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Des Lions menés par des ânes

Commentaire de l’ouvrage de Charles Gave

vendredi 18 avril 2008

Le livre Des Lions menés par des ânes de Charles Gave (R. Laffont, 2002) se présente avec le sous-titre : “Essai sur le crash économique (à venir mais très évitable) de l’Euroland en général et de la France en particulier”.

On pourrait rajouter le mot de Milton Friedman (dont l’auteur fût élève) au sujet de ce livre : « Un diagnostic pertinent et percutant de la rigidité cadavérique qui gagne une Europe trop engagée et réglementée à l’excès ».

Les deux grandes parties du livre : “Le Constat” et “La recherche du criminel ou « Elémentaire, mon cher Watson »” nous montrent :

I L’état inquiétant de la situation économique des pays ayant adopté le modèle du “capitalisme rhénan” - France, Italie, Allemagne - par opposition à ceux ayant préféré le modèle “anglo-saxon”.

II Les causes de cet échec, que nous pourrions, à la lumière du texte, résumer par :

- interventionnisme étatique dans l’économie (par le biais des entreprises publiques mais, surtout, par une réglementation pléthorique et étouffante)
- politique monétaire aberrante de la part des Banques Centrales, via les taux directeurs à court terme

Etant donné le côté très « factuel » du sujet, on peut se demander quel sera encore l’intérêt de cet essai, une fois que nous nous serons éloignés de la période considérée. Car, effectivement, les données et l’analyse concernent pour l’essentiel la période 1970-2000.
Qui plus est, quel intérêt pour celui qui n’est nullement concerné par la zone euro ?

A notre avis, la vertu cardinale de ce livre est qu’il s’agit d’une des plus brillantes « leçon d’économie pour les nuls » que nous connaissions. D’ailleurs l’auteur ne cache pas cette intention quand il déclare, en introduction :

« Si, à la fin de cet ouvrage, le lecteur a toujours l’impression que les technocrates savent quelque chose qu’il ne sait pas, alors nous aurons échoué... »

Et pour ce faire, l’auteur assume le pari de nous raconter l’économie avec les mots les plus simples et avec des graphiques. Et, en prime, avec beaucoup d’humour ! En lisant Charles Gave, on est surpris de découvrir que la science économique peut être comprise par tout un chacun, qu’elle ne nécessite pas des mots obscurs et qu’elle est profondément amusante.

Et l’on s’aperçoit vite, au fil des pages, que les pays et les périodes auxquelles font référence les graphiques et le texte sont, avant tout, un « prétexte » ; juste des exemples illustratifs. Le vrai sujet n’est pas la France, ni l’Europe, mais les concepts économiques et politiques qui s’illustrent à travers eux.

On y apprend, par exemple, comment se passent les choses entre production et consommation. Graphique à l’appui, Charles Gave nous démontre quelques vérités essentielles et universellement valables, comme le fait que « la production doit précéder la consommation ». Avec un brin d’humour, l’auteur nous rappelle qu’il s’agit là d’une vérité très universelle :

« Dieu a dit à Adam : « Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front ». L’ordre logique du commandement divin semble être : « tu travailles et après tu consommes ». Nulle part dans la Bible nous ne trouvons : « Consomme tout ton blé et, miraculeusement, du pain va pousser sans que tu travailles ». La consommation qui précède le travail, c’était avant la chute, au paradis terrestre. »

Ce qui ne manquera pas de contrarier les keynésiens. Mais Charles Gave persiste et signe :

« Toutes les politiques de relance par la demande et la consommation populaires, chères au Parti socialiste et au Parti communiste français, ne seraient donc que des foutaises ?
Eh oui... »

Sans manquer de rappeler la différence entre Keynes (« un très grand économiste ») et les keynésiens (des « politiques essayant d’acheter les votes de l’électorat en organisant des jeux et en distribuant du pain »)

On y apprend aussi que les victimes les plus nombreuses et les plus à plaindre dans les économies réglementées ne sont pas les riches, mais la grande masse des employés et des chômeurs. Que les seuls bénéficiaires sont les « administrateurs » du jeu économique (autrement dit, les fonctionnaires). Bénéfice à courte vue, hélas, comme le souligne Charles Gave :

« En tout cas, ce qui semble ressortir de nos précédents graphiques, c’est que si la richesse créée dans un pays se distribue entre :

1. ceux qui travaillent (salaires)

2. ceux qui entreprennent (profits)

3. ceux qui administrent les deux précédents (impôts)

alors il semble bien que toute croissance exagérée des « administrateurs » se fasse au détriment immédiat des deux autres catégories, mais encore plus au détriment à long terme de tout le monde, y compris les administrateurs eux-mêmes. »

Comment expliquer ce propos – encore abstrait – afin que tout le monde comprenne ? Charles Gave nous propose, quelques lignes plus loin, la même idée de manière encore plus imagée :

« Bornons-nous à remarquer que si le coût de fonctionnement de l’arbitre se met à dépasser la recette du match, peu de matchs seront organisés et les arbitres se retrouvent au chômage... »

Et c’est ainsi dans le même style, grâce à des graphiques simples (et nombreux !), des explications « hautes en couleurs » et beaucoup d’humour que le lecteur apprendra, au fil des pages, ce qu’est la Bourse, les action ou les obligations, à quoi servent des taux directeurs, comment se structure le jeu économique entre rentiers, entrepreneurs et « entremetteurs » (banquiers), avec les « relations amoureuses torrides et compliquées » qui les unissent.

A la fin du livre, le lecteur aura compris : les Lions sont les entrepreneurs, (ceux qui prennent des risques en permanence, puisque le jeu économique implique, certes, des succès retentissants mais aussi de nombreux échecs), y compris les banquiers – qui ne sont que des entrepreneurs dans la finance. Les Ânes sont les « administrateurs » et autres hauts fonctionnaires – élites auto-proclamées –, surtout ceux qui croient dur comme fer qu’ils peuvent (et qu’ils doivent !), par le biais des réglementations toujours plus nombreuses, « corriger », « améliorer », « pondérer » le « marché ».

Car, pour Charles Gave, la Liberté n’est pas « saucissonable » en libertés (économique, politique, sociale, etc.) : elle est ou elle n‘est pas. Par conséquent, le « marché » ne peut pas être « contrôlé ». A ce titre, l’auteur ne manque d’ailleurs pas de souligner la contradictio in adjecto d’une telle idée :

« Selon M. Balladur, un autre représentant de cette élite qui, lui non plus, n’a pas fait la carrière qu’il croyait mériter : « Le marché libre, c’est la jungle. La civilisation, c’est de le contrôler »

Encore une fois, l’eau sèche, chère à nos élites. Ou un marché est libre, ou ce n’est pas un marché. »

Deuxième coupable de l’échec de la zone euro selon Charles Gave : les Banques Centrales (surtout la Bundesbank allemande des années 1990-2000). Banques centrales qui – à travers les taux directeurs à court terme – ont un pouvoir déterminant sur l’économie dans son ensemble, étant donné que ce taux directeur définit, de fait, la répartition du RISQUE économique entre rentiers et entrepreneurs. Le propos devient, du coup, politique : un tel pouvoir peut-il être donné à des personnes (directeurs de Banque Centrales) n’ayant aucun mandat électif et, de ce fait, n’ayant des comptes à rendre à personne ?

A notre connaissance, cet aspect de la théorie économique de Charles Gave (l’importance déterminante des taux courts) n’est pas unanimement admis. Ni son plaidoyer implicite contre l’indépendance des banques centrales par rapport au pouvoir politique. Mais, là-aussi, grâce au livre de Charles Gave, même le lecteur le plus « ignare » aura compris les tenants et les aboutissants essentiels de ce débat. Débat qui, rappelons-le, est loin d’être tranché et revient régulièrement à la une de l’actualité.

Une synthèse du propos nous est livrée par l’auteur lui-même, en fin de livre :

« Il faut savoir qu’historiquement cinq grandes erreurs de politique économique ont accru de façon considérable les difficultés inhérentes à toute période déflationniste.

(...)
Ces cinq fautes capitales sont :

1. Une guerre

2. Une augmentation des droits de douane

3. Une augmentation du poids de l’Etat dans l’économie (hausse des impôts)

4. Un accroissement considérable des réglementations entravant la libre marche des affaires

5. Une erreur de politique monétaire (maintenir les taux courts au-dessus du taux de croissance de l’économie)
(....)

Ou en sommes-nous aujourd’hui ?

1. Nous sommes (probablement) en guerre contre le monde arabo-musulman

2. Le protectionnisme a fait sa réapparition aux Etats-Unis pour la première fois depuis les années 30

3. Le poids de l’Etat ne cesse de monter dans les pays rhénans, et avec lui le chômage.

4. Bruxelles et les gouvernements nationaux rivalisent de créativité dans la création de nouvelles réglementations.

5. La Banque centrale européenne suit la politique monétaire la plus suicidaire depuis le Japon dans les années 90 ou les Etats-Unis dans les années 30.

Si le lecteur veut notre avis, ça sent le sapin. »

En résumé : un livre court, étincelant, polémique, profondément libéral dans l’esprit. Mais avant tout, une “Leçon d’économie” que tout le monde comprendra. Et qui offrira à chaque page des raisons de sourire, voire de rigoler à grands éclats.

Livre dont le principal mérite réside dans sa pédagogie d’une rare qualité : celle de raconter des idées complexes avec des mots simples, et de rendre limpides au commun des lecteurs des concepts apparemment réservés aux spécialistes.

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