception pourrait de plus être soulevée pour la première fois devant le CE, la CCass ou le TC (Tribunal des conflits).

Par ailleurs, le CC apparaît et doit être plus encore à l’avenir, le protecteur des droits et libertés de la personne. Le recours à des méthodes spécifiques, telle celle de l’interprétation neutralisante (CC, 05/08/1993, contrôle d’identité), ou l’indentification de principes fondamentaux reconnus par les lois de la République (PFRLR, CC, 20/01/1984, Indépendance des professeurs de l’enseignement suprérieur, et bien sûr CC, 16/07/1971, Liberté d’association) sont révélateurs de la sollicitude affichée par le CC.

C’est que le CC est devenu un véritable contre-pouvoir. A la régulation politique classique, s’est substituée, pour une part importante, une régulation juridictionnelle. Dans cette perspective, la séparation des pouvoirs reçoit une nouvelle interprétation à travers le pouvoir majoritaire et le pouvoir juridictionnel. Le CC s’analyse alors en un frein à la démocratie majoritaire (P. Avril). Sa mission est en effet aussi d’encadrer l’alternance et d’en régulariser le cours, sans s’opposer toutefois à la volonté exprimée par le souverain. C’est pourquoi le CC a adopté des décisions symétriques, en matière de droit de propriété (CC, 16/01/1982, Nationalisations ; 25-6/06/1986, Privatisations), ou de procédure (CC, 23/01/1987, Amendement Séguin ; 12/01/1989, Amendements Le Guen et Mexendeau).

Nous ne pouvons dès lors pas éluder une question majeure : le CC, par l’autorité absolue de la chose jugée de ses décisions, ne se convertit-il pas en pouvoir politique ? En se limitant à un contrôle de constitutionnalité de la loi (CC, 15/01/1975, IVG), le CC assume une fonction de régulation, quand le législateur se trompe, et une fonction de censure si une majorité abuse de son autorité. Il n’en demeure pas moins que le CC progresse sur le terrain de l’opportunité. Cependant ce serait oublier le subtil balancement auquel il s’adonne en définitive : le CC a su déjouer le piège du gouvernement des juges, à travers par exemple le thème de la supraconstitutionnalité.
Le juge est voué à l’humilité. L’autolimitation, l’absence d’autosaisine et sa compétence d’attribution témoignent de son infériorité politique. Dès lors, la perspective d’un sur-pouvoir (R. de Lacharrière) est inconcevable, au même titre que l’existence de legitimités plurielles. Comme le dit Vedel : "Si le juges ne gouvernent pas, c’est parce qu’à tout moment le souverain, à la condition de paraître en majesté comme constituant, peut, dans une sorte de lit de justice, briser leurs arrêts". Le dénouement de l’affaire du droit d’asile (CC, 13/08/1993, Maîtrise de l’immigration) est-il de nature à créer un précédent ?

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