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De quel Etat parlons-nous ?

samedi 14 avril 2001

1. Tout d’abord, les néo-marxistes et les socialistes ne se réjouissent pas du retour de l’Etat, car ils l’ont toujours combattu. Qui plus est, le concept d’Etat est une invention libérale. Le libéralisme politique de Hobbes, Locke et Montesquieu a fondé la démocratie libérale et l’Etat moderne.
Pour les libéraux politiques héritiers de Hobbes, Locke et Montesquieu, dont je suis, l’état de nature est un état de chaos et c’est l’Etat libéral qui met fin à l’état de chaos en instaurant l’Etat de droit, qui est fondé sur les droits imprescriptibles du citoyen à vivre libre en société, ainsi que sur les droits de la propriété. Si les libéraux politiques insistent sur la mise en place de droits de la propriété complets qui sont la source de la liberté, de la responsabilité et de l’efficacité, ils donnent une importance décisive aux droits du citoyen qui s’expriment notamment par une assemblée législative qui vote la loi à laquelle l’Etat, ses administrations et ses fonctionnaires doivent être soumis, comme les autres acteurs de la société. Les libéraux politiques différent ainsi des libéraux économiques qui veulent réduire le contrat social aux seuls droits de propriété (le libéralisme économique est donc une version récente et partielle du libéralisme). En conséquence, les libéraux politiques souhaitent qu’il existe un Etat régalien fort, au service de l’Etat de droit, pour protéger notamment les faibles. Ce sont les libéraux politiques qui ont inventé le concept d’Etat séparé du pouvoir. Avant les libéraux politiques, on ne connaissait que le pouvoir ou la confusion entre l’Etat et le pouvoir, d’où la formule célèbre de la monarchie absolue et du Roi-Soleil, « l’Etat, c’est moi », une formule qui est le symbole de tout ce que les libéraux politiques rejettent.

Même l’Etat hégélien s’inscrit dans la démocratie libérale. C’est Marx qui rejette l’Etat de droit et sa traduction en droits formels que les peuples, opprimés par le soviéto-marxisme, rétabliront à la fin du XXe siècle. Marx ne reconnaît que des droits réels, qu’un soi-disant Etat soumis au parti unique, dans une contradiction totale avec les origines de l’Etat, serait capable de défendre, ce qui se révélera également faux. En réalité, pour garder leur sens aux concepts, le monde soviétique n’a jamais eu d’Etat mais seulement un pouvoir absolu effectivement soumis aux délires du parti unique. Or rappelons que tout le mouvement socialiste jusqu’à la chute du mur de Berlin a combattu les droits formels et la Déclaration des droits de l’homme qui en est l’expression. En réalité, il n’y a pas de droits réels de bonne qualité (comme l’éducation ou la santé publiques) sans droits formels. A condition de concevoir l’éducation comme la préparation d’hommes et de femmes libres à assumer leurs décisions, ce que rejettent justement le fascisme et le marxisme, qui veulent simplement former les hommes et les femmes à obéir au parti unique.

Comme indiqué précédemment, le libéralisme politique ne présuppose pas d’ordre spontané : c’est l’Etat libéral, par l’instauration de l’Etat de droit, qui met fin au chaos de l’état de nature. Puis l’ordre étant instauré dans la société politique, la décision décentralisée d’hommes libres et responsables permet d’atteindre un niveau de production et de bien-être collectif plus élevé que tous les autres systèmes économiques qui ont été proposés jusqu’ici. Sans l’ordre politique libéral fondé sur des droits formels, ce qui a conduit les libéraux à proclamer les droits de l’homme, et sans la mise en oeuvre de systèmes transparents et efficaces de régulation de l’économie, on ne peut atteindre l’optimum économique. Dans ce cadre, le libéralisme politique appelle un Etat fort qui protège les libertés de tous les citoyens et notamment celles des plus faibles.
C’est le libéralisme politique, combattu par les socialistes et les fascistes, qui a conçu la démocratie ainsi que l’Etat séparé du pouvoir, et qui a proclamé les droits imprescriptibles de l’homme et du citoyen. Les Révolutions française initiale (1789-1792) et américaine sont des révolutions libérales. Cet Etat séparé du pouvoir doit être comptable du long terme en encourageant les individus à travailler, épargner et investir dans le capital humain et physique par des règles de gouvernement stables et des incitations appropriées, en maintenant la fiscalité à un niveau réduit.

2. Si les néo-marxistes et socialistes ne se réjouissent pas du retour de l’Etat, puisqu’ils l’ont toujours combattu, de quoi se réjouissent-ils ? Du retour de la dépense publique. Ce n’est évidemment pas la même chose. Dans la mesure où les néo-marxistes ont perdu la guerre intellectuelle contre le libéralisme politique, avec l’effondrement de l’Union soviétique qu’on fait tout pour oublier en France, il ne reste plus que deux façons d’essayer de faire dérailler la démocratie libérale et l’Etat de droit.
D’abord, inventer un pseudo-concept d’ultralibéralisme dépouillé de sa vraie histoire, qu’on se réapproprie au passage en devenant miraculeusement les chantres des droits de l’homme. L’ultralibéralisme devient le règne du marché contre l’Etat et, de proche en proche, contre la justice, le genre humain et, pourquoi pas, la liberté. Cette palinodie spécieuse donnerait simplement la nausée si elle n’était pas prise au sérieux par la société française. Mais l’effroyable ignorance de l’histoire de la pensée et des idées politiques qui frappe nos pseudo-élites a permis d’accréditer ce délire macabre.

Ensuite, en noyant la société sous un flot de dépense publique qui permet d’arroser son électorat potentiel. Le refus de la réforme de l’Etat faisant appel à l’évaluation et aux contrôles pour s’assurer que l’Etat accomplit sa fonction de manière efficace est la marque du socialisme moderne. Les socialistes parlent de réforme de l’Etat pour ne surtout pas la faire. Les communistes et les Verts ne parlent de rien, si ce n’est d’augmenter la dépense, de multiplier les fonctionnaires sans contrôles et d’arroser les associations lucratives sans but. Enfin, presque sans but. Il s’agit tout de même au passage de placer ses copains et de s’emplir les poches.

3. Bush est-il devenu un sous-marin de Hue, réalisant à Washington le rêve de Staline ? Donc Bush, s’il est effectivement un libéral politique, n’organise pas le retour de l’Etat mais sa consolidation. Néanmoins, il dépense. Est-ce le début de la fin du libéralisme politique ? Les libéraux politiques modernes ne se sont pas opposés à l’action de l’Etat en économie puisqu’il doit mettre en oeuvre des systèmes efficaces et transparents de régulation de l’économie afin de conduire l’économie de marché à son optimum de production et de bien-être. Les libéraux politiques s’opposent à l’Etat qui fait lui-même sans contrôles, au lieu de « faire faire » sous contrôles.

A condition que la dépense publique reste modeste, non seulement l’Etat doit être fort pour mettre en oeuvre sans défaillir l’Etat de droit qui protège les libertés, mais il doit favoriser l’éducation et la santé de citoyens qui sont libres à la mesure des responsabilités qu’ils exercent. L’Etat doit assurer la stabilité du système financier, le respect des lois sociales et environnementales et l’ouverture des marchés par l’application d’un droit de la concurrence prenant en compte les réalités stratégiques sur les marchés.

Ce que les libéraux politiques rejettent, c’est bien l’alourdissement continuel du poids de la dépense publique sans évaluation et sans contrôles. Mais ce n’est pas ce que fait Bush. Il baisse les impôts, ce qui est l’inverse d’une augmentation de la dépense publique structurelle que souhaitent la gauche du Parti socialiste, les communistes et les Verts.
Les dépenses qui augmentent aux Etats-Unis ont trait au renforcement de l’Etat régalien, concept inventé par les libéraux politiques, et à des mesures conjoncturelles visant à compléter l’action des stabilisateurs automatiques des finances publiques. Mais pour laisser jouer à plein les stabilisateurs automatiques en temps de crise, encore faut-il réduire la dépense quand tout va bien, ce que le gouvernement Verts-social-communiste refuse de faire.

Donc, il y a bien un retour de l’Etat aux Etats-Unis alors qu’il continue de s’affaiblir en France sous le poids conjugué d’une dépense publique incontrôlée et du renoncement à agir de l’Etat régalien pour assurer justice et sécurité sur l’ensemble du territoire. L’Etat français devient de plus en plus faible à mesure de la progression incontrôlée de la dépense publique. Le problème politique central en France est d’organiser rapidement le retour d’un Etat fort et efficace qui dépense peu. Et si le retour d’un « Etat fort qui dépense peu » devenait l’enjeu des élections présidentielles et législatives de 2002...

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