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La condition féminine

lundi 14 avril 2008

Nicole Loraux, Les Enfants d’Athéna : la démocratie athénienne se construit sur une division des sexes excluant d’emblée les femmes. Deux mythes fondateurs : il y a deux espèces humaines, qui ont des origines séparées. L’homme athénien est un autochtone, né du sol comme Erichthonios (né de la semence tombée à terre d’Hephaistos, qui était amoureux d’Athéna). Alors que la première femme est fabriquée par la colère de Zeus contre la race des hommes : Pandore, créée pour discréditer Prométhée (elle avait une cassette qui contenait tous les maux qui devait un jour affliger l’humanité, et un seul bien : l’espérance. Elle ouvrit par curiosité propre aux femmes cette cassette, puis la referma précipitamment, si bien que seule l’espérance resta au fond de la boîte.)

Pour la Genèse, dans une première version, l’Homme et la Femme sont crées simultanément par Dieu. Dans une seconde, Eve est fabriquée par Dieu à partir de la chair et des os d’Adam.

Cette coupure structure encore les discours contemporains : dans l’Appenzell suisse, il a fallu une décision fédérale pour donner le droit de vote aux femmes en 1991. En Pologne, l’avortement est toujours interdit.

1 . LES RAPPORTS CONFLICTUELS ENTRE LA DEMOCRATIE ET LES FEMMES

1.1. La pensée démocratique et l’exclusion des femmes

La féodalité marque une légère ascension de la femme : la châtelaine qui devient juge, les couvents contrôlant les églises locales, les femmes exerçant à l’Université, les femmes qui fondent les écoles de médecine au XIIe. Mais le Moyen Age et ses procès en sorcellerie, ses lois Saliques, marque un retour en arrière. Les revendications sont alors fondées sur le principe de liberté (Aliénor d’Aquitaine, Louise Labbé)

La tradition du XVIIIe oublie les femmes car la coupure sexuelle paraît archaïque puisque fondée non en raison mais en nature. Si l’on utilise cet élément concret, alors on est à droite, parmi les tenants du discours biologique (Burke, Maistre, Bonald). Pour les combattre, les philosophes des Lumières pensent par essence. Aujourd’hui encore, l’éthologie, qui étudie les comportements sociaux des animaux et les extrapole aux humains, provoque un tollé général à gauche, du moins en France (cf. C. Lorenz, L’Agression).

Rousseau, Du Contrat social ; Lettres sur le gouvernement de Pologne : Existence d’un citoyen asexué. Mais en contrepoint L’Emile : cette utopie éducative marque fortement la différence homme/femme. Dans Julie ou la nouvelle Héloïse, Rousseau réhabilite le mariage. Il propose comme épouse d’Emile Sophie (la Femme bourgeoise rêvée par Rousseau). Les figures sont spécifiques : Emile, lui, est orphelin. Il y a alors un partage des rôles : la femme règne sur l’intimité, le foyer, donc l’intérieur ; l’homme sur le monde du travail et la politique, donc l’extérieur.

Vient en droite ligne la convention montagnarde (Robespierre, St Just mais aussi Napoléon) : dispositif juridique de l’asservissement des femmes. Il y a eu quelques exceptions, quelques femmes qui ont joué un rôle important sous la révolution : mais les hommes de la Révolution furent, selon Annette Rosas, Citoyennes ! les femmes et la Révolution française, et J-P Aron, Misérable et glorieuse : la femme au XIXe, un corps de doctrinaires cérébraux que les femmes dérangeaient. Et pourtant c’est le premier contact des femmes avec la vie politique militante (Bardèche : « Il y avait de la femme de lettres et de l’actrice chez à peu près toutes ») : Mme de Genlis, Olympe de Gouges (qui a défendu Louis XVI et a proposé à Robespierre de se jeter dans la Seine avec elle), Théroigne de Méricourt (qui se croyait l’inspiratrice de la Montagne et était d’une violence inouïe ; les poissardes ne le lui pardonneront pas et la fouetteront, ce qui la rendra folle). C’est que la Révolution ne pardonne pas aux femmes leurs aspirations passionnelles (les Tricoteuses qui forment des clubs, et se disent prêtes à transformer en eunuques les mauvais ministres). Ayant demandé le droit de visiter les prisons et de relâcher les détenus qu’elles jugeraient innocents, la Convention leur interdit le droit d’assister aux séances dans ses tribunes, puis exclut les femmes des assemblées politiques. C’est que les revendications sont devenues égalitaires (ainsi des salons féminins de Mme de Lambert, Mme d’Epinay, Mme du Chatelet, Melle de Lespinasse : la femme, en s’enfermant et en jouant de sa déduction, retourne contre l’homme l’image qu’ils se font d’elles).

Mais ne pas oublier que les revendications féminines sont, ailleurs, souvent différentialiste : Mary Shelley Wollestonecraft, Vindication Of The Rights Of Women : elle dénonce la préparation, par l’éducation, des femmes à la dépendance et à la coquetterie.

Dans ce dispositif juridique d’asservissement, l’enfant est la propriété exclusive du mari. Terreur panique de la femme, par définition trompeuse et mensongère. Balzac, dans Physiologie du mariage, caricature le discours du mari comme amant potentiel. Mais il y a un paradoxe au XIXe : la bourgeoisie au pouvoir a asservi ses femmes, mais rêve de la femme libre, de l’aristocrate du XVIIIe (c’est le cas de Charles, et surtout Rodolphe et Léon face à Emma Bovary). Balzac, dans Mémoires de deux jeunes mariés, oppose la bourgeoise Renée de Lestaurade à l’aristocrate Louise de Chaulieu et sa préférence va à cette dernière. Pour les Goncourt, dans La Femme au XIXe, les misogynes haïssent toutes les femmes de leur siècle pour adorer celles d’un autre temps, perdues à jamais.

Rousseau et les Liaisons dangereuses paraissent au grand moment de la sensibilité (1782). Crébillon fils a été constamment réédité pendant cette période. Il est alors doux d’être aimé par un être affectueux en se promenant à la montagne.

Alors qu’en opposition la participation des femmes à la vie politique est perçue comme un retour à la violence archaïque. C’est l’expérience de la pétroleuse rouge, de Louise Michel qui met tout à feu et à sang. La femme est la furie vengeresse, issue de l’animalité et est castratrice : dans Germinal, Haigrat, l’épicier qui abuse de toutes ses clientes, est châtré. Rémy de Gourmont, dans La morale de l’amour (1900), dira que la femme est laide car les défauts de la race humaine y sont accentués. Huysmans : « Fleur = femme = syphilis ».

1.2. La nature ou le politique

Dans les revendications sociales du XIXe, la femme se perçoit comme exclue du secteur marchand. Les syndicats sont hostiles à l’embauche des femmes. Hélène Brion, institutrice guesdiste et pacifiste, se plaint avant 1914 des conceptions des syndicalistes (« ménagères ou courtisanes » pour Proudhon). Flora Tristan, Pérégrinations d’une paria, 1834 : elle associe la lutte ouvrière et la libération des femmes. Engels affirme que la première opposition de classe dans l’histoire est l’antagonisme homme - femme dans le mariage. D’où une négation du sexe : pour avoir une société sans classe, il faut une société sans sexe (George Sand, M. Pelletier, Education positiviste des filles, l’anarchiste américaine Emma Goldman).

Pourquoi exclure les femmes de la démocratie ? Spinoza, dans le Traité de l’autorité politique, explique que la condition des femmes dérive de leurs faiblesses intellectuelles. Le cas des Amazones est une chimère dans la mesure où elles ne toléraient aucun homme sur leur territoire. Les femmes ne jouissent donc pas naturellement d’un droit égal à celui des hommes. Ainsi comment intégrer la pensée de la différence sexuée dans un mode de pensée qui se veut universaliste, la démocratie ?

Des efforts sont alors faits en matière de législation sur le divorce. Sans celle-ci, une femme perd complètement ses enfants. En 1792, le divorce est autorisé. Retour en arrière en 1815. Retour du divorce par la loi Naquet du 27/07/1884. La loi de 1975 rompt le caractère inégalitaire du divorce (consentement mutuel).

Mais pour Michelet (Etude sur les jésuites, 1843 ; La Femme, 1860) il vaut mieux pour la femme être aimée que de participer au pouvoir. C’est une défiance laïque : les femmes sont sous l’emprise des prêtres ; par deux fois elles ont embrassé et tué la République : au XVIe elles ont préféré les prêtres à la Réforme ; à la fin du XVIIIe, elles n’ont pas aimé les Lumières. Pour lui la Révolution est l’essence même du christianisme ; ce sont les forces réactionnaires de Vendée qui sont païennes. « Toute l’œuvre des Ténèbres s’était accomplie par l’entente intime de la femme et du prêtre » « Dans chaque famille, chaque maison, la contre Révolution avait un prédicateur sincère et ardent ». La femme est faite pour être aimée. Alors que Mme Rolland, vertueuse nullement amollie par l’inaction, est pour Michelet le symbole des anti - valeurs féminines.

Mais c’est Stuart Mill, dans L’Asservissement des femmes, 1861, qui formulera le premier la question du droit des femmes.

2. COMMENT PENSER LA DUALITE NATURE/POLITIQUE AUTREMENT QUE COMME INEGALITE (COMMENT PENSER LE BIOLOGIQUE ARCHAÏQUE DANS LE MODERNE) ?

Extrême difficulté pour la femme d’assumer ensemble l’égalité dans le travail, l’égalité à l’intérieur du couple, en ayant en même temps à payer cela par le prix cher de la famille et de la semi assomption de la féminité à laquelle les femmes n’ont pas renoncé. D’où un paternalisme de la collectivité face aux femmes, et un encouragement de l’Etat aux femmes voulant rester au foyer.

2.1. La Femme ou les femmes

L’invention de la Femme date des mouvements les plus critiques du capitalisme (Fourrier, St Simoniens, Enfantin, Bazard) : les XVIII-XIXe sont marqués par la loi du père. Alors que les utopistes rêvent d’une déesse-mère, cherchent à répéter le couple incestueux Isis/Osiris. Entre l’économie du phalanstère et l’économie du libidinal pervers, il y a une organisation fondée sur le désir qui, pour retrouver le politique, devient totalitaire. Ce romantisme politique qui parle en termes d’opposition sexuée ne fait pas progresser les droits politiques des femmes.

Pour Olympe de Gouges, la femme est le roturier et l’homme l’aristocrate. Idem chez Mill et Engels qui, dans L’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’Etat (1884), fonde l’opposition sexuée sur une opposition bourgeois/prolétaire. Mais même dans les partis avant gardistes, il n’y a pas de place pour les femmes. Un seul contre exemple : Alexandra Kollontai, épouse de Lénine, qui fut la première et la seule femme du premier gouvernement bolchevik, et fut chargée du secteur femme du parti dans les années 1920. De même que Jeannette Vermesch-Thorez qui est le PCF tout entier contre les revendications proprement féminines.

2.2. Pour une autre représentation de la féminité

Pour Beauvoir, dans Le Deuxième sexe (1949), la Femme doit se découvrir sans nature préalable. Il faut arracher la femme à la nature et la penser comme liberté. Hommes et femmes vivent l’étrange équivoque de l’existence faite corps : c’est contre soi que chacun lutte. Le fait d’être un être humain est beaucoup plus important que les singularités de chaque sexe.

A l’opposé, Elisabeth Badinter, dans XY, marque une hypervalorisation du rôle de la Femme. La Femme bénéficierait par la nature d’un statut privilégié : c’est un bizarre complexe de supériorité. Ce différentialisme féministe entend se traduire par des règles, d’où deux dangers :
Une politisation du sexe : Le système du droit modèle de plus en plus les rapports entre sexes. Ainsi des débats français sur la législation relative au harcèlement sexuel (loi de 06/91). Or par ailleurs ce texte supprime le délit d’homosexualité entre un majeur et un mineur de 15 à 18 ans : il y a contradiction car on supprime ainsi le délit de détournement de mineur. C’est que le législateur intervient pour répondre à la demande de groupes sociaux ; ce n’est donc pas une loi basée sur l’égalité, mais sur des discriminations positives. Par ailleurs, 41 % des grandes entreprises françaises ont une charte d’éthique incluant les rapports sexuels ; d’où une déresponsabilisation des acteurs, dans la mesure où les patrons ont depuis lors un moyen de chantage inespéré contre les cadres gênants.
Une sexualisation du politique : c’est l’idée étrange selon laquelle ce serait une catastrophe qu’il n’y ait pas assez de femmes en politique. Or le politique est à la fois homme et femme : il est autorité et prudence, sanction et prévention. La parité est contraire à l’idée même de politique. Si l’universalisme français a nui aux femmes, le fait qu’elles veuillent depuis affirmer leurs différences va se retourner contre elles. C’est ce phénomène de backlash (S. Faluti) qu’on observe aux Etats Unis : il n’y a plus que 3 femmes gouverneurs, 3 sénateurs. Le rapport Hite, Les Femmes et l’amour, montre que la femme libre est une héroïne devenue négative aux USA (la femme aux bords de la crise de nerfs). C’est que tout rapport social est de l’ordre du conflit ; la meilleure manière de l’hatiser, c’est de le refuser.

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