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Populistes de tous partis, unissez-vous !

dimanche 18 avril 2004

Les récents événements politiques, qui d’ailleurs n’ont pas eu lieu au sein du cercle des débats des hommes et femmes politiques mais dans la rue, incitent à s’interroger sur l’extension probable du populisme, ou plutôt d’une forme qui, sans être nouvelle, devient éclatante, de populisme baigné de démagogie.

En effet, à la différence du modèle d’action collective classique, basé sur un duo syndicalisme collectif — intérêt individuel de ses membres (on connaît les thèses roboratives de Mancur Olson, développées dans les années 60), que l’on peut qualifier de « populaire », il semble que l’action militante devenue usuelle de nos jours mise plutôt sur une nouvelle soumission à un leader charismatique, et au bénéfice d’une logique d’exclusion. Le propre de cette action militante, c’est d’être un avatar particulièrement éclatant du populisme.

On peut même parler de culte du chef lorsqu’on voit le comportement grégaire de nombre de militants de F. O. à l’égard de l’un des plus fins amateurs de grandes tables de France, ou encore lorsqu’on songe aux séides se voulant les « libérateurs » de l’injustement gracié José Bové. D’ailleurs à cela nulle surprise : depuis les narodniki, le populisme s’est toujours fait agrarien, pseudo-partisan de l’exclu, du pauvre, à l’encontre non des riches mais de la classe moyenne, l’ennemi à abattre par excellence, celui contre lequel les régimes communistes ont toujours lancé leur foudre. Bové ou Blondel, à bien des égards, rappellent non pas Edmond Maire ou Jean Kaspar, mais Lavrov, Tchernichevski ou encore Eugène Dabit qui, en écrivant l’Hôtel du Nord, avait épinglé sur le mur de sa chambre la photo de Lénine.

C’est que le populisme gagne du terrain. Non content d’avoir porté au firmament un acteur-chanteur-animateur de renom, par ailleurs président de club de football, bref un intermittent du spectacle, au début des années quatre-vingt-dix, le populisme grignote, toujours sur le même mode de comportement, un peu plus chaque jour la scène politique. Ce qui n’a rien d’étonnant : le populisme est sublimé par la télévision, laquelle ne privilégie que l’atome individuel, celui des jeux télévisés ou des émissions prônant un hédonisme oublieux d’autrui (l’émission C’est mon choix en est un parfait exemple). Le leader protestataire, vociférateur et revendicateur, prétendant défendre les exclus, réintroduit du collectif dans cet antre, la transformant d’ailleurs en un combat des « gentils » contre les « méchants », ou du « bien » contre le « mal ».

Du coup, au populisme destiné à une audience victime d’une exclusion subie, vient s’ajouter à présent un populisme prônant une exclusion revendiquée (celles des homosexuels, des fonctionnaires,...). C’est à cette aune-là qu’il faut lire les mouvements sociaux qui en nombre voir en très grand nombre, ont alimenté les chroniques de ces derniers mois. Du même coup, au social populisme sécuritaire « habituel », issue du boulangisme et de l’Action française, celui de Jean-Marie Le Pen, viennent se greffer de nouvelles formes, non moins dangereuses :

un social populisme misérabiliste, celui de l’ultra gauche, de Manu Chao à Bertrand-la-tabasse, et un social populisme syndicaliste qui, défilant dans la rue, résume son semblant de discours à un « non » généralisé, nouvel logorrhée du syndrome anti-réformes sévère (SRAS) de leaders en manque de notoriété mais pas de démagogie. Du coup, la rue prend un poids non seulement grandissant mais même jamais atteint jusqu’alors ; c’est ainsi que l’on assiste et assistera plus encore à l’avenir à des manifestations de masse (les jeunes après le premier tour des présidentielles, les irénistes contre la guerre en Irak, les syndicats contre la réforme des retraites, la décentralisation, les jeunes encore contre la mondialisation à Évian, et même les manifestants de Liberté j’écris ton nom qui, par le simple jeu des e-mails, en réussi à regrouper en un happening improvisé une foule libérale comme jamais depuis les manifestations pour l’école libre en 1984).

Ce nouveau front du refus ne dispose pas d’une organisation représentative institutionnalisée, il partage des rejets et non des projets. C’est d’ailleurs ce qui fait sa force : une énorme capacité d’empêcher.

Alors bien sûr ce kaléidoscope de sans-logis poisseux et de cols blancs auto-marginalisés, d’enseignants barbus et de jeunes enkeffiehés semble a priori trop composite et hétéroclite pour être capable d’opposer à la société une résistance organisée. Mais c’est sans compter de grands faits nouveaux : le premier est la médiatisation de la société, qui fait d’eux des enfants d’Internet et de la télévision ; le second est l’extension indéfinie de l’Etat providence, grâce à laquelle les exclus se comportent, comme le souligne A. G. Slama, en « stratèges rationnels ».

En effet, loin de reprendre à leur compte le songe du Manifeste communiste « Exclus de tous pays, unissez-vous ! », ces altercomprenants font fausse route. Ils méconnaissent le fait que, loin d’être victime d’un aggravement supposé — sur lequel nous reviendrons — des inégalités, les groupes qu’ils veulent armer contre le capitalisme sont, peu ou prou, des bénéficiaires de l’Etat providence. Si les intermittents du spectacle, les syndicalistes ou les aagriculteurs aiment à se représenter comme des cigales, ce sont des cigales subventionnées. Qui interviennent à la marge, contre le centre, mais tout en ne méconnaissant pas le confort douillet de leur quant-à-soi, mol oreiller sur lequel ils retourneront se blottir sitôt le grand soir éclipsé.

Mais ils nous disent et continuent à nous dire : tous nos acquis sociaux sont remis en cause, la précarité s’accentue, les inégalités sont croissantes ; et, nostalgique des économies de jadis et du fordisme des trente glorieuses, ils prônent une logique de « rupture » face au libéralisme, et face à la gauche classique elle-même. Chaussant les lunettes de l’expert, d’aucuns, comme René Passet, vont jusqu’à nous dire que la preuve proviendrait d’une seule statistique : le partage de la valeur ajoutée entre salaires et profits. La part des salaires a baissé de 10 points depuis 1980, ce qui signifie un basculement de 150 milliards d’euros de la rémunération du travail en faveur de celle du capital. Et l’assertion de « toujours-plus-de-profits » débouche naturellement sur la « solution » : yaka aller en arrière, en taxant le capital et les entreprises.

Ce recul de 10 % depuis 1980 est exact. Mais il y a un léger oubli dans ce réquisitoire : la descente dont il s’agit a été précédée d’une montée que l’OFCE, que l’on ne peut accuser d’ultralibéralisme exacerbé, qualifie d’« exceptionnelle » : dans les années soixante-dix, l’indexation des salaires s’est faite sur une inflation surestimée. Le pouvoir d’achat du SMIC a grimpé de 130 % de 1968 à 1983, tandis que la production par tête n’a cru que de 40 %. Cette galopade des salaires qui augmentent trois fois plus vite que le PIB ne pouvait pas durer éternellement : en 1982-83 les entreprises, étouffées, n’investissent plus. Le partage de la valeur ajoutée s’est donc réajustée.

Depuis quinze ans environ, la répartition des facteurs de production est stable. Le « toujours moins » des années quatre-vingts a été la correction d’un excès des années soixante-dix, et s’est arrêté depuis. Depuis quinze ans, la part des profits n’augmente plus, contrairement aux discours des Cassandre complexés.

Un rapport capital-travail stable, donc. Mais les revenus ont-ils chuté comme on le prétend ? Bien sûr que non ! Mais comme nous sommes durablement entrés dans une phase de croissance faible, il est bien clair que les revenus n’ont plus grimpé comme dans les Trente glorieuses. Ainsi, entre 1983 et 2003, le pouvoir d’achat du salaire moyen n’a cru que de 15 % en net, hausse du même coup quasi invisible d’une année sur l’autre (1).

L’impression d’une pause sociale trouve son origine dans cette croissance latente et faible, mais réelle. Alors il faut le répéter : les Français ne s’appauvrissent pas, ils continuent même à s’enrichir : la moitié des ménages ne disposait que de 610 € par membre en 1970, cette proportion est tombée à 12 % seulement en 1999 (2).

Résumons nous : il n’y a ni répartition inégalitaire au profit du capital, ni appauvrissement de la population. Quel argument reste-t-il à nos amis trotskistes (3) ? Celui de l’accroissement des inégalités. Regardez, nous disent-ils, les salaires, les bonus, les stocks options, les primes de départ, que s’accordent des PDG !

Faux : les inégalités d’ensemble n’ont cessé de baisser depuis trente ans. Et même si l’on ôte les retraités, qui gagnent de plus en plus, et que l’on observe une légère hausse des inégalités chez les « actifs », encore faut-il bien préciser la substance du terme « actif », à savoir non les seuls salariés, mais aussi les chômeurs. Les causes en sont peut-être un éventail un peu élargi des salaires depuis peu, mais surtout la persistance du chômage. C’est le non-emploi qui plonge les familles dans le besoin.

Il serait intéressant de comprendre pourquoi autant de gens persistent dans leur erreur, pourquoi, au nez et à la barbe des chiffres, des faits, ils fantasment un monde barbare dans lequel des hordes d’exclus s’apprêtent à se déverser sur la société.

Conscientia mille testes (4) ? Eh bien non, la passion ne vaut pas la réalité.

Notes

1 : Je rappelle pour mémoire que les pays qui, tels les États-Unis, n’ont pas choisi de mener une politique keynésienne expansionniste, ont, sur la même période, connu une hausse du pouvoir d’achat du salaire moyen de 24,1 %.

2 : en euros constants de 1999

3 : Le trotskisme historique et philosophique, pour éloigné qu’il soit du libéralisme en matière économique, partage néanmoins avec nous une haine totale à l’encontre du pouvoir de coercition de l’autorité dirigiste.

4 : la conscience vaut mille témoignages, proverbe latin.

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