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Les impasses de l’« Etat culturel »

dimanche 18 avril 2004

A l’origine de ce suicide collectif, la réforme d’un régime d’assurance-chômage particulièrement favorable : celui des intermittents du spectacle. Actuellement, ces derniers doivent justifier de 507 heures de travail sur une année pour avoir « droit » à douze mois d’indemnité chômage, soit une rémunération équivalente à un an de salaire, payée par les ASSEDIC, pour seulement trois mois de travail effectif. Le protocole d’accord maintient le seuil des 507 heures mais la durée d’indemnisation est ramenée à huit mois et les techniciens devront désormais avoir accompli leurs 507 heures sur dix mois et les artistes sur dix mois et demi au lieu des douze mois en vigueur aujourd’hui.

C’est donc un accord qui ne remet absolument pas en cause cette incroyable exception française puisque la spécificité de ce régime est pérennisée. Seules ses modalités sont modifiées afin que les intermittents soient moins incités à atteindre rapidement leur quota d’heures pour ensuite se consacrer à un travail au noir financé par… l’ensemble des salariés. Et c’est pour cela – seulement ! – que la plupart des festivals ont été contraints d’annuler leurs représentations.

Cette grève est symptomatique du malaise dont souffre notre pays. La grève constitue désormais une arme de destruction économique massive utilisée en toutes occasions par des syndicats peu représentatifs et pleinement conscients des dégâts qu’ils créent. Le plus souvent « préventive » ou « solidaire », elle devient incontournable dès que la remise en cause du moindre des « avantages acquis » est annoncée. Elle est pourtant un couperet assassin qui, non content d’attenter à nos libertés et à nos droits, brise aussi des entreprises, des carrières et qui, par son coût, crée des dommages collatéraux qui affaiblissent chaque fois davantage notre économie.

Et pourtant, la réforme du régime exceptionnel dont bénéficient les intermittents du spectacle ne pouvait être à nouveau reportée. Car ce régime d’assurance-chômage, qui illustre parfaitement les effets indésirables de toute intervention étatique, est en faillite. D’une part, ce privilège, créé à l’origine pour aider les artistes, est tellement attractif qu’en dix ans, le nombre des intermittents a été multiplié par deux et le montant des allocations versées par quatre. Aujourd’hui, le déséquilibre de ce régime est tel qu’il dépense 952 millions d’euros pour seulement 124 millions de recettes. Il se retourne donc contre les artistes talentueux qui ont vu des profiteurs sans vocation rejoindre leurs rangs et invoquer leur droit à être, eux aussi, des artistes. D’autre part, la perversion de ce procédé étatique a conduit des entreprises publiques de télévision et de radio à faire travailler en leur sein des intermittents du spectacle en ne leur payant, sur l’année, que les 507 heures réglementaires, le reste étant payé par les ASSEDIC… Tout ce que l’on ne voyait pas jusqu’à présent, cet envers du décor mêlant combines et détournements d’avantages publics, est désormais sous le feu des projecteurs et justifie le sentiment de défiance générale à l’encontre du système actuel.

Il faut aussi souligner le manque de légitimité d’un tel régime. En effet, celui-ci est très largement financé par les salariés et les entreprises du secteur non culturel. Les nombreuses subventions allouées aux projets artistiques tout comme l’aide financière promise récemment par le ministre de la culture aux organisateurs de festivals annulés sont, quant à elles, intégralement financées par l’ensemble des contribuables. Cela signifie donc, en clair, que l’Etat considère que le travail non culturel est moins noble, moins prestigieux et moins utile que le travail culturel ! Et c’est à partir de ce postulat particulièrement condamnable qu’il s’est octroyé le droit de prélever une partie du gain des uns pour le redistribuer aux autres.

« Le droit du législateur va-t-il jusqu’à ébrécher le salaire de l’artisan pour constituer un supplément de profits à l’artiste ? ». Cette question fondamentale, posée au XIXe siècle par Frédéric Bastiat, mérite à nouveau d’être débattue car, on l’oublie trop souvent, les subventions ne tombent jamais du ciel et les dépenses publiques se substituent toujours à des dépenses privées rendues impossibles par une décision autoritaire de l’Etat.

D’un point de vue éthique, il apparaît donc difficilement défendable que, parce que des personnes font le choix, librement, de devenir artiste ou technicien du spectacle, et parce que d’autres personnes font, tout aussi librement, un choix de carrière différent, les derniers soient contraints de financer les premiers sous prétexte qu’ils n’ont pas choisi la voie culturelle. Quelle injustice ne fait-on pas, ainsi, au nom de la solidarité culturelle ! Et comment a-t-on pu en arriver à décréter que des artisans ou des professions libérales - qui prennent pourtant, eux aussi, le risque de ne pas avoir de clients et qui sont en quelque sorte, eux aussi, des intermittents du pain, du bois, de la justice ou de la santé - ne perçoivent ni indemnité-chômage, ni subvention mais soient en plus contraints de couvrir financièrement une partie des risques pris par d’autres professions ?

Il serait donc, aujourd’hui, de bonne justice de faire table rase de ces régimes dérogatoires et préférentiels afin de rendre chacun responsable de son devenir et de ses choix de vie. Il faut aussi libérer la culture de son emprise étatique et laisser les mécènes privés soutenir beaucoup plus largement les artistes en défiscalisant totalement leurs dons. Il est aussi temps d’engager la remise en cause d’une certaine forme d’assistanat culturel et de redonner au public le libre choix de soutenir tel ou tel projet artistique. Cela mettrait fin aux dérives actuelles sans pour autant que l’Etat n’ait à s’engager, comme il l’a annoncé, dans des perspectives coûteuses de renforcement des inspections du travail afin de limiter - comble du paradoxe ! - les fraudes et les effets pervers d’un système qu’il a lui-même créé.

Après que le président de la République a réclamé, au nom de la « solidarité », un système d’aide à la création culturelle, et que le premier ministre s’est engagé à accorder, en 2004, un « traitement prioritaire » au budget de la culture, il est plus qu’urgent de relancer un vaste débat sur la légitimité et les moyens d’action de « l’Etat culturel », de cet Etat qui, quand il entend le mot culture, sort trop rapidement… sa subvention !

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