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Il est temps pour Paris d’infléchir sa position

lundi 14 avril 2003

Le compte à rebours de la guerre est désormais en marche. La démonstration de Colin Powell du 5 février devant les Nations unies a été immédiatement relayée, le 7, par la déclaration du président Bush : « The game is over. » En effet, après un tel étalage d’arguments « décisifs » issus des services secrets, on conçoit mal que l’Administration républicaine puisse soudainement renoncer après le second rapport de M. Blix.

Avec ou sans une nouvelle résolution, les Etats-Unis déclencheront la guerre en compagnie de leurs alliés. Car, que cela plaise ou non, les Etats-Unis sont d’ores et déjà parvenus à entraîner dans leur sillage une large partie du monde. La déclaration des huit chefs d’Etat et de gouvernement a enfoncé un coin profond dans la politique européenne de sécurité et de défense. M. Berlusconi fait du soutien aux Etats-Unis un des piliers de sa politique, et rejoint en cela par M. Aznar. Etrange coalition, dira-t-on, qui voit se joindre les défenseurs des droits de l’homme, comme Vaclav Havel, et des politiciens dont l’opportunisme n’est plus à prouver. Realpolitik et idéalisme s’épaulent mutuellement. De plus, en majorité, les chefs d’Etat arabes soutiennent désormais, soit activement, soit discrètement, l’entreprise américaine. La Turquie a voté une autorisation temporaire d’utilisation de ses bases. L’Australie reste le fidèle allié du Pacifique Sud. Tout comme, aux antipodes, le Canada ne manquera pas de rejoindre son voisin. Bien entendu, Israël ne fera pas officiellement partie de la coalition. Pour autant personne n’est dupe.

Mais, en dépit de ces ralliements gouvernementaux, il apparaît qu’à travers le monde les opinions s’inscrivent en porte à faux à l’égard de leurs dirigeants, qui, tous, auront à gérer dans les semaines qui viennent le problème de la légitimité de leur action.

Ce hiatus, contrastant avec la cohésion qui, en Europe du moins, avait accompagné la guerre du Kosovo, s’explique par l’absence de buts de guerre clairs, c’est-à-dire d’objectifs nettement déclarés, confinant l’exercice de la force armée dans des limites précises. En 1990, les Etats-Unis avaient formulé sept objectifs, au premier desquels comptait la libération du Koweït, que l’Irak avait envahi, fort opportunément pour la clarté du droit international.

Or, à ce jour, les Etats-Unis ne déclarent qu’un seul but de guerre : le désarmement de l’Irak. Cet objectif est trop général et trop ambigu. Désarmer, c’est prétendre donner la prééminence à des mesures techniques (les inspections), alors que le problème est politique (la nature du régime de Bagdad). En effet, on ne désarme jamais avec une entière certitude un gouvernement hostile. La France en a fait l’expérience entre 1919 et 1933. Elle inspectait une Allemagne qui avait déplacé vers l’extérieur, principalement en Union soviétique, la fabrication de ses armes stratégiques. On ne désarme jamais qu’un Etat dont le gouvernement est disposé à désarmer parce qu’il n’est pas hostile ou qu’il a cessé de l’être, si bien que, à la limite, le problème ne se pose plus. Cet état d’esprit coopératif ne peut donc procéder que d’un changement de régime. Soit par des élections démocratiques, ce qui n’est pas le cas en Irak ; soit par un coup d’Etat, toujours possible mais peu probable ; soit enfin par une action de force extérieure, qui constitue le cas de figure actuel.

Ce caractère vague et tautologique du but de guerre américain nourrit tous les soupçons sur les vraies intentions des Etats-Unis. Une vaste partie des opinions publiques s’interroge sincèrement, tandis que les habituels théoriciens du complot se délectent : s’emparer du pétrole, déstabiliser le Proche-Orient, punir l’Arabie saoudite, satisfaire Israël et même... « venger papa »” ! En réalité, dès son arrivée au pouvoir, donc bien avant le 11 septembre, l’équipe Bush avait décidé d’en finir avec Saddam Hussein. Il ne fallait en aucun cas qu’il parvienne à disposer d’armes de destruction massive dans une région qui présente un caractère vital. En outre, nationalistes convaincus, les membres de cette Administration imaginent sincèrement qu’un régime comme celui de Saddam constitue une menace directe contre leur pays, leurs alliés et, bien sûr, les valeurs américaines.

Mais de telles croyances ne pouvant fonder une action militaire dans le cadre des Nations unies, il est essentiel de parvenir à la formulation d’une seconde résolution du Conseil de sécurité.

Elle est indispensable pour plusieurs raisons :

– canaliser l’action des forces armées, qui doivent être dûment mandatées sur des buts légitimes et limités, de manière à éviter que la guerre ne dérive au gré des circonstances ;

– raffermir la cohérence entre les gouvernements et les opinions publiques ;

– rassurer les voisins de l’Irak, en garantissant leurs propres frontières ;

– fixer des buts précis et un cadre complet, politique, juridique et technique, pour le désarmement.

En conséquence, cette résolution, après avoir expliqué les raisons d’un nécessaire recours à la force, devrait, au minimum, comporter les points suivants :

– garantir l’intangibilité des frontières de l’Irak ;

– prévoir l’organisation d’élections libres au plus tôt ;

– mettre en place une autorité internationale – soit onusienne, soit mandatée par l’ONU – en charge d’une triple mission :

– favoriser la transition politique ;

– réparer les maux dont a souffert la population depuis dix ans ;

– assurer la conduite du désarmement sur une base coopérative avec l’autorité provisoire irakienne qui serait amenée à remplacer l’actuel gouvernement.

L’objectif final doit être clairement affiché : un Irak pacifié et pacifique, stabilisé politiquement dans ses frontières.

Aucun de ces buts n’étant incompatible avec la position française, il est temps pour Paris d’infléchir sa position.

La diplomatie française a fait de son mieux pour créer les conditions d’une résolution pacifique de la crise ouverte durant l’été 2002 par les Etats-Unis. Elle s’est employée à ramener l’Administration Bush vers les Nations unies, contribuant à l’adoption de la résolution 1441. Les Etats-Unis devraient lui en témoigner plus de gratitude que d’acrimonie, car, ce faisant, l’administration américaine a évité le piège de l’unilatéralisme en contribuant à donner une véritable légitimité à l’action militaire. Cela rend encore plus scandaleux les propos de certains Américains qui, par allusion à la faiblesse franco-britannique devant Hitler en 1936-1939, qualifient de politique d’« appeasement » la fermeté en faveur du droit.

De fait, Saddam Hussein, qui se voyait ainsi ménager la possibilité d’une survie politique, n’a guère compris la nature de la chance qui s’offrait à lui. Comme il est fréquent, ce type de régime interprète le respect du droit comme un signe de faiblesse. On dira que c’était à prévoir, mais cela devait être fait.

Le cap de la légi timité internationale mérite d’être maintenu par la France. Pour y parvenir, il est temps de procéder à un infléchissement, compte tenu de l’évolution de la situation. En persistant dans une approche qui s’éloignerait de la réalité, la France court le risque de se voir exclue du règlement de l’après-Saddam et, plus généralement, de toute capacité d’action au Proche-Orient et dans le Golfe, abandonnés de fait à un leadership anglo-saxon.

On ne voit pas très bien comment, ayant choisi la neutralité et le retrait de l’action, Paris pourrait prétendre contribuer, entre autres, à la résolution du problème palestinien. Il est également douteux que le « monde arabe », entité mythique, nous sache gré d’un retrait qui serait davantage vécu comme un aveu d’impuissance.

En campant sur des positions désormais dépassées, elle mettrait également en péril l’orientation qu’elle souhaite donner à la PESD. Une Europe fracturée n’aurait plus guère de capacité à construire une personnalité diplomatique capable d’exercer une influence significative sur les affaires du monde.

La France n’a pas non plus à gagner à un superbe isolement du couple franco-allemand. Au demeurant, les Allemands ne nous demandent pas de les rejoindre dans une attitude que motivent des préoccupations économiques intérieures très graves. Qui plus est, ce repliement allemand va à l’encontre de l’attitude d’engagement international que Paris ne cesse de suggérer à Berlin.

Le meilleur ciment de la relation franco-allemande, c’est le retour de la croissance en Europe et dans le monde. Il importe, en effet, de sortir de cette crise au plus tôt, de sorte que, sur des marchés rassurés, les investisseurs soient disposés à reprendre leur activité suspendue.

Reste un dernier point : la meilleure des résolutions, la mieux approuvée, la plus consensuelle, ne constitue qu’un garde-fou, absolument indispensable mais fragile à l’égard des aléas, des impondérables, des surprises de la guerre, une fois qu’elle est engagée. Pour contrôler les risques de dérives, pour faire face à l’imprévisible, pour corriger les mauvaises trajectoires, il faut avoir voix au chapitre. Dans la partie difficile qui s’engage, la France ne peut se permettre de se tenir à l’écart.

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