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La droite “ populaire ”

samedi 14 décembre 2002

À première vue, ce qualificatif a de quoi surprendre. André Siegfried n’expliquait-il pas qu’au fondement de l’opposition entre droite et gauche, “ il y a l’opposition du pouvoir absolu et du pouvoir populaire ”. Et le Maréchal Lyautey de renchérir : “ les hommes de droite sont ceux qui veulent le gouvernement d’une élite ”. A contrario, c’est bien connu, les hommes de gauche attendent le gouvernement du peuple. Les critères de distinction de la summa diviso de la vie politique française semblaient donc bien arrêtés. À droite : l’élite, la bourgeoisie, la richesse. À gauche : le peuple, la classe ouvrière, la pauvreté. L’expression “ droite populaire ” aurait donc bouleversé nos auteurs classiques qui auraient perdu tout repère en découvrant cet oxymore gravé sur le tout nouveau blason de la droite française. En cherchant à se réapproprier l’imagerie “ populaire ”, l’UMP vient-elle de mettre un point final à l’opposition droite-gauche traditionnelle que d’aucuns annoncent défunte depuis longtemps ? Elle a, en tous les cas, entendu donner un signal fort qu’il convient de décrypter. La droite chiraquienne, unie par les élans du cœur et les contraintes électorales, tente, en réalité, de décliner ce qui a fait le succès de son chef : la sympathie, la camaraderie, la poignée de main généreuse. Comme lui, elle place les idées au second rang et se veut, avant tout, “ populaire ”. Dans les deux sens du mot : à la fois proche du peuple et aimée de lui. Tout doit donc être mis en œuvre pour plaire, séduire, taper dans l’œil du nouvel ami de la droite : le peuple. Ce peuple que la gauche gouvernementale aurait délaissé pour lui préférer l’aristocratie culturelle parisienne (qui le lui rend bien), les cadres supérieurs (premiers bénéficiaires des longs week-ends RTT) ou les fameux bobos. Ce même peuple qui, outré par la prétention croissante de ses idoles socialistes, aurait basculé à l’extrême-droite un jour de séisme. Spectatrice ébahie de ce divorce sans consentement mutuel, la droite n’attendait plus cette aubaine. Survenue d’on ne sait où, la cassure du 21 avril a été saisie au vol par une droite qui n’aura pas perdu de temps pour tendre la main au peuple abandonné. Depuis lors, les droites n’auraient plus rien de gaulliste, d’orléaniste et, encore moins, de légitimiste. Telle la Trinité, elles seraient devenues “ une ” et, par la même occasion, “ populaire ”.

A priori, l’on ne peut que se féliciter que la droite prenne enfin conscience de la fracture qui sépare les gouvernants des gouvernés, qu’elle souhaite se rapprocher de ces derniers et les arracher à leur destin servile. Il eût été heureux que la droite quitte effectivement sa tour d’ivoire et tienne un discours neuf au peuple abandonné. Elle aurait pu ainsi cesser de l’appréhender comme un groupe uniforme, y découvrir les individualités qui le composent et leur redistribuer leurs pouvoirs, subtilisés depuis tant d’années par la machine étatique. Il était temps, bien entendu, de faire tomber la définition traditionnelle de la droite. Mais est-ce vraiment son ambition ?

À première vue, la nouvelle doctrine qui se dessine à droite semble malheureusement renouveler la stratégie usée de flatterie du plus grand nombre, évacuant par principe toute référence idéologique. Dès lors, il faut craindre que cette ambition “ populaire ” ne se mue en populisme constructiviste et que la droite, sous prétexte d’occuper le terrain à gauche, tienne un discours aussi interventionniste que son challenger, oubliant ainsi les réformes audacieuses tant attendues par son électorat traditionnel.

Ce piège, dans lequel se serait engagée la droite, est en train de se refermer sur elle. Délaissant les idées réformatrices de certains de ses membres, le parti unique véhicule en effet des messages simplistes et dépourvus d’ambition. Il n’est qu’à écouter le président de l’UMP lorsqu’il proclame, à peine élu, que les valeurs de son parti sont : “ la liberté, la responsabilité, la solidarité, la Nation et l’Europe ”. Ce n’est même plus de la synthèse, c’est de la compilation ! Son discours s’est apparenté à un joyeux pot-pourri de sophismes rassembleurs qui, baignés d’“ idéal républicain ” et portés par une supposée “ diversité dans l’unité ”, annonçaient vouloir “ faire l’Europe sans défaire la France et humaniser la mondialisation tout en sauvant la Terre en danger ” (sic). Au royaume des banalités, les phrases creuses sont reines ! Et c’est là qu’apparaît le vrai risque d’une ambition large, “ populaire ”, basiquement électorale d’un grand parti de droite : la viduité des formules risquera toujours de l’emporter sur l’action réformatrice.

La droite “ populaire ” serait donc devenue une droite généreuse, emplie de bons sentiments, ratissant large, détestant le conflit, se félicitant même des manifestations syndicales contre la libéralisation de l’énergie, caressant l’opinion, craignant à tout moment de la brusquer et rassurant la “ France d’en bas ” de sa compréhension magnanime. Une “ droite de gauche ”, en quelque sorte, perdant ainsi son identité et cherchant à se baisser au niveau du peuple mais oubliant, au passage, les forces vives. Ainsi, sous prétexte de ne pas choquer le peuple, elle refuse la révolution fiscale qui, pourtant, lui permettrait de respirer. Elle ne s’attaque pas plus au monopole de la sécurité sociale ni à la mauvaise gestion des hôpitaux publics. Pour la même raison, elle module les 35 heures au lieu de les supprimer. Au plan international, elle plaide même, à Johannesburg, pour la taxation des marchés financiers, avec des mots que n’aurait pas reniés José Bové. Bien sûr, elle a commencé à agir en matière de décentralisation, de sécurité et de financement privé d’activités publiques. Mais à trop faire le grand écart, la droite “ populaire ” ne sait plus qui elle est ni à qui elle s’adresse. Elle prend alors le risque de décevoir et, surtout, d’échouer.

Face à une telle dérive, le combat des idées ne doit pas être sacrifié sur l’autel du populisme. Car la droite ne pourra très longtemps se contenter d’une façade unifiée, d’une armée de godillots et d’un discours populaire et simpliste. Elle doit donc permettre l’expression d’idées courageuses et l’émergence de personnalités audacieuses et prêtes à véritablement engager le pays sur la voie de la réforme. Il serait, en effet, bien préférable de savoir rendre populaires des réformes que de les décaler sans cesse pour demeurer populaire.

L’avenir de l’UMP ne pourra être glorieux s’il ne porte un vrai projet de libération des énergies innovantes et s’il ne se donne une ligne d’action efficace. Dans le cas contraire, il laissera orphelines de trop nombreuses forces vives et, le jour où la gauche reparlera au peuple, la droite se retrouvera bien seule.

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