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Qu’est-ce que le capitalisme ?

dimanche 14 avril 2002

Le capitalisme est un système économique fondé sur la propriété privée des moyens de production et la régulation de la production par le marché, donc l’échange. Il s’est développé et affermi au XVIIIe siècle en Europe et aux États-Unis. La conception qu’on en a généralement aujourd’hui implique un certain degré d’intervention de l’État destinée à lutter contre les conséquences négatives qu’il comporte. Depuis l’échec du communisme, patent dans les années 1980, aucun autre système économique ne semble pouvoir lui disputer la suprématie.

Les fondements du capitalisme

Dans le système capitaliste, les entreprises détentrices des moyens de production (terres, matières premières, machines, outils et autres instruments de travail) élaborent des marchandises qu’elles cherchent à écouler sur un marché réglé par la loi de l’offre et de la demande. Le capitalisme ne peut survivre sans l’existence d’un système financier qui donne à ces entreprises le moyen d’emprunter d’importantes sommes d’argent, aux fins de maintenir puis d’accroître leur niveau de production. Le marché se situe au cœur du système : c’est lui qui détermine ce qui sera produit, qui le produira, et comment les bénéfices résultant du processus économique seront répartis. Pour ses défenseurs, l’économie de marché présente un double avantage, politique et moral : d’une part, le libre jeu de la concurrence laisse le pouvoir économique diffus, empêchant tout clan ou parti de s’en emparer ; d’autre part, le marché tend à récompenser l’efficacité par les profits et à pénaliser l’inefficacité par les pertes. Mais ce capitalisme idéal, où la liberté des échanges est naturellement régulée par la concurrence, n’existe nulle part au monde. Les systèmes économiques des pays occidentaux contemporains résultent plutôt d’un compromis entre libéralisme et interventionnisme étatique.

Histoire du capitalisme

Beaucoup d’institutions caractéristiques du capitalisme existaient déjà dans l’Antiquité : commerce, prêts et assurances étaient monnaie courante chez les Grecs et les Romains. Cependant, le capitalisme comme système économique n’est apparu qu’à la fin du Moyen Âge, en Europe. Il s’est développé, du XIVe au XVIIIe siècle, parallèlement à la croissance du commerce international – surtout après la découverte des Amériques –, à l’essor des banques et à l’émergence d’une classe d’hommes d’affaires qui ont accumulé des sommes d’argent considérables. Par l’intermédiaire de sociétés par actions – précurseurs des sociétés de capitaux modernes –, les riches négociants ont pu financer d’importantes expéditions qui ont abouti à l’exploration et à la mise en valeur de contrées lointaines. Cependant, le grand négoce est resté soumis pendant toute cette période au contrôle des gouvernements nationaux, qui souhaitaient, au nom de la doctrine mercantiliste, préserver d’abord la richesse de l’État. L’or et l’argent provenant des colonies ont provoqué, par leur afflux en Occident, une inflation qui a, peu à peu, contribué à appauvrir la noblesse, dont le seul bien restait la terre.

L’émergence de la pensée capitaliste

Avec la Réforme, une conception nouvelle du monde est apparue, plus favorable au développement du commerce que la pensée catholique romaine qui prévalait au Moyen Âge. Le sociologue allemand Max Weber, dans son étude célèbre sur l’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme (1920), a montré comment les entrepreneurs calvinistes et puritains ont pu assimiler réussite commerciale et signe de prédestination. Par ailleurs, l’essor des sciences, et notamment la place accordée à l’observation et au raisonnement inductif, a contribué à saper l’autorité de l’ordre ancien. Au XVIIe et plus encore au XVIIIe siècle, les classes montantes de commerçants et d’industriels, bientôt appelées bourgeoisie, réclament un ordre politique nouveau qui réponde à leurs intérêts économiques.

Les philosophes anglais du XVIIe siècle, tels Thomas Hobbes et John Locke, ont justement développé une théorie nouvelle du pouvoir politique, dans laquelle les individus renonceraient, par contrat, à l’exercice de leur liberté au profit du seul souverain, garant de l’ordre social ; en contrepartie, l’État aurait pour obligation de protéger les intérêts de ses citoyens, au premier rang desquels le droit à la propriété. L’économiste écossais Adam Smith, dans sa Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations (1776), est allé plus loin dans la défense de la bourgeoisie, qu’il considère comme la mieux placée pour apporter la prospérité à un pays, au contraire des tenants du mercantilisme, pour qui la richesse nationale passe nécessairement par l’État. Adam Smith vilipende l’interventionnisme étatique comme atteinte aux libertés individuelles, mais aussi comme dispositif économique inefficace, la production et la distribution étant, selon lui, bien mieux régulées par le marché.

Capitalisme et industrialisation

Le XIXe siècle est une période de croissance économique sans précédent. La révolution industrielle transforme la société, d’abord en Grande-Bretagne, puis en France, en Allemagne et dans toute l’Europe occidentale, enfin aux États-Unis. À la fin du siècle, l’essentiel de la population active travaille dans des usines ou des bureaux. De grandes villes industrielles apparaissent ; des syndicats et des partis politiques se forment, qui défendent les intérêts du prolétariat face aux propriétaires des moyens de production. Karl Marx et Friedrich Engels lancent les attaques les plus virulentes contre le capitalisme comme forme d’exploitation de l’homme par l’homme ; leurs écrits deviennent la référence intellectuelle du socialisme et du communisme européens.

Un phénomène que les premiers théoriciens du capitalisme n’avaient pas prévu apparaît à la fin du XIXe siècle : la tendance à l’accroissement continu des dimensions des entreprises. Chaque fabrique est tentée de s’agrandir pour atteindre un niveau de production qui lui permette d’abaisser ses coûts unitaires ; les affaires commerciales les plus florissantes cherchent à diversifier leurs activités, rassemblant sous le contrôle d’une seule société l’exploitation de moulins, de manufactures et de lignes de chemin de fer, par exemple ; enfin, les grandes compagnies s’associent pour former des cartels ou des trusts, ce qui leur permet d’exercer un véritable monopole sur de larges secteurs de l’industrie.

Appartenant plus rarement que par le passé à une famille d’entrepreneurs, l’entreprise moderne est le plus souvent constituée sous forme de société de capitaux par actions anonymes ; la personnalité morale lui donne le droit d’ester en justice indépendamment de ses propriétaires, les actionnaires, qui – intéressés avant tout par la rentabilité de leur investissement – ont tendance à abandonner leurs pouvoirs de gestion et de décision au profit de dirigeants salariés.

Le capitalisme au XXe siècle

Dès la fin du XIXe siècle, la constitution de monopoles dans de nombreux secteurs industriels a amené les libéraux à réclamer la déconcentration des groupes les plus puissants. Au nom du libre jeu de la concurrence, ils ont fait pression pour que soient votées des lois antitrusts : la première a été adoptée en 1890 aux États-Unis (Sherman Act).

La redéfinition du capitalisme

La grande crise de 1929 a provoqué un véritable tournant dans la pensée économique. Il est en effet apparu alors que le capitalisme du « laisser faire » avait vécu. Même Joseph Schumpeter, défenseur de la recherche du profit comme moteur de l’innovation économique, prédit la disparition à terme du capitalisme à cause des contradictions sociales qu’il sécrète. Pour sa part, l’économiste britannique John Maynard Keynes voit le déclin du capitalisme comme inéluctable, si les autorités ne prennent pas des mesures énergiques. L’école keynésienne préconise l’adoption de politiques fiscale et monétaire réfléchies pour stabiliser l’économie et assurer ensuite sa croissance. En temps de crise, elle recommande l’augmentation des dépenses publiques et la réduction des impôts afin de relancer la demande globale. En temps de croissance économique, elle prône le recours à une politique inverse, de sorte que l’inflation puisse être maîtrisée. Dans les décennies qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, les pays industrialisés occidentaux ont peu à peu adopté des politiques keynésiennes pour agir sur la demande.

En outre, des pays comme la France ont procédé à la nationalisation de grandes entreprises industrielles et de services (banques, compagnies d’électricité, de téléphone). Au-delà de la remise « à la nation » de la propriété des moyens de production, les nationalisations permettent de contrôler des secteurs produisant des biens ou des services indispensables à l’indépendance et à la sécurité de la collectivité (transports, électricité) et de supporter les secteurs les moins rentables.

Les défaillances du système capitaliste

Dans les années 1970, le capitalisme a traversé une nouvelle crise, caractérisée par la conjonction de deux fléaux, l’inflation et le chômage. Jusque-là, les économistes avaient toujours considéré qu’ils ne pouvaient pas sévir simultanément ; en effet, le chômage était caractéristique des périodes de récession, et l’inflation des périodes de prospérité. Cependant, dans les années 1970, un taux de chômage élevé a coïncidé, dans les pays industrialisés d’Europe comme aux États-Unis, avec une forte inflation. À cause de cette stagflation, les gouvernements ont été confrontés à un dilemme, la lutte contre l’inflation provoquant une recrudescence du chômage, et la résorption du nombre des chômeurs relançant la hausse des prix et des salaires.

L’avenir du capitalisme

Depuis la crise de 1929, économistes et politologues se posaient la question de la survie du capitalisme. Certains y répondaient négativement, le système rival d’une économie socialiste planifiée devant démontrer inéluctablement sa supériorité. Mais ce dernier système, en crise visible depuis le début des années 1980, s’est complètement effondré entre 1989 et 1991. Aujourd’hui, le capitalisme est présenté comme le seul type d’organisation des sociétés qui soit capable d’assurer simultanément la liberté et le bien-être des populations ; et cela également dans les pays anciennement « socialistes », qui demandent au marché de restaurer leurs économies ruinées.

Le capitalisme incontournable

Le capitalisme comporte deux éléments essentiels à la bonne marche de la production et des échanges, et par suite à l’obtention de niveaux de vie satisfaisants : par le lien entre le travail ou la performance individuelle et la rémunération, il engendre des motivations au travail et à l’efficacité que l’idéologie et l’économie de commandement ont été impuissantes à créer ou à maintenir ; la liberté des échanges entre des entreprises privées travaillant dans leur intérêt propre, sur le modèle de la « main invisible » imaginée par A. Smith au XVIIIe siècle, apparaît comme un système de coordination de la production beaucoup plus efficace que la planification autoritaire ; enfin, l’élévation des niveaux de vie, contrairement aux prédictions de K. Marx, apparaît comme une nécessité intrinsèque au capitalisme, puisqu’il doit se créer à lui-même ses propres débouchés.

Le capitalisme contrôlé

Le capitalisme « laissé à lui-même », sans intervention de l’État ou d’autres institutions représentatives de la masse des citoyens comme les syndicats, produit un certain nombre de conséquences néfastes ou dangereuses dont l’évolution historique offre de nombreux exemples. Les sociétés capitalistes maintiennent et aggravent l’inégalité des conditions qui résulte de la propriété privée, de l’héritage, et de l’accumulation des capitaux, donc des richesses, mais aussi du savoir et de l’influence. L’éducation, et la mobilité sociale qui peut en découler, sont à même de tempérer cette tendance à la croissance de l’inégalité. Mais il peut se faire aussi que les plus défavorisés ne réussissent pas à sortir de leur condition, et se trouvent enfermés dans des ghettos dont l’existence est une menace pour la paix sociale. De toutes les causes d’aggravation de l’inégalité, le chômage est une des plus redoutables, surtout dans une phase où la tendance à remplacer le travail humain par la machine est prépondérante.

En face de ces problèmes, l’État doit intervenir pour limiter les inégalités, secourir les chômeurs, financer le secteur public, afin de ne pas laisser péricliter les biens collectifs au bénéfice de la seule richesse privée. C’est tout le domaine de la politique économique qui est ici en question, et les solutions peuvent aller d’un libéralisme extrême, doté d’un « État minimum », à l’interventionnisme généralisé caractéristique de la social-démocratie.

Les limites du capitalisme

Même dans l’hypothèse où le fonctionnement du capitalisme serait régulé par l’État d’une manière satisfaisante, et en accord avec les orientations données par le corps électoral, l’avenir des sociétés capitalistes pose des problèmes considérables.

Le développement des échanges et la création d’une économie véritablement mondiale entraînent de nombreux dangers de déséquilibre, car les rythmes de croissance des divers pays sont inégaux, et leurs politiques économiques contradictoires. Comme aucun mécanisme de nature à rééquilibrer les échanges ne saurait exister, cette situation nécessite une intense activité de consultations et de négociations entre les États afin d’aboutir à un minimum d’harmonisation.

Le capitalisme semble provoquer sur le plan mondial ce qui existe sur le plan de chaque État : une forte aggravation des inégalités. Un petit nombre de nations riches de l’hémisphère Nord se développent à un rythme soutenu, et consomment une part croissante des ressources mondiales, alors que la plupart des pays moins développés, situés dans l’hémisphère Sud, stagnent ou régressent. L’inégalité croissante entre les nations, voire les continents, est aggravée par l’inégalité des taux de croissance démographique, car les pays sous-développés, qui n’ont pas connu la transition démographique qui caractérise les pays riches, continuent à voir leur population se développer à un rythme rapide. On peut ainsi prévoir facilement l’aggravation des tensions qui existent déjà entre zones pauvres et surpeuplées et zones riches et moins peuplées.

Enfin apparaissent des problèmes écologiques graves, provoqués simultanément par la croissance démographique à l’échelle planétaire, la consommation accrue de ressources naturelles liée au développement, et les multiples pollutions résultant de l’activité industrielle. Si la croissance économique apparaît comme un facteur d’équilibre des pays capitalistes, elle risque à long terme d’entraîner la destruction de l’environnement naturel. Mais c’est là un problème qui découle non seulement du fonctionnement des économies capitalistes, mais de toutes les formes d’organisation sociale imaginables.

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