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A l’Attac ! et pourquoi faire ?

lundi 14 avril 2008

Ce qu’ils savent moins bien faire, c’est expliquer pourquoi ces chiffres-là signaleraient un problème. Une journaliste [2] sur Le Magazine du Nord [3] a entendu le chiffre des 1,5 billions et demandé si c’était réellement le cas ; et quand on le lui a confirmé, elle n’a posé aucune question supplémentaire, se bornant à pousser des "oh ! et des ah !. Qu’il soit question de sommes tellement élevées, ce doit bien être la preuve qu’on doit abattre le capitalisme…

Pour un libéral, un tel ordre de grandeur est au contraire une bonne chose. Qu’il circule une telle masse sur les marchés financiers signifie qu’il est plus facile de financer des investissements à long terme et de se couvrir contre les risques. Les grandes sociétés multinationales peuvent lancer plus de projets d’avenir et consacrer davantage à la recherche et au développement. Comme elles sont plus productives, leurs fabrications deviennent moins chères et les services du travail prennent plus de valeur à leurs yeux — ce qui conduit à de meilleurs conditions de travail et des salaires plus élevés pour les employés (les entreprises américaines dans les pays en développement paient leurs travailleurs trois à huit fois le salaire moyen du pays).

En outre les Attacqueux affichent peu de respect pour les faits et l’exactitude des statistiques. Quelques-uns des chiffes auxquels ils se réfèrent souvent dans les débats sont tout simplement tombés du ciel. L’un d’entre eux est que, lors de la crise asiatique, 50 millions d’Indonésiens seraient tombés en-dessous du seuil de la pauvreté absolue (moins d’un dollar par jour). La statistique de la Banque mondiale n’indique qu’un million jusqu’en 1999, qui s’est rapidement amenuisé depuis. Ils prétendent aussi qu’il mourrait 20 000 enfants par jour dans les pays en développement parce que ces pays seraient forcés de rembourser l’intérêt et le principal des prêts du monde riche, notamment du FMI. Cela présuppose que l’argent en question serait autrement allé aux médicaments et à la nourriture, ce qui n’est guère vraisemblable. En outre, c’est faux dans la mesure où les pays les plus lourdement endettés reçoivent chaque année à peu près deux fois autant d’aide "au développement" qu’ils paient en intérêts.

Assez paradoxalement, les représentants d’Attac ne sont toujours pas particulièrement compétents en matière de politique internationale et de mondialisation. Une simple indication en est à quel point l’Attac suédoise diffère de l’Attac internationale. En France, son pays d’origine, Attac se présente comme une opposante à la globalisation, prétend que les Français devraient acheter français et considère le protectionnisme agricole et cinématographique contre les films américains comme des questions qui leur tiennent à coeur.

L’Attac suédoise n’a pas ce même élément protectionniste et national-chauviniste. Ses représentants proviennent de la Jeune Gauche, de la Jeunesse verte et d’un cercle d’anticapitalistes plus âgés parmi les politiciens et les membres de la "société civile". Ils ne se disent pas contre la globalisation, mais pour une globalisation "différente", et peuvent envisager d’ouvrir les marchés de l’UE au moins pour les 48 pays les plus pauvres (qui en eux-mêmes ne peuvent presque rien exporter, mais quand même). Ils sont probablement plus intéressés à combattre la privatisation des dispensaires et la fermeture des bureaux de poste que de relever les "droits" de douane et d’imposer des quotas.

Certes, la présence d’Attac en Suède va relancer débat sur la globalisation, mais aucune argumentation pour le repli sur soi n’obtiendra de soutien de la part des internationalistes en Suède. C’est plutôt le conflit traditionnel entre socialistes et libéraux qui va se réveiller. La question ne va pas être si nous aurons ou non la globalisation, mais si celle-ci sera dirigée par les millions de décisions à la minute prises par les consommateurs, entrepreneurs, dans la communication et la souplesse, ou si elle sera dirigée par des centres de commande et des règles centralisés imposés par des bureaucrates et des politiciens.

Attac s’est, dans une première phase, engagée à promouvoir trois thèmes principaux : "1. Oeuvrer pour l’imposition de la taxe Tobin. 2. Empêcher que le système de retraites publiques soit employé à des fins de spéculation. 3. Effacer la dette des pays pauvres."

La taxe Tobin

La taxe Tobin serait une taxe d’environ 0,05-0,1 % (le niveau varie suivant à qui on parle) sur toutes les opérations de change. S’y associe l’idée suivant laquelle il faudrait limiter les flux de capitaux et ainsi les dégâts de la spéculation sur les monnaies. La plupart des critiques s’attachent à démontrer qu’il serait impossible d’imposer un tel système, parce que cela exige que tous les Etats soient unanimes, et que l’on puisse surveiller et rançonner toutes les transactions dans l’ensemble du monde, alors même qu’il n’existe même pas aujourd’hui de système de comptabilité. Et qui le dirigerait, et qui empêcherait une administration supranationale de ce genre de dérailler et de se laisser gagner par la corruption ?

Cependant, la taxe Tobin n’est pas seulement inapplicable, en fait elle n’est pas désirable non plus. Un impôt sur les opérations de change équivaut en pratique à un "droit" de douane sur les mouvements de capitaux, et qui en tant que tel renchérirait les coûts de transfert des pays riches aux pays pauvres en capitaux. On gagnerait à n’investir qu’à l’intérieur de ses propres frontières. Les Attacqueux prétendent qu’un impôt si faible ne saurait tenir à l’écart les investissements à long terme, mais les coûts accumulés pour un investissement peuvent être beaucoup plus élevés que ces faibles montants ne l’indiquent. Cela tient à ce qu’on le prendrait à chaque fois qu’une transaction a lieu, et que les entreprises et les investisseurs investissent dans un autre pays, cela implique en général non pas une seule mais une série de transactions. On place une partie des ressources, on récupère une partie en bénéfices, accroît l’investissement s’il a réussi, transfère une partie des recettes à d’autres parties de l’activité dans d’autres pays, etc. Le résultat est qu’il faut payer des sommes énormes au titre de la taxe Tobin. Cela fait que les autres pays ont plus difficilement accès au capital, et par conséquent moins d’investissements et des taux d’intérêt plus élevés. Attac prétend que la taxe est une manière de s’en prendre à la spéculation sur les changes. Or, même des instruments financiers comme les options, qu’ils considèrent comme pure spéculation, sont nécessaires à la bonne marche des investissements. Les entreprises en achètent parce qu’elles ont besoin de se concentrer sur la production, au lieu d’être obligées de spéculer sur ce que sera le niveau des changes ou des prix dans les semaines ou les mois à venir, quand ils devront conclure un contrat. Les risques sont assumés à leur place par ceux qui savent le mieux évaluer l’avenir et qui sont les plus portés à prendre des risques, à savoir les "spéculateurs". Et qu’il existe un vaste marché secondaire garantit qu’ils peuvent redistribuer les risques aussi vite qu’ils en ont besoin. Cela conduit à ce que l’assurance soit aussi bon marché que possible pour les entreprises. Elles peuvent investir en dépit des risques.

Une taxe Tobin renchérirait cette manière de diversifier les risques et réduirait considérablement les flux de capitaux. Des investisseurs moins disposés à prendre des risques et des emprunteurs forcés de payer plus cher leurs financements. Au cours de la décennie écoulée, les pays en développement ont reçu un quart de tous les investissements internationaux. Le risque est qu’ils s’assèchent considérablement avec une taxe Tobin.

La taxe Tobin, par conséquent, en dépit de son "faible" niveau, mettrait un coup d’arrêt à d’importantes transactions financières. En revanche, elle est trop faible pour exercer un quelconque effet de frein sur les crises financières et monétaires. Si les investisseurs peuvent gagner 20 % en jouant contre la monnaie indonésienne, ou perdre 40 % s’ils ne se retirent pas assez vite de Thaïlande, ils ce n’est pas une taxe de 0,05 % qui les dissuadera de quoi que ce soit. Alors, est-il impossible d’empêcher une spéculation destructrice sur les changes ? Pas du tout ; mais il faut d’abord comprendre pourquoi cette spéculation apparaît, ce qui ne semble guère intéresser les Attacqueux. Le problème tient à la réglementation des taux de change. Dès que le marché estime qu’une devise vaut moins que les hommes de l’Etat l’ont décidé, apparaît une possibilité de spéculer. Lorsqu’en 1997 il s’est trouvé que l’économie thaïlandaise n’était pas assez forte pour justifier le taux de change élevé de la monnaie thaïlandaise, les spéculateurs y ont vu une occasion. En effet, la Banque centrale était prête à acheter la devise plus cher qu’elle ne valait. Alors, pour simplifier, ils empruntaient autant qu’ils pouvaient dans la devise locale pour la revendre immédiatement à ce prix plus élevé (comme en Suède en 1992). Alors la Banque centrale épuisait ses réserves de change dans ses tentatives pour maintenir le cours. C’est cela qui s’est passé dans les pays asiatiques qui ont connu la crise. Lorsque les réserves de change eurent été épuisées, il n’y avait plus de garantie pour [la valeur des] prêts et [du] système financier. Tous les investisseurs s’enfuirent en même temps pour tenter de retirer leur argent à temps.

Que la Banque centrale tente de défendre son taux de change fixe par des achats massifs ou des taux d’intérêt plus élevés, les deux moyens sont également destructifs pour l’économie. Si l’attaque contre la devise est trop puissante, ils seront obligés d’y renoncer. Lorsque la monnaie a fini par baisser de peut-être 20 %, les spéculateurs peuvent rembourser leurs emprunts massifs, mais ils pèsent désormais 20 % de moins. La réglementation des taux de change est une subvention directe à la spéculation, et une recette pour des crises de change à répétition. Cela James Tobin, l’économiste favori d’Attac, en est conscient. Lors d’une interview pour Radio Australia il constatait que :

"Mon opinion est que c’est une grave erreur pour les pays en développement que ’avoir des taux de change fixe. Les trois principales devises — le dollar, le yen et le mark (bientôt l’Euro) — flottent librement les unes par rapport aux autres, et nous n’avons pas de crises de change entre elles. Je ne comprends pas pourquoi nous insistons pour que la Corée du sud ou la Thaïlande aient des taux de change fixes… puisque celles-ci provoquent des crises."

Deux économistes qui ont étudié la crise asiatique, Steven Radelet et Jeffrey Sachs ont constaté que : "Nous ne connaissons aucun exemple d’une crise financière ou monétaire de quelque importance sur un marché émergent ayant des taux de change parfaitement flexibles. Si nous voulons nous débarrasser de la spéculation il nous faut par conséquent, et contrairement à ce qu’affirme Attac, davantage de déréglementation sous la forme de taux de change flexibles. Ce qui reste comme argument en faveur d’une taxe Tobin est que celle-ci fournirait des sommes importantes, peut-être 100 milliards de dollars par an, que l’on pourrait employer à aider les pauvres dans le monde. Mais si nous savons que de telles sommes pourraient faire du bien dans le tiers monde, pourquoi ne pas les obtenir d’une autre manière ? En libérant les échanges, en supprimant la Politique Agricole de l’Union Européenne ? Ou en accroissant l’aide au développement ? ou les taxes écologiques ? Pourquoi insister pour que ce qui procure les ressources détruise en même temps les marchés des capitaux ? A moins, bien sûr, que ce ne soit le but recherché…

Les retraites

La plus grande partie du capital international dont les Attacqueux s’inquiètent tant provient de personnes privées qui cherchent, à travers différents fonds de pension, à s’assurer une vieillesse aussi agréable que possible. C’est une indication claire du fait que le marché n’est pas une sorte d’Alien, que c’est nous-mêmes qui le constituons. Cela ne plaît pas à Attac. L’association veut nous interdire d’investir nos cotisations de retraite sur les marchés d’actions. Cela signifie que la Premiepension, système qui prévoit que les Suédois ont le droit de placer 2,5 % de leur revenu dans des fonds de pension plutôt que de les livrer au système obligatoire, devrait être interdite. Cela permettrait à "l’Etat" de manipuler davantage de ressources, et aussi d’assurer aux citoyens une retraite authentiquement diminuée. Le rendement réel de ses Allmäna Pensionsfonder ont été négatifs de 1960 à 1993 : moins 0,7 pour cent. Si les gens veulent mettre leur épargne dans des projets qui perdent de l’argent, personne ne devrait les en empêcher, mais forcer les autres à le faire est plutôt du sadisme.

Si une telle interdiction était mise en oeuvre à l’échelle mondiale, cela empêcherait aussi les pays les plus pauvres d’obtenir une bonne partie du capital et des investissements dont ils ont tellement besoin. Les investissements dans ces pays sont souvent risqués et attirent rarement les particuliers, mais on peut prendre le risque si ce sont de grands fonds communs qui se le partagent. Or, ce sont justement à ces actionnaires collectifs que l’Attac veut s’en prendre pour les saigner de leur argent. Interdire à l’argent de nos retraites de quitter les pays riches peut difficilement passer pour un acte de solidarité international(ist)e.

L’effacement de la dette

La seule des exigences d’Attac qui ait rallié un peu plus de monde est la proposition d’effacer la dette des pays pauvres du monde. De quels pays il s’agit exactement, et à quelle conditions cela devrait se passer, cela dépend de qui vous interrogez. Cela signifie qu’on n’est pas tout à fait sûr de savoir en quoi les points de vue d’Attac s’écartent des annulations en cours par la Banque mondiale et le FMI.

Cependant, il y a de bons arguments pour effacer la dette. Il n’est par exemple pas juste que des dictateurs souscrivent des emprunts considérables ne profitent jamais au peuple, et qu’après la démocratisation, l’Etat démocratique et le peuple doivent rembourser cet argent. Les banquiers privés n’ont pas voulu prêter aux dictateurs africains qui fourrent l’argent dans leur propre poche, mais les Etats occidentaux, eux, l’ont fait. La Banque mondiale et le FMI. Ce sont eux, et non la population des pays pauvres, qui devraient supporter les coûts de prêts risqués. C’est pour cela qu’ils ont le devoir d’effacer la dette. Mais ce serait immoral qu’ils le fassent sans conditions, ce dont beaucoup d’Attacqueux semblent partisans. Cela impliquerait une subvention directe aux dictatures qui emploient les ressources à l’achat de matériel de guerre et à l’oppression de leur peuple. Parallèlement, il faudrait poser des exigences de démocratie et d’une véritable volonté de réformes.

Un problème est que, historiquement, l’effacement de la dette est généralement suivi d’un endettement supplémentaire. Si on échappe à l’obligation de payer ses dettes, en assumer de nouvelles c’est emprunter malin. Les données empiriques montrent que sur 10 ans, 1 % d’effacement de dette supplémentaire, conduit en moyenne à un endettement net supplémentaire de 0,34 %. Il y a des effacements de dette à peu près depuis 20 ans, et cela n’empêche pas certains des pays d’être plus endettés que jamais. C’est pourquoi il faudrait qu’une annulation une fois pour toute se combine avec un arrêt des prêts publics aux pays en question. A l’avenir, si les Etats veulent emprunter de l’argent, il faudra qu’ils l’empruntent à des intérêts privés qui croient pouvoir récupérer leur argent, ce qui veut dire que les Etats en question devront avoir une politique plus rationnelle et investir les fonds au lieu de les gaspiller.

Conclusion

Pour résumer, les trois points d’Attac ne sont pas particulièrement bien élaborés, et il y règne souvent des points de vue différents sur ce qu’ils devraient impliquer dans la pratique. Suivant celui à qui on parle chez Attac, les recettes tirées de la taxe Tobin devraient être consacrées à une série de projets différents voire contradictoires, n’étant pas administrées par les mêmes institutions. Parfois on vous dit que l’effacement de la dette devrait être inconditionnel, parfois non. Quand on critique l’un des points on obtient souvent des réponses, de la part de l’Attacqueux de base, indiquant qu’ils ne savent pas comment fonctionne le système actuel, ni ce qu’impliqueraient leurs propres propositions. A la place, on ressasse les trois points, comme un mantra. C’est une indication d’un mouvement jeune où on ne peut même pas se mettre d’accord sur ce qu’impliquent trois principes simples, et lorsque les adeptes ne s’y retrouvent même pas. Mais cela indique aussi que c’est autre chose qui importe à ceux d’Attac : c’est l’opposition au capitalisme, au "néo-libéralisme", à la "mondialisation libérale" ou "intégration économique par les patrons" et tous les noms qu’ils lui donnent. C’est-à-dire qu’il s’agit d’un anticapitalisme socialiste des plus traditionnels, avec la "solidarité" qu’ils y associent. Ces points-là, on les met en avant surtout pour des raisons symboliques. Pour ne pas passer pour une organisation "négativiste", on présente quelques propositions "constructives" censées montrer qu’un autre chemin serait possible. Que même les premiers pas sur cette voie-là sont irréfléchis et dommageables en dit déjà assez sur l’endroit où ils voudraient nous mener de force.

Notes

[1] "Dags att säga A-tack och hej !", Svensk Linje Liberal Debatt nr 1-2001. Traduit du sudéois par François Guillaumat.

[2] Il semble s’agir de Karin Jonsson, à une émission du 9 novembre 2000 sur SVT2 repassée le 11 novembre 2000 sur SVT1 l’article de Johan Norberg étant apparemment daté de janvier 2001.

[3] Le "Magazine du Nord" (Norra Magasinet) est une émission de la télévision d’Etat suédoise. Apparemment peuplée d’analphabètes économiques imbus du semi-esclavagisme démocrate-social, s’il faut en croire les critiques des étudiants du Parti Modéré du département de Jönköping.

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