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Olga et la rue de l’école... non, de l’écolo !

lundi 14 avril 2003

L’écologie flirtant tantôt avec l’idéologie tantôt avec le marketing politique, il n’est pas inutile de savoir de quoi il en retourne réellement lorsqu’on nous parle de trous dans la couche d’ozone, de dioxines, de biodiversité, d’énergie nucléaire et de principe de subsidiarité. Tel est en tout cas ce qu’entreprend un peu par hasard la petite Olga le jour où elle glisse sur une peau de banane qui la conduit directement chez le docteur Soignebien… qui l’entretiendra de la pollution de l’air et lui donnera l’occasion d’en savoir plus sur l’environnement !
Via les aventures et les interrogations de cette petite fille, belle métaphore ce que pourrait ou devrait être chacun d’entre nous, Dominique Garrigues, ingénieur diplômé de l’Ensae (et aussi de sciences politiques), trouve une manière originale de nous présenter les enjeux de l’écologie moderne à l’aune des besoins de la Cité. Un véritable essai politique… à lire aussi comme un conte pour enfant.

Le livre de Dominique Guarrigues mérite que l’on s’y attarde ; il contient en effet un style tout à la fois didactique et humoristique qui classe son auteur dans la catégorie des grands pédagogues brisant la chaîne aux maillons par trop convenus de la pensée unique environnementale. Telle un Candide aux multiples Pangloss, Olga, une fillette de 9 ans, va, au gré de ses pérégrinations, découvrir de nombreux concepts de l’écologie moderne, de l’environnementalisme, et aussi comprendre les liens pourtant évidents qui unissent l’environnement et la pensée économique.

Ses observations, face aux multiples experts qu’elle interroge, sont frappées au coin du bon sens. Ainsi en est-il de l’ozone dans l’air des villes : Olga ne comprend pas pourquoi l’ozone, pourtant produit par les arbres des forêts quand il y a du soleil, serait censé rendre malades les gens des villes ! M. Pneumospec, spécialiste réputé de la question, tranche le débat : " aux doses que l’on rencontre dans l’air de nos villes, l’ozone n’est pas dangereux pour la santé " ; ce sont les scientifiques peu scrupuleux, payés pour observer et continuer à observer, qui noircissent le tableau par une petite exagération ici, une autre là…

Un autre exemple : le seuil de 50 milligrammes de nitrates par litre d’eau. Olga comprend que les nitrates ne sont pas dangereux pour la santé, au contraire, ils sont excellents : il y en a plein dans les légumes et les fruits, et tous ceux qui mangent des légumes ou de fruits ont bien évidemment une santé meilleure que les autres. Pour les nouveaux-nés, contrairement à une idée reçue, ce ne sont pas les nitrates mais les nitrites qui posent problème ; mais ces derniers apparaissent si on laisse un biberon préparé avec de l’eau du robinet, contenant des légumes (genre soupe), pendant 8 heures hors frigo.. Donc le seuil de 50 mg n’est pas justifié. On ignore si cette norme n’est pas trop sévère. Olga note enfin que les agriculteurs qui rejettent trop de nitrates ne sont pas sanctionnés, dans la mesure où des subventions sont versée pour que ceux-ci s’équipent, et qu’il est donc illogique de sanctionner quelqu’un qui n’a pas encore touché sa subvention…

Autre seuil, analogue : celui de 10 microgrammes de plomb par litre d’eau. Le coût d’un tel seuil est de 120 milliards de francs. Guarrigues rappelle que les pays du Nord de l’Europe ont milité pour ce seuil, et l’Allemagne les a suivi, dans la mesure où ces pays utilisent des tuyaux en plastique et auront donc un surcoût très modéré ; pour la France en revanche, dont la ministre de l’Environnement de l’époque n’a pas compris la particularité, la plupart des vieux immeubles ont des tuyaux en plomb (il faudra remplacer 40% des installations de distribution françaises). Or, comme Olga le souligne, l’eau contient du plomb uniquement dans les régions à géologie cristalline (Massif central, Massif armoricain, Vosges) - et nulle part ailleurs. De surcroît, " le taux de certains produits considérés comme potentiellement toxiques (sulfates, nitrates, produits radioactifs) dans l’eau potable est fixé en France à un niveau beaucoup plus bas que celui accepté dans les eaux minérales, que boivent pourtant préférentiellement les sujets fragiles " ! La fixation d’un seuil de 20 µg/l ne coûterait qu’une vingtaine de milliards…

C’est ainsi qu’Olga découvre les rudiments de l’analyse économique, qui peut se résumer de la sorte : le coût d’une mesure de protection de l’environnement ou de la santé est connu - et il est élevé ; il faudrait que les bénéfices - ou les avantages - soient au moins aussi élevés, pour que la mesure soit justifiée d’un point de vue économique. Citons ce dialogue savoureux :

- on ne peut pas tout faire, il va falloir choisir ; comment faire ?
- peut-être commencer par les problèmes les plus graves ? dit Olga
- oui, bonne réaction ; mais - juste pour prendre un exemple - si nous avons des problèmes très graves mais très difficiles à traiter, et que d’autres problèmes, juste un peu moins graves, soient beaucoup plus faciles à résoudre, il vaut peut-être mieux commencer par les seconds ? tu es d’accord ?
- je comprends ça, oui ;
- eh bien l’analyse économique permet de calculer ces priorités, en comparant l’argent qu’il faut mettre pour traiter les problèmes avec les bénéfices - ou les baisses de coûts - à attendre de leur résolution ; et on identifie ainsi les mesures qui rapportent le plus pour une même dépense : on dit qu’elles ont un meilleur ratio " coût/bénéfice " ; tu comprends ? ".

Garrigues évoque le cas de la pollution sonore : depuis que l’action publique est exclusive (1975), et depuis la fixation de seuils réglementaires inadaptés, il est impossible d’obtenir réparation au civil (sous forme d’astreintes à verser par exemple), ni d’ailleurs au pénal. Lorsque l’on sait par ailleurs que les décrets d’application de la loi sur le bruit de 1992 ne sont toujours pas parus, il est permis de se demander si nous n’aurions pas trop de lois, adoptées au demeurant, bien souvent, pour des motifs essentiellement politiciens.. Bien meilleur serait un système fondé sur des tribunaux qui, nommant des experts, chiffreront les dommages, identifieront le ou les pollueurs, lequel devra, si sa responsabilité est engagée, verser une forte indemnité au pollué. S’il n’a pas commis de faute, son assurance interviendra. De proche en proche, " une jurisprudence, qui joue le même rôle qu’une réglementation mais en plus concret et bien adapté à la réalité des problèmes ", verra le jour.

La réglementation serait-elle préventive, empêchant le premier malade ou le premier mort ? En réalité il n’en n’est rien, car, avec la réglementation aussi, on attend qu’il y ait des victimes pour agir, pour commencer à songer à " prendre des mesures " !
Pour les biens sans propriétaires (la biodiversité, les océans, etc) il faudrait que le droit évolue de telle sorte qu’ils puissent obtenir des protecteurs, c’est-à-dire des propriétaires, ou tout au moins des personnes qui aient un droit d’usage sur ceux-ci.

Olga met à bas les idées reçues sur l’effet de serre : le principal gaz vecteur de l’effet de serre, c’est la vapeur d’eau, puis le gaz carbonique. Les activités humaines dégagent 6 milliards de tonnes de carbone par an : c’est un chiffre dérisoire par rapport aux centaines de milliards de tonnes par an de variations naturelles du carbone de l’atmosphère ! Il se peut même que la production d’énergie fossile (houille, charbon, …) ait un impact faible ou même nul sur l’effet de serre car ceux-ci jouent un rôle d’écran contre les rayons solaires !

Olga s’initie donc à l’actualisation des coûts : 1 million d’euros dans cent ans ne représentent que 450 euros aujourd’huis, actualisés à 8%/an : la question est de décider s’il faut lancer des actions contre l’effet de serre tout de suite, dont les coûts vont réduire la richesse mondiale, ou bien seulement continuer à faire des recherches et des mesures pour en savoir plus, avant de s’engager dans des actions coûteuses : " les partisans de la solution d’attente, par très nombreux, disent que ce n’est pas en appauvrissant la génération présente qu’on mettra les générations futures mieux à même de traiter les problèmes quand - et si - ils apparaîtront. "

Quel est le coût de l’énergie ? Disons-le tout de go : EDF n’a pas payé tous les coûts de R&D, on n’est pas sûr qu’elle paie son combustible au bon prix (l’uranium enrichi, c’est très cher…), ni qu’elle provisionne la totalité de ses charges futures de démantèlement des centrales et d’élimination de ses déchets… L’électricité nucléaire coût environ 18 centimes de FF le kwh ; les centrales thermiques coûtent un peu plus cher, et les éoliennes ou l’électricité solaire beaucoup plus cher, vers 33 centimes de FF le kwh. EDF n’est probablement pas assurée contre le risque nucléaire puisque elle fait passer des contrats de couverture par ses sociétés captives, lesquelles peuvent être réassurées ou non ; si elles ne le sont pas, c’est qu’EDF n’est pas assurée elle-même, puisque ce sont ses propres sociétés. Il faut savoir qu’un sinistre nucléaire dans un pays développé pourrait coûter jusqu’à 100 ou 200 milliards d’euros. Par conséquent, le coût de l’électricité nucléaire est bien plus élevé que nous le pensons communément : il dépasse vraisemblablement 1 000 milliards de francs par an, dont un surcoût de 25 milliards rien que pour le coût du personnel ! Il faudrait donc ouvrir le marché à la concurrence, interdire le retraitement des combustibles nucléaires usés, mondialement ; continuer à faire de la recherche pour résoudre les problèmes des déchets nucléaires, et pour concevoir de nouvelles centrales. Aujourd’hui, seul l’Etat décide.

La péréquation des tarifs de l’électricité, c’est une subvention au raccordement sur le réseau électrique, dans les endroits où les énergies renouvelables pourraient trouver une bonne utilisation ; et ensuite on est obligé de subventionner ces énergies renouvelables si l’on veut que les gens acceptent de les utiliser… Porter la part des énergies renouvelables de 15 à 21% sur 10 ans coûtera 210 francs par an et par ménage. Est-ce bien justifié ?

Sur le traitement des ordures ménagères : la loi de 1992 impose l’incinération partout, alors que, dans les zones peu peuplées, une décharge bien faite serait hautement préférable et meilleur marché.

La pollution urbaine ? tous les automobilistes représentent une demande solvable d’utilisation de l’espace : pourquoi ne pas vendre ce droit, en leur faisant payer un droit de rouler, comme un péage urbain ?
La biodiversité ? dans le cadre de Natura 2000, chaque pays doit désigner des sites sensibles, qui seront protégés ; mais pourquoi protéger l’état présent et pas un autre état, avant ou après ? demande Olga. Comment se fera la décision ?

Les quantités de poissons pêchables diminuent rapidement ? il faudrait instaurer un système de quotas négociables : chaque quota de prises pourrait s’acheter ou se vendre entre pêcheurs, à des prix librement négociés.. Un pêcheur achèterait des quotas tant que leur prix serait inférieur à la marge qu’il fait sur les prises supplémentaires que ces quotas lui permettraient de vendre, donc les plus efficaces en achèteraient davantage. Il faudrait enfin que les contrôles soient plus efficaces, avec des sanctions plus chères que les prix des quotas, et qu’elles soient effectivement appliquées.

Olga s’intéresse également à l’agriculture : la PAC a tenté de soutenir les agriculteurs en leur achetant leur production à des prix élevés, si bien qu’ils ont trop produit, et on a eu des montagnes d’excédents, pour un coût annuel de 50 milliards d’euros. Aujourd’hui les aides sont contestées, et l’arrivée de pays d’Europe de l’Est va considérablement déstabiliser le système. Mais, comme le dit le consultant qu’Olga interroge, et citant en cela un article de J-L Caccomo paru sur Catallaxia ( merci !), " tous les cartels finissent par imploser, celui de l’agriculture implosera aussi un jour proche… C’est bien ce protectionnisme - qu’il soit américain, européen ou japonais - qu’il faut dénoncer et qui aboutit à générer une surproduction de produits agricoles dans les pays protégés dans le même temps qu’il ruine l’agriculture des pays du Sud qui n’ont pas les moyens de mettre en place les mêmes systèmes d’aides. "

Sans ces aides et ces freins à la flexibilité, les agriculteurs les plus diligents souscriraient des assurances contre leurs pertes sur aléas climatiques, et ils vendraient leur récolte sur des marchés à terme. Les compagnies d’assurance les obligeraient à prendre des mesures de précaution et de prévention ; cette incitation serait très forte, car sans ces mesures, les primes à payer par l’exploitant seraient trois fois plus chères.

Olga est donc amenée à étudier les problèmes liés à la taxation. Deux options sont en effet envisageables : ou bien on taxe une activité dont on ne peut pas se passer, en calculant l’impôt sur le volume de l’activité elle-même : il y aura dans ce cas peu d’effet sur la pollution dégagée par cette activité. Ou bien on calcule cette taxe non pas sur l’activité, mais sur la pollution que l’activité dégage : les opérations vont alors diminuer cette pollution jusqu’à ce que le coût unitaire de la dépollution - qui augmente avec la pollution enlevée - soit égal au taux unitaire de la taxe ; au-delà, les pollueurs n’ont plus d’intérêt à dépolluer. Dans ce dernier cas, si le taux de la taxe est très faible, l’impôt ne rapportera presque rien, et il n’aura aucun effet sur la réduction de la pollution ; dans l’autre sens, si le taux est extrêmement fort, tout le monde supprimera la pollution, ce qui est très bien, mais la taxe ne rapportera presque rien non plus. Pour que l’effet dépollution et que l’effet rentrées fiscales soit optimum, il faut donc accepter qu’il reste un certain niveau de pollution…

Olga finit par s’interroger sur le principe de précaution, théoriquement limité aux risques les plus graves.
Olga : "
- agir avec un coût élevé avant d’avoir bien compris, bon, mais il est possible que ça ne serve à rien, ou même que ce soit néfaste, si finalement les actions ne sont pas celles qu’il fallait ? puisqu’on connaît mal la menace, on ne sait pas bien ce qu’il faut faire ? on n’est même pas sûr qu’il y ait une vraie menace ?
- il faut consulter les scientifiques qui connaissent le problème ;
- mais ils ne sont pas d’accord entre eux, puisque le principe de précaution s’applique en cas de doute, par définition ? si un seul dit qu’il y a un danger grave sur tel sujet, il faut que les autres lui démontrent que non, jusqu’à le faire changer d’avis ? et c’est plus difficile de démontrer l’absence d’un risque, n’est-ce pas ? "

Ceux qui demandent qu’on démontre l’absence de risque grave, lorsqu’ils savent que c’est impossible, ne se préoccupent pas réellement de l’environnement ; ils veulent simplement qu’on parle d’eux, et que l’on vote pour eux aux prochaines élections…


Auteur : Dominique Garrigues

Editeur Benevent

ISBN 2914757646

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