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Les errements de José Bové

jeudi 15 novembre 2007

Le « Polytope de Mycènes » est devenu non seulement une affaire d’Etat (Constantin Caramanlis était présent à la première), mais l’affaire de toute une région. Le préfet d’Argolide, qui était en prison sous le régime des colonels, a mobilisé tous les services du département, toutes les bonnes volontés, depuis les équipes des ponts et chaussées jusqu’aux chorales d’enfants des lycées d’Argos. Et les deux premiers des cinq soirs, j’ai vu monter de la plaine un immense, un gigantesque public populaire - entre sept mille et dix mille personnes à chaque fois -, un public rural, fortement motivé par le travail collectif, ce qui ne l’empêche pas d’être littéralement pétrifié de saisissement devant ce qu’on lui montre. (...)

Ce n’est pas la musique de Xenakis qui met en valeur le paysage, mais ce paysage qui la révèle. De même que c’est la pensée musicale qui organise le spectacle à tous les niveaux, au lieu de simplement l’illustrer. Le sens de la durée, des respirations, des silences, gouverne aussi les projections cinématographiques sur les murailles de l’Acropole, le mouvement des enfants porteurs de lampes en contrebas du site, les grands feux allumés jusque sur le mont du Prophète-Elie, à huit cents mètres de haut, la dispersion des chèvres au flanc du mont Zora, la longue procession des torches qui descend du palais d’Agamemnon, les silencieuses fusées d’artifice, enfin les fantastiques faisceaux mobiles, ouverts ou serrés, qui balaient la montagne, piquent sur les ruines, attrapent les nuages ou construisent dans le ciel une pyramide de lumière : certains des projecteurs antiaériens de l’armée sont installés à dix kilomètres ! (...) n M. F.

« Le Nouvel Observateur » (1978).

« Au Moyen Age, on brûlait les sorcières. Aujourd’hui on brûle les cultures transgéniques. » C’est une déclaration confiée à « Newsweek » par Bové Joseph-Marie - à ne pas confondre avec le célèbre Bové José, dont il est le père. C’est, en somme, une façon élégante de traiter son propre fils d’obscurantiste moyenâgeux. C’est bien plus grave que l’appellation de « vieux con » habituellement décochée par tout descendant à son géniteur direct. Peu de paternels ont comme Bové père l’occasion de renverser ainsi les usages les mieux établis, et de s’estimer plus « jeune » que sa progéniture. Constatons que papa Joseph-Marie sait de quoi il parle : ancien chercheur de grande réputation, il a beaucoup travaillé sur les gènes dans les laboratoires de l’Inra, et contribué à mettre sur les rails cette révolution génétique que son fiston s’acharne à combattre. Ce jeudi 8 février 2001 précisément, José Bové, avec René Riesel et Dominique Soullier, de la Confédération paysanne, comparaissent en correctionnelle au tribunal de grande instance de Montpellier pour avoir détruit par le feu, sur un authentique bûcher, des plants de riz transgénique prélevés après effraction dans un laboratoire du Cirad (Centre de Coopération internationale en Recherche agronomique pour le Développement).

Certes, beaucoup de gens ont - avec certaines raisons - peur des OGM, les organismes génétiquement modifiés, et le combat de José Bové est très populaire. Mais en l’occurrence, après examen du dossier, on doit s’interroger sur la prétendue légitimité du combat. Se demander si de pareilles exactions ne donneraient pas plutôt raison à papa Bové. Et ne ruineraient pas la prétendue noble cause qui les inspire.

Le samedi 5 juin 1999, sur le coup de 13 heures, une petite troupe cisaille le grillage de clôture et envahit le campus du Cirad, à La Valette, près de Montpellier. Le commando, bien informé, fracture les portes d’une serre. Devant les caméras de M6 et de FR3, bizarrement et illico présentes, des plants de riz transgénique sont extraits de la serre puis détruits sur le bûcher. L’écolo-inquisition avait fait son oeuvre, en purifiant par le feu les cultures diaboliques.

Or, bien qu’appartenant indiscutablement à la catégorie des OGM, les plants de riz détruits n’avaient rien de diabolique, ne tombaient sous le coup d’aucun des reproches justifiés que l’on peut faire à cette manipulation de la nature. Ces plants détruits, explique Alain Weil, directeur scientifique du Cirad, « correspondaient à deux programmes distincts : d’une part, un projet européen de recherche sur les gènes du riz ; d’autre part, une étude internationale sur la résistance du riz aux insectes ». Il s’agissait donc d’élucider en laboratoire la fonction de chacun des gènes de la plante, afin d’identifier les plus intéressants, cela à des fins ultérieures de sélection classique. Et d’étudier le comportement d’une variété pourvue d’un facteur de résistance aux insectes. « Des travaux menés exclusivement sur fonds publics », insiste Bernard Bachelier, patron du Cirad. En clair : il n’y a, derrière ces recherches fondamentales, aucun groupe agroalimentaire soucieux de profits et de semences lucratives. Ni aucune application commerciale envisageable, au moins à terme prévisible. Il s’agit donc de travaux scientifiques à l’état pur. S’y attaquer, ce n’est pas protéger les gens contre Dieu sait quels périls éventuels. C’est - devant les caméras - commettre un péché contre la connaissance.

Si, d’une façon générale, les OGM végétaux suscitent des inquiétudes, c’est pour plusieurs raisons, souvent justifiées, et de nature variée - économiques, écologiques, sanitaires, etc. Il y a d’abord le fameux gène Terminator, dont l’introduction interdirait la germination des semences récoltées - obligeant les paysans du tiers-monde à « repasser à la caisse » à chaque semaille. Il y a aussi les plantes pourvues d’un gène de résistance à tel herbicide commercial - qui imposerait l’achat de cet herbicide. Il y a encore la présence dans les OGM de gènes de résistance aux antibiotiques - dont la dissémination pourrait favoriser l’apparition de bactéries invincibles. Il y a aussi la peur que certaines plantes sauvages, éventuellement peu désirables, s’emparent, par croisement, d’un gène de résistance et en profitent pour proliférer. Il y a enfin la crainte de retrouver dans nos assiettes des substances nocives.

Mais, au moins pour des travaux fondamentaux comme ceux menés par le Cirad, et malencontreusement attaqués par José Bové, aucune de ces inquiétudes, d’apparence pourtant légitime, ne tient la route. Le spectre du gène Terminator ? Il est pour le moment abandonné par tout le monde, y compris ses plus chauds partisans du groupe Monsanto. Le gène de la résistance spécifique à un herbicide commercial ? « Pas de ça chez nous ! », jure Alain Weil. La présence d’un facteur de résistance aux antibiotiques qui pourrait s’égailler dans la nature et rendre les microbes incontrôlables ? « Justement, nous travaillons là- dessus, explique à Montpellier Emmanuel Guiderdoni, du Cirad, pour apprendre à nous en passer. » Car ce facteur de résistance aux antibiotiques n’a aucune utilité, en tant que tel, dans la création d’un OGM. Il n’est employé qu’à titre de marqueur technique, et on va bientôt pouvoir s’en débarrasser.

Un progrès qui annonce l’apparition des « OGM de deuxième génération », tels qu’on les envisage au Cirad. Ainsi, les plants expérimentaux de riz transgénique résistant aux insectes, détruits le 5 juin 1999 par le commando Bové (jeune) - conçus pour permettre un jour aux agriculteurs du tiers-monde de faire l’économie de produits chimiques, ce dont nul ne devrait se plaindre -, exploraient-ils des perspectives futuristes. Par exemple, le recours à une « double expression », à deux niveaux distincts, du gène insecticide - ce qui complique terriblement la tâche de l’insecte s’essayant à devenir... résistant à la plante résistante. Ou la mise au point d’un mécanisme sophistiqué, interdisant l’expression du gène insecticide dans les grains comme dans le pollen du riz modifié.

Nous voici dans la perspective du riz OGM parfait. Sans risque de poison dans les assiettes (ou dans les bols). Impropre à la dissémination de gènes fâcheux dans l’environnement. Une perspective sophistiquée, prometteuse pour les affamés, et mise à mal par le cirque obscurantiste de José Bové fils. Le tribunal de Montpellier jugera. Pour le reste, laissons la famille Bové à ses querelles de génération.

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