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Epître aux communautaristes... et aux zélotes des ONG

mardi 15 avril 2003

Aurait-on imaginé, il y a encore dix ans, qu’une liste serait constituée aux élections universitaires sur le seul fondement de l’islamisme et obtiendrait un score respectable ? Aurait-on pensé que les chaînes publiques de télévision s’efforceraient de promouvoir des présentateurs beurs, des « héros positifs » turcs, des animateurs noirs ? Aurait-on trouvé naturel que le chef de l’Etat s’adresse avec solennité aux « communautés musulmane et juive » afin de les appeler à garder leur sang-froid, comme si celles-ci représentaient des institutions officielles ? Jean-Pierre Raffarin veut bâtir « la France des collectivités territoriales » ; un de ses successeurs parlera un jour aussi benoîtement de « la France des communautés ». Etonnante évolution qui voit la patrie de la laïcité passer subrepticement d’une vision de la religion, partie prenante de la sphère privée, à une reconnaissance, ès qualités, des institutions religieuses. Les pouvoirs publics, hier de gauche, aujourd’hui de droite, n’ont de cesse de faire émerger un islam officiel, susceptible de leur servir d’interlocuteur : ils ont, à court terme, raison mais c’est, à plus longue échéance, une folie. Ils feront naturellement tout afin que cette organisation en gestation demeure l’apanage des musulmans modérés. Mais comment être sûr qu’après vous avoir donné à vous, les communautaristes raisonnables, une existence institutionnelle, celle-ci n’offrira pas plus tard, à vous autres les extrémistes, un formidable levier ? Une fois de plus, vous n’avez même pas à revendiquer. Par lassitude ou manque de réflexion, nous ciselons, de notre propre chef, les instruments dont vous avez besoin. [...]

De ce point de vue, vous, les juifs les plus identitaires et désormais les plus nombreux, vous n’avez guère hésité à envenimer le débat. Ainsi étiez-vous deux cent mille à manifester, il y a quelques mois, contre l’antisémitisme et pour la solidarité avec Israël sans trouver étrange cet amalgame. Il vous paraît naturel ; il est absurde. [...] Loin de moi l’idée d’affirmer que la « question juive », au sens sartrien du terme, est la matrice du communautarisme français ; mais en l’exacerbant, en glissant subrepticement d’une identité religieuse et culturelle à une posture militante et idéologique, elle a précédé le mouvement de la société. [...] Nous croyons de moins en moins - avouons-le - au « melting-pot », ce terme forgé en 1908 par un juif anglais, Israel Zangwill, auteur d’une pièce de théâtre vantant les mérites de la fusion des peuples sur le sol américain. Nous faisons nôtre, sans l’admettre, le multiculturalisme, mot inventé cette fois-ci par un juif allemand, Horace Kellen, qui a passé sa vie à louer la beauté des différences par rapport au totalitarisme « WASP ».

Qui, dans la société, messieurs les présidents d’ONG [organisations non gouvernementales], a l’ascendant sur vous ? Les hommes politiques ? Pure plaisanterie : ils se prosternent à vos pieds. Les patrons ? Ils vous craignent désormais au moins autant que leurs actionnaires et bien davantage que leurs syndicats. Les intellectuels ? Il n’y a pas d’honneur plus grand pour eux que de rejoindre votre cohorte et de parrainer la plus modeste des ONG. Les journalistes ? Ils voient en vous la seule source d’informations qu’ils n’estiment pas avoir besoin de vérifier. Peut-être vous inclinez-vous devant un joueur de football, une rock star, une vedette d’Hollywood, à la condition qu’à côté de leurs multiples contrats de publicité et de parrainage ils aient en bandoulière une bonne cause, et donc le blason de telle ou telle de vos organisations. Vous êtes au firmament parmi nos nouveaux maîtres.Vos paroles sont d’or, vos actions admirables, vos interventions salutaires, vos principes éminents, votre idéologie salvatrice.

[...]

Pourtant, laquelle de vos organisations peut-elle prétendre fonctionner avec la même transparence que la multinationale la plus mal notée sur ce terrain-là ? Comment imaginer, par exemple, qu’au sein de Greenpeace ne cohabitent pas des visions différentes, les unes plus radicales, les autres plus réformistes, certaines attachées au dialogue avec les autorités politiques, quelques-unes plus révolutionnaires ? A l’occasion de quel congrès se sont-elles exprimées ? De quelle manière se sont-elles comptées au sein de l’organisation ? Comment les rapports de force ont-ils été institutionnalisés entre ces multiples tendances ? Questions insanes. Circulez ! Il n’y a rien à voir. Nous aurions besoin de « greenpeaceologues » comme existaient, du temps du communisme, des kremlinologues qui essayaient de suivre les modifications du pouvoir à Moscou, au rythme de l’évolution des places d’honneur sur la tribune du 1er mai !

Aujourd’hui, cette situation exorbitante du droit commun est commode ; demain, elle peut, sachez-le, vous créer des difficultés et miner votre légitimité. Votre position est trop atypique pour être durable : un contre-pouvoir omniscient qui n’est soumis, lui-même, à aucun contre-pouvoir. La société invente ce genre de situations mais elles sont heureusement éphémères. L’opinion se retourne brutalement : sa volte-face est imprévisible et d’autant plus rude ; et ceux qui exerçaient, en toute quiétude et bonne conscience, leur magistère, se retrouvent à leur tour contestés, agressés, vilipendés. Ce sera, le moment venu, votre destin.

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