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Pax americana ou projet pour l’humanité ?

vendredi 18 avril 2003

Les Nations Unies, dans leur organisation actuelle, ont vécu. Il n¹est plus acceptable que des Etats dictatoriaux comme la Libye y jouent un rôle central (en présidant, par exemple, la Commission des Droits de l¹homme), ni que des Etats coupables de crimes contre l¹humanité soient investis du pouvoir de voter, sur un pied d¹égalité avec les Etats démocratiques, à l¹Assemblée générale et au Conseil de Sécurité. Du point de vue européen, plus rien ne justifie l¹importance particulière donnée à la France, aux dépens des autres grands Etats européens continentaux, comme l¹Allemagne, l¹Espagne et l¹Italie.

A titre immédiat, des efforts doivent être entrepris pour que l¹Union européenne se voit reconnaître, en tant que telle, un rôle central au sein des institutions onusiennes. A plus long terme, il faut envisager de réserver un rôle opérationnel dans les institutions mondiales aux seuls Etats démocratiques.

Il y a tout lieu de se réjouir de l¹entrée, au sein de l¹Union européenne, de dix nouveaux Etats. Leur histoire récente, qui est communiste et totalitaire, insuffle à ces Etats un sens aigu de la valeur et des conditions de la liberté. Les Européens de l¹Ouest oublient trop souvent que la liberté et la prospérité ne vont pas de soi.

C¹est d¹une profonde évolution des rapports intra-européens que cette entrée des dix sera l¹occasion. L¹axe franco-allemand ne manquera pas d¹être débordé : la nouvelle Union sera multipolaire, et nettement plus portée à l¹anglophilie que l¹Union actuelle. La France en particulier sera ramenée à une position plus en rapport avec son importance effective et ses mérites dans l¹histoire récente, qui ne sont, somme toute, pas considérables.

Au-delà de l¹ONU et de l¹UE, c¹est la philosophie même des relations internationales qui évolue sous nos yeux. L¹attentisme traditionnel des Européens et la paralysie onusienne ne sont plus de mise : le temps est à l¹action. Le régime de Saddam Hussein était une dictature parmi les plus abjectes de notre planète, ayant gazé sa propre population et menaçant l¹humanité entière avec ses armes de destruction massive : rappelons que les inspecteurs de l¹ONU, en 1998, ont rapporté que le régime saddamite disposait des moyens de produire des milliers de litres d¹anthrax et de gaz VX (140 litres suffisent à tuer des centaines de milliers de personnes). Personne n¹a jamais prétendu que Saddam était prêt à lancer des ogives nucléaires à destination des cinq continents : mais comment imaginer que l¹on prenne plus longtemps le risque d¹un seul attentat chimique ou biologique dans une grande ville américaine, israélienne ou européenne ? Faut-il rappeler pourquoi les Américains sont spécialement sensibilisés à ce type de ³risque² ?

Le projet à l¹actualisation duquel nous assistons (le terme convient bien aux Européens continentaux) est celui de la globalisation de deux instruments fondamentaux : la démocratie et l¹Etat de droit. La liberté n¹est pas occidentale, elle est humaine ; la démocratie et l¹Etat de droit en sont les seuls instruments connus. Gardons-nous de substantialiser ces concepts avec des valeurs particulières, qui les priveraient ipso facto de leur portée universelle. La démocratie est une technique de sélection des gouvernants (démocratie représentative) et une technique décisionnelle (démocratie directe) ; l¹Etat de droit est un format normatif et institutionnel fondé sur l¹idée que la contrainte étatique ne s¹exerce qu¹au départ de règles générales et connues par avance (la contrainte étant, dès lors, prévisible et évitable, une réalité dont des peuples comme le peuple irakien ou nord-coréen n¹ont même pas l¹idée).

La question de l¹universalisation de la démocratie et de l¹Etat de droit mérite certainement d¹être qualifiée de spinoza, mais dans son application, pas dans son principe. Quid en effet si les Irakiens décident, demain, de porter au pouvoir des islamistes qui affirment leur volonté de clore la parenthèse démocratique et d¹instaurer la chari¹a ? Personne n¹a jamais prétendu que les choses seront faciles, mais plusieurs éléments sont encourageants : la société irakienne est laïque, les récentes expériences d¹Etats authentiquement islamiques (Afghanistan, Soudan) furent autant de désastres sur tous les plans, enfin les Américains sont parfaitement conscients de la nécessité de mécanismes institutionnels de sauvegarde et de balance des pouvoirs. Une évolution à la turque paraît plus probable qu¹une évolution à l¹algérienne.

Les Européens sont aujourd¹hui confrontés à un choix excessivement simple : plonger dans le fleuve de l¹Histoire en marche ou se laisser déposer sur ses berges en visant ceux qui y sont immergés avec des petits cailloux en poussant de grands cris. La voie française ou la voie britannique. Les causes de l¹anti-américanisme français se ramènent à deux courants : celui de la gauche, qui identifie dans un réflexe pavlovien qui ne se dément pas, les Etats-Unis au capitalisme et à l¹impérialisme ; celui de la droite (qui n¹en a cependant pas le monopole : cfr. J.-P. Chevènement), qui n¹arrive décidément pas à se consoler de la grandeur perdue de la France. Comme les Congolais ont, longtemps après leur indépendance, continué de percevoir la Belgique comme une puissance européenne, il n¹y a plus guère que les Belges (en-dehors des Français eux-mêmes) à penser que la France est une grande puissance. Cela fait quelques années déjà que leurs déplacements d¹air ont achevé de décrédibiliser les Européens de l¹Ouest aux yeux du monde : posez la question aux Afghans, aux Kosovars musulmans (qui se promènent sur l¹avenue Bill Clinton) ou aux Irakiens récemment libérés, mais aussi aux Tchèques, aux Hongrois, aux Croates, aux Bosniaques, aux habitants des pays baltes, etc.

La Pax à venir ne sera américaine que par défaut : il ne tient qu¹aux Européens d¹en être. Mais pas tout de suite : ils n¹en ont pas, dans l¹immédiat, les moyens. Militairement insignifiants et économiquement anémiques (0% de croissance serait un succès pour l¹Allemagne, les analystes tablent sur 4% pour les Etats-Unis), les Européens doivent libérer les forces créatrices de leurs formidables entreprises et réinvestir dans leurs équipements militaires (pas seulement dans le salaire des officiers). Dans l¹intervalle, il ne faut pas reprocher aux Européens d¹attendre au balcon que les choses tournent mal pour composer d¹infinies variations sur le thème de ³on l¹avait dit² : le bovarysme est tout ce qu¹il leur reste.

L¹humanité se dirige, il faut le souhaiter, vers la constitution de fédérations régionales, démocratiques et commerçantes, amenées à conclure des accords de libre-échange entre elles. Irréaliste ? C’est l’exacte définition du projet européen depuis 1945. La liberté de l¹Irak ne profitera pas aux seuls Irakiens : leur participation à l¹économie du monde sera bénéfique pour chacun d¹entre nous. Les Européens ont des talents à faire valoir : la pacification de leurs relations, leur sens du droit. Il ne tient qu¹à eux de proposer leurs services aux Nations intéressées.

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