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Vers un Etat-providence sélectif

mercredi 14 avril 1999

La redécouverte de la solidarité

L’Etat providence assuranciel et égalitaire est avant tout le produit des concessions mutuelles que la gauche et la droite se sont faites depuis la guerre. D’où un système de prélèvement, injuste et pénalisant pour le bas des classes moyennes, qui fait du chômage français l’enfant du mythe égalitaire.

A gauche, un plaidoyer pour l’universalité

L’objectif de la sécurité sociale, dans cette optique, est de réconcilier les classes en organisant leur disparition fictive. L’universalité, en fait l’égalité, produit de l’anonymat social, donc de la dignité. La gauche s’interdit d’en appeler à "faire payer les riches" car ce serait les distinguer. Il s’agit ce faisant d’un nouvel individualisme : tout cotisant aurait des droits du seul fait qu’il aurait cotisé. Plus personne ne devrait plus quoi que ce soit à personne.

A droite, une sélectivité sociale modérée

Pour des raisons financières et idéologiques, la droite a souvent cherché à introduire au sein du bloc assuranciel, des mécanismes de solidarité qui lui étaient étrangers, passant notamment par la création de conditions de ressources. Mais la vision de droite reste malgré tout fortement assurancielle. La rapport Nora-Naouri sur la réforme de l’assurance maladie, dans les années 1970, proposait ni plus ni moins la création d’une aide personnelle à la santé sous condition de ressources, en remplacement de la couverture générale actuelle du "petit risque". Mais plus la prestation dont il était question se rapprochait du coeur symbolique de l’Etat providence, plus la droite tempérait ses ambitions sélectives par la fixation d’un plafond élevé, donc non discriminant.

La droite prônait une redistribution par le biais de prestations sélectives ; elles sont parfaitement lisibles et autorisent un discours global sur l’unité des classes moyennes. Tandis que la gauche insistait sur le rôle central de l’impôt progressif, l’IRPP (impôt sur le revenu des personnes physiques) étant censé être l’instrument unique de redistribution entre riches et pauvres. Elle avait pour ambition de présenter d’un côté la société sans classe régie par le droit de la sécurité sociale, et de l’autre la lutte continue incarnée par l’impôt redistributif.

Mais la doctrine de gauche avait un point aveugle : elle occultait le fait que les autres branches procédaient elles aussi, par nature, à une redistribution des richesses entre Français. Dès le départ, le financement de la sécurité sociale aurait pu être plus redistributif par une fiscalisation au moins partielle. On aurait ainsi évité l’accumulation de charges sociales sur les bas salaires, et la cohorte de chômeurs qu’elle a engendrés.

Les années 1980 et la fin des tabous

Les années 1980 marquent la fin du mythe de l’IRPP en tant qu’instrument exclusif de la redistribution. La gauche prend rapidement un ensemble de mesures tendant à accroître la pression fiscale sur les classes moyennes ; elle relève les taux marginaux sur les tranches de revenus les plus élevées, tout en réévaluant le montant des prestations sous conditions de ressources. Et encore la gauche a dû vite renoncer à ses ambitions : les majorations d’impôts ont été remplacées par des minorations, enclenchant un désarmement fiscal largement amplifié durant la cohabitation. L’impôt sur le revenu heurte de front la société française. Toute la construction théorique de la gauche s’écroule. D’où un système désastreux de prélèvements fiscaux et sociaux les moins progressifs d’Europe. Alors la gauche ne sait pas faire autre chose que d’augmenter les cotisations sociales, comme la droite dix ans plus tôt.

Le mythe de l’assurance prit alors progressivement fin, lors des débats relatifs à la CSG (contribution sociale généralisée). Elle opposa la droite et la gauche car c’était une remise en cause du monopole théorique de l’impôt sur le revenu, et également du monopole des partenaires sociaux dans la gestion de la sécurité sociale. Mais la CSG a ouvert la voie à une fiscalisation partielle de la sécurité sociale, par un impôt d’abord légèrement redistributif, puis inévitablement progressif à la faveur des hausses de taux. Elle a percuté tout l’édifice d’après guerre.

Avec la CSG et la progressivité des cotisations, les conditions de ressources constituent le troisième vecteur d’un retour de la protection sociale à des principes d’équité. Elles n’ont pas pour objet de toucher aux "argiles supérieures" des protections secondes. Mais il est possible de mettre en oeuvre cette technique dans différents domaines : les allocations familiales, la création d’une allocation d’aide aux personnes âgées dépendantes, l’introduction dans l’assurance-maladie (pour les dépenses ne relevant pas de la médecine lourde) d’un ticket modérateur proportionnel aux revenus de l’assuré.

Un nouveau corps de doctrine s’impose, basé sur des principes d’équité et de solidarité. La résistance à de telles évolutions ne pourra être neutralisée que par une baisse, même légère, du taux marginal d’imposition sur la dernière tranche de l’impôt sur le revenu. Les excellents résultats fiscaux de 1999 devrait faciliter cette importante tâche.

La nouvelle question des classes moyennes

Différents reproches peuvent être faits à cet Etat-providence sélectif, du moins tel qu’il fonctionne de nos jours.

L’insatisfaction des foyers privés du bénéfice des prestations

La technique des conditions de ressources entraîne forcément des exclus. Des incohérences conduisent à déplacer sensiblement la frontière du social dans l’incompréhension des ménages, aidés un jour, puis exclus, puis à nouveau aidés, ...L’Etat-providence, s’il se fonde sur des critères de sélectivité, doit en permanence s’adapter à l’évolution des comportements et de la distribution des revenus, et généraliser les mécanismes permettant d’éviter les exclusions trop brutales. Mais l’essentiel est qu’il n’y a pas en France de phénomène d’exclusion massive des classes moyennes du bénéfice des prestations sous condition de ressources, comme c’est le cas aux Etats-Unis : de nombreux plafonds ont été fixés en France à des niveaux élevés. Sont exclus du bénéfice des prestations sous condition de ressources les foyers de la moitié ou du quart supérieur de la pyramide des revenus.

Les classes moyennes peuvent légitimement s’estimer victimes du profil erratique de la distribution

On peut observer l’iniquité du traitement global imposé aux familles par le jeu croisé des différents barêmes qui leur sont appliqués (prélèvements ou prestations). Des Français de condition égale, situés dans une tranche de revenus très proche, sont traités différement. Il faut une mise à plat.

Le développement des protections sélectives redonne vigueur à la critique de l’assistanat

Les prestations, rapidement décroissantes par rapport au revenu, créent des trappes à pauvreté en encourageant les allocataires à relâcher leurs efforts, à entamer une carrière assistancielle dont ils ne sortiront plus. Mais on peut néanmoins noter que ce mécanisme ne fonctionne en plein que si les agents sont capables d’anticiper l’évolution de leurs aides quand leur revenu de base s’accroît. Or cela n’est pas toujours le cas.

Au total, l’existence de prestations sélectives n’a de conséquences économiques que parce qu’elle entraîne des mécontentements politiques. Si bien que la problématique de sa mise en place est essentiellement politique : il faut définir le social (multidimensionnel, contradictoire, évolutif), montrer que la redistribution peut ne pas être égalitaire, et définir surtout son degré de légitimité. Le défi moderne sera alors de réintroduire de la distance sociale au coeur de la société française.

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