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La civilisation de l’échange

lundi 14 avril 2008

Certains ont employé le terme de "civilisation matérielle" pour désigner le monde occidental. Pourtant, contrairement à la plupart des autres sociétés qui se contentent de travailler la matière, l’Occident adjoint à cet art celui de travailler l’homme. En effet, il combine le travail sur la matière, que réalisent des groupes spécialisés, avec un travail sur l’homme, qui consiste à établir des relations d’échange entre ces groupes. Ce sont cette division du travail, ainsi que cet art de tirer parti des différences entre les hommes, c’est à dire l’échange, qui ont assuré la supériorité matérielle de l’Occident. Ainsi, "civilisation matérielle" peut s’entendre au sens de richesse matérielle de l’Occident. Mais si l’on veut remonter de l’effet à la cause, il vaut alors mieux parler de "civilisation de l’échange", d’une civilisation dont le principe est un travail sur l’homme. On ne fait cependant pas impunément de l’homme une matière première, et les occidentaux ont dû faire face à un certain nombre de conséquences. L’échange, tel que nous le considérons, est caractérisé par la rencontre avec un autre radicalement différent : seul le lien matériel réunit, les considérations spirituelles divergent. C’est à ce type de confrontations qu’ont dû s’habituer les occidentaux avec le développement du commerce depuis le 15ème siècle, confrontation avec l’étranger qu’avaient déjà connu les grecs de l’âge classique. Pour y faire face il a ainsi fallu reprendre l’humanisme des stoïciens. En effet, comme on ne commerce pas de manière continue et profitable avec des animaux ou des sauvages, l’occidental a dû perdre l’habitude de rejeter l’étranger en deçà de l’humain. De là une conception minimale de l’homme : simple silhouette transparente qui, calquée sur l’étranger, le fait accéder au rang d’homme quelles que soient ses couleurs particulières. De cet humanisme, fruit de l’échange, découle bientôt un certain relativisme. Une fois que l’on a accepté l’autre, le différent, au sein de l’humanité, on peut certes ignorer pendant un certain temps la contradiction qu’il représente, mais on finit toujours par remettre en cause ses propres conceptions. L’échange implique tôt ou tard la comparaison, et celle-ci le doute. Ainsi, un certain humanisme frotté de relativisme est la première caractéristique de la civilisation de l’échange : la multiplication des contacts inter culturels amène chacun à perdre de ses particularités pour s’ajuster à un idéal humain minimal.

A cela vient s’ajouter une seconde caractéristique, concernant non plus les hommes mais le lien social en lui-même. Celui-ci est en effet fragilisé par l’extension à outrance de notre civilisation : comment réguler les rapports sociaux de peuples très différents ? La situation d’échange fait se rencontrer des individus tenant de cultures sans commune mesure. On ne peut donc compter sur une entente implicite reposant sur quelque coutume partagée : a l’instar des pensées, les manières divergent et prêtent bientôt à confusion. Il faut donc établir une règle universelle, claire et explicite, pour harmoniser les rapports d’échange. C’est le rôle du droit écrit qui, inventé par un empire romain en proie aux mêmes difficultés, est repris par l’Occident pour autoriser son expansion capitaliste. C’est ainsi parce que la laine colorée des coutumes à tendance à s’éfilocher lorsqu’on l’étend que l’Occident à choisi de tisser son lien social à l’aide d’un nylon juridique, plus fin mais aussi plus solide.

Si l’on regarde en arrière, on comprend comment c’est un travail sur l’homme qui a permit à l’Occident de construire un édifice social aussi imposant. Tout commence par un polissage de l’individu qui doit relativiser ses conceptions particulières et se laisser ainsi réduire à un modèle humain universel : le matériau de base est la brique, elle ne laisse à voir aucune différence individuelle. Pour unir ces briques, il faut ensuite remplacer le mortier composite des coutumes par un ciment plus résistant à la fissure. L’échange en fait office : il est le principe unificateur de notre civilisation. Enfin, une armature métallique doit soutenir l’ensemble de l’édifice ; le froid acier juridique viendra renforcer le ciment de l’échange. Cette grandiose construction admet cependant un point faible : l’Occident, qui se targue de savoir si bien travailler l’humain, a négligé plusieurs de ses aspects. Certes, il sait polir les faces extérieures de l’homme pour l’insérer dans une vaste architecture. Il sait aussi dominer l’étranger qui a le choix entre s’intégrer et participer à la civilisation de l’échange, ou être écrasé sous le poids de quelque avancée monumentale. Mais ce travail sur l’extérieur de l’homme s’est fait au détriment de son intériorité : la dimension spirituelle est sans cesse négligée, bafouée. L’Occident devrait donc apprendre à travailler dans l’homme, ouvrir à chacun la voie d’une harmonie intérieure, ou chaque brique risque bientôt de se fissurer, et le majestueux édifice de s’écrouler.

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