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Le panache et l’intérêt

vendredi 18 avril 2003

Comparaison n’est pas raison. Mais qu’il soit permis à l’historien de relever une fâcheuse tendance de notre histoire à préférer ce genre de plumet à la solidité des avantages. Comparons notre politique à celles des principaux acteurs de l’affaire irakienne. Il faut dire qu’on a de la peine à reconnaître la pleine rationalité de la politique américaine. La critique la plus juste que l’on adresse, aux Etats-Unis mêmes, à l’Administration Bush est que sa politique ne correspond pas réellement aux intérêts américains bien conçus. Avant même qu’elle soit commencée, la préparation de la guerre a, en effet, coûté un prix exorbitant.

Mais voyons les autres. Les Anglais, depuis 1956, ont décidé de coller systématiquement à la politique étrangère américaine. Le profit pour eux en a été grand, et l’on conçoit qu’ils suivent encore, bien qu’avec une conviction plus tiède. Les Russes ont une diplomatie parfaite, parce qu’elle n’a pas à tenir compte d’une opinion publique. Ils sont plutôt pour la guerre, parce qu’ils ont un certain nombre de marrons à tirer du feu, un certain nombre de poissons à pêcher en eau trouble, mais, en même temps, ils se déclarent contre la guerre, quoique sans fâcher les Américains, sans s’engager à rien et en poussant la France devant eux. Ils se guident sur leurs intérêts, un point c’est tout, et jouent imperturbablement la carte du jeu que leur a distribué l’Administration Bush. Les Chinois en font autant.

Les Turcs pèsent le pour et le contre, mais l’armée vient de rappeler à une Assemblée récalcitrante que la Turquie peut attendre des profits de la collaboration ; l’Assemblée est invitée à revoter en un sens plus réaliste. L’Allemagne s’en tient au pacifisme qui lui est imposé depuis cinquante ans et dont elle ne voit pas l’intérêt de sortir pour le moment. L’Italie a compris qu’elle n’avait aucun intérêt à mordiller les mollets de l’éléphant pendant qu’il est en colère. Elle se gare donc des voitures, affiche un profil bas, et se garde bien d’irriter le plus fort. C’est dans sa tradition, et elle ne voit pas de raison de changer.

En ce moment, les membres tirés au sort du Conseil de sécurité, l’Angola, la Guinée, le Mexique, le Chili, font leurs comptes. Ils sont l’objet d’une cour acharnée de la part des Américains et de la France. M. de Villepin frappe à leur porte et leur dispense un discours noble et sans doute des promesses plus matérielles. Mais pourquoi ?

Je viens de prononcer plusieurs fois le mot « intérêt ». J’attends toujours que notre président, dont le panache est éclatant, nous explique quel est l’intérêt de la France dans cette affaire. Le veto dont il agite la menace peut-il changer la décision américaine ? Non. Apaise-t-il une crise ? Il ajoute une crise à la crise. Sauve-t-il l’ONU, l’Europe ? Tout au contraire. La France en peut-elle retirer un profit égoïste ? Lequel ? On me répond que la France défend des « principes ». Qu’elle défend un « honneur ». Je veux bien, mais, en 1870, la défense de l’honneur n’a pas bien tourné. A Fachoda, en 1898, cette même défense faillit amener un désastre.

Aujourd’hui, l’opinion française semble aussi enflammée qu’à cette époque. La gauche souffle sur le feu, sans aucun souci de responsabilité, simplement pour se marquer et mettre la droite dans l’embarras. Une partie de la droite évoque le 18 Juin. Mais, le 18 juin, de Gaulle avait seulement fait un diagnostic juste. Il montrait que l’Allemagne n’avait pas gagné la guerre et que le vrai rapport des forces était de notre côté, si, du moins, nous voulions bien le reconnaître et l’exploiter. Ce n’était pas du panache, mais de la bonne et réaliste stratégie. On voudrait qu’il en soit aujourd’hui ainsi. A savoir que nous mesurions le rapport des forces et que nous recherchions notre intérêt. Et d’abord que nous le définissions.

A défaut, le peuple français pourra toujours se consoler avec de la gloire. Après une défaite écrasante, qui avait mis les Cosaques et les uhlans en position de se désaltérer dans les cafés parisiens, il avait décidé de construire l’Arc de triomphe. C’était une compensation.

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