Contrepoints

Accueil > Politique > Elections > Les contradictions de la campagne Le Pen

Les contradictions de la campagne Le Pen

samedi 18 octobre 2003

Quelle que soit la situation de premier tour, il est en effet plus que probable que les électeurs, de gauche bien sûr, mais de droite pour une large part, se mobiliseront contre lui entre les deux tours - et cela presque indépendamment de l’attitude des leaders des partis classiques.

De surcroît une partie importante des élites économiques et politiques régionales redoute que Jean-Marie Le Pen ne devienne chef de l’exécutif. Elles savent, en effet, que le Front national a été, jusqu’à présent, parfaitement incapable de gérer une collectivité locale d’importance, comme les expériences désastreuses de Toulon et de Vitrolles l’ont montré. Le paradoxe est que cela n’empêche pas le chef du FN de rester au cœur des préoccupations de ses adversaires, qui l’utilisent comme épouvantail mais ne se préoccupent guère de l’affronter et de pointer les difficultés qui minent déjà sa campagne.

Pourtant, le début de cette campagne régionale révèle une sérieuse contradiction. En effet, pour conserver la puissance de son verbe, Jean-Marie Le Pen doit cultiver sa faconde, son humour ravageur, son cynisme singulier, bref son style. Celui-ci est au cœur de son charisme : lui "parle vrai" ; lui s’en prend par exemple au physique des gens, à leur métier, à leur origine nationale ou religieuse. Ce style de discours ne fonctionne que dans l’imprécation et la rupture.

POSITIONNEMENT GESTIONNAIRE

Or le premier slogan qu’il affiche fait sortir Jean-Marie Le Pen de ce registre ; on y lit : "Notre région mérite le meilleur ",à côté de sa photo sur fond de plage. Etre le meilleur, c’est être le premier d’une course dont on accepte les règles : c’est radicalement différent de la dénonciation de la "bande des quatre", dont, naguère, le président du FN refusait de faire partie. Ce positionnement, nouveau, implique de tenir un discours de gestion, concurrentiel de celui des autres, d’avancer un programme crédible et des propositions qui puissent, par exemple, être chiffrées.

Accepter d’entrer dans cette logique, c’est aussi accepter de tirer le bilan des expériences gestionnaires de son parti. Or celles-ci sont catastrophiques. Alors qu’il annonçait à grand renfort de discours que Toulon serait la "vitrine de la gestion Front national" et s’affichait glorieusement le 14 juillet 1995 sur la tribune officielle aux côtés de son grand ami Jean-Marie Le Chevallier, il n’a eu de cesse de renier celui-ci quand il s’est effondré dans des scandales divers et une gestion totalement chaotique.

Même attitude à propos de Vitrolles et de Marignane passées aux mains des "félons" mégrétistes. Et on se souvient que Marine Le Pen, nouvelle icône du Front, avait moqué, sur un ton vachard, Jacques Bompard, "cet élu local", parce qu’il était intervenu lors d’une université d’été du FN "sur la gestion des eaux usées".

La gestion, justement, c’est souvent une histoire de canalisation d’eau, de ces histoires qui ennuient profondément Jean Marie Le Pen, qui clame depuis des années que la "politique est faite d’emblématique" et se tient loin de ces petites questions de détail que sont le financement et la gestion de la formation professionnelle, des routes, des chemins de fer, des lycées, la préparation et la surveillance de l’exécution des contrats de plan Etat/région, c’est-à-dire les compétences actuelles des régions.

La chute de la maison Mégret à Vitrolles devrait pourtant rappeler à M. Le Pen, comme à ses adversaires, que c’est sur des questions relevant de la responsabilité de la collectivité concernée que Catherine Mégret a été battue : le discret docteur Obino est allé répétant durant la campagne que les écoles communales de la ville étaient aussi mal tenues que les deux zones industrielles. Et c’est ainsi qu’il a gagné...

Il est d’autant plus surprenant que ces arguments, simples, ne soient pas utilisés par les adversaires du Front national. Ceux-ci, en effet, refusent systématiquement de lui répondre sur le plan politique, préférant les analyses misérabilistes sur l’origine sociale de son électorat aux batailles d’idées ou de programme.

NÉPOTISME, GABEGIE

Le socialiste Michel Vauzelle et l’UMP Renaud Muselier ont déjà commencé à utiliser Jean-Marie Le Pen comme un épouvantail : chacun stigmatise son adversaire en l’accusant de vouloir pactiser, directement ou indirectement, avec le diable. Mais ils disent rarement en quoi exactement ce Jean-Marie Le Pen serait le diable.

L’expliquer consisterait à se battre frontalement, par exemple, contre la notion de préférence nationale, alors que cette préférence nationale est largement protectrice des emplois d’une part essentielle de l’électorat des partis traditionnels, les fonctionnaires. Il faudrait aussi assumer clairement l’antiracisme.

Il faudrait enfin s’emparer du bilan des villes frontistes pour critiquer le népotisme, le clientélisme et la gabegie qui furent leur marque de fabrique.

En désertant l’argumentation politique au profit de la dénonciation moralisatrice, ses adversaires laissent le champ libre à Jean-Marie Le Pen. Celui-ci peut varier ses thématiques comme bon lui semble sans que personne le force à avancer des propositions crédibles et à préciser son projet de société, cette sorte de guerre civile à bas bruit.

Le résultat est paradoxal : alors qu’au fond les principaux candidats et leurs militants savent que Jean Marie Le Pen n’a qu’une chance infime de présider un jour la région PACA, il peut continuer d’avancer impunément des thèses qui n’ont, pour le moment, pas une once de crédibilité. Il pourrait donc perdre la bataille électorale de mars en ayant encore gagné celle des idées. Jusqu’à quand ?

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Se connecter
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Lien hypertexte

(Si votre message se réfère à un article publié sur le Web, ou à une page fournissant plus d’informations, vous pouvez indiquer ci-après le titre de la page et son adresse.)