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MONDIALISATION Après le sommet de Porto Alegre et le Forum de New York

Le néolibéralisme, ça n’existe pas !

vendredi 15 novembre 2002

La concomitance dans le temps de ces deux événements médiatiques, le sommet de la terre à Porto Alegre, et le Forum de Davos à New York, est tellement symbolique que l’on peut se demander dans quelle mesure il n’y aurait pas une secrète complicité entre les organisateurs de l’un et de l’autre pour organiser ainsi une sorte de match planétaire : à ma gauche – ou au sud – les défenseurs des pauvres, les adorateurs de la nature sacrée, les contempteurs du néolibéralisme ; à ma droite – ou au nord – les riches et les puissants, les piliers du néolibéralisme, les maîtres du monde...

Ce faisant, les organisateurs du Forum de Davos donnent une expression concrète, visible, au grand mythe que les hommes de gauche, en particulier français, ont si habilement mis au point et patiemment répandu en utilisant toutes les techniques de persuasion et de diffusion dans lesquelles ils sont passés maîtres. Ce mythe, c’est le néolibéralisme, qui est à la fois une construction intellectuelle imaginaire et le bouc émissaire concret de tous les maux de la terre. Car le néolibéralisme, ça n’existe pas ! Comme les moulins à vent de Don Quichotte, il n’est désigné que pour justifier et motiver une épopée. Mais la doctrine néolibérale n’existe que dans l’esprit de ses ennemis.

Après l’effondrement spectaculaire du communisme et la révélation de ses horreurs humaines, on pouvait espérer que les yeux s’ouvriraient enfin, que les hommes comprendraient enfin qu’aucune société n’est légitime et ne peut fonctionner harmonieusement sans respecter la liberté individuelle et la propriété privée, et sans reposer sur la discipline de la responsabilité individuelle. On aurait pu penser que, désormais, il devenait difficile de se réclamer du socialisme et qu’on pourrait se réclamer avec fierté du libéralisme ou du capitalisme. Mais l’habileté diabolique des hommes de la gauche « moderne », de tous ceux qui s’étaient si constamment et tragiquement trompés a consisté à faire croire à l’existence d’un ennemi imaginaire : le néolibéralisme. Et presque tous les hommes politiques de droite – probablement parce qu’ils manquent de culture philo sophique, économique, historique – ont suivi le mouvement. Ils deviennent frénétiques pour se faire voir à Porto Alegre ou au Forum de Davos, ou tout au moins pour en relayer les messages, tout en saluant au passage la mémoire du grand penseur antilibéral Pierre Bourdieu, probablement à la plus grande joie des fabricants du mythe néolibéral.

Il ne faut pas s’y tromper : le schéma simpliste d’une pensée symbolisée par les deux pôles que seraient Porto Alegre d’un côté et Davos de l’autre est faux. En réalité, les participants de l’un et de l’autre jouent dans le même camp, et ils se contentent d’entonner des airs aux tonalités différentes. Ils souhaitent, tous, récupérer l’Etat à leur profit et non faire reculer l’Etat au profit des individus. Par souci d’efficacité, les hommes politiques de droite et de gauche, présents en l’un et l’autre lieu, retrouvent donc des catégories différentes d’électeurs, de supporters et de soutiens dans chacun de ces rassemblements : d’un côté, les associations, les ONG ; de l’autre, les représentants des affaires. Ce qu’ils construisent, c’est un monde de nomenklaturas, un monde où l’Etat est étroitement imbriqué dans toutes les activités humaines, un monde où la liberté des individus est encadrée, limitée, menacée. Il est alors vital de ne pas laisser persister les illusions : non, le néolibéralisme n’existe pas ; non, le Forum de Davos, les grandes entreprises multinationales, le FMI et la Banque mondiale ne sont pas l’expression ni même le symbole du capitalisme !

N’est-il pas paradoxal, en effet, de faire du FMI ou de la Banque mondiale des symboles du capitalisme, alors qu’il s’agit là d’organisations interétatiques ? Les ressources qu’ils distribuent ont nécessairement été produites par les efforts de personnes privées auprès desquelles elles ont été prélevées. Et elles sont essentiellement redistribuées à des Etats et à des organisations publiques, c’est-à-dire à des personnes irresponsables, puisqu’elles n’engagent pas leurs propres ressources et qu’elles ne subissent pas la sanction de leurs erreurs. C’est ainsi que le FMI et la Banque mondiale ont gaspillé des ressources considérables, qu’ils ont incité une myriade d’autres organisations et Etats à faire de même et qu’ils ont aidé à se maintenir en place des régimes aussi nuisibles que corrompus. Car les habitants des pays pauvres ne sont pas les victimes du capitalisme mondial, ils sont bien au contraire les victimes d’un manque de capitalisme. Ce n’est pas sur les marchés mondiaux qu’il faut trouver la source de leurs maux, mais chez eux-mêmes : ce sont les Etats des pays pauvres qui les maintiennent dans la pauvreté en empêchant les initiatives privées, en spoliant les plus actifs, les plus courageux, les plus innovateurs, en détruisant la morale naturelle – si indispensable au développement – par le développement de la corruption.

On fait également fausse route en ramenant le capitalisme à la seule existence de quelques grandes firmes. Comme l’a si bien souligné l’auteur péruvien Hernando de Soto, dans de nombreux pays sous-développés on appelle capitalistes les propriétaires de grosses entreprises qui vivent en symbiose avec l’Etat, qui vivent de subventions, de privilèges, de protections douanières et qui, en retour, soutiennent les hommes politiques en place. Mais ils ne méritent pas le beau nom de « capitalistes », ni même celui d’entrepreneurs. Ils ne sont que des nomenklaturistes, des parasites sociaux, qui non seulement vivent aux dépens des autres, mais encore les empêchent de se développer. Les vrais capitalistes, ce sont tous ces hommes et ces femmes – qu’ils soient pauvres ou aisés, petits entrepreneurs, agriculteurs ou artisans – qui développent des trésors d’imagination pour survivre, imaginer, créer, en dépit des obstacles fiscaux, législatifs et réglementaires que leur opposent les détenteurs du pouvoir.

Etre capitaliste, c’est se voir reconnaître la propriété du fruit de son travail, de ses efforts, de son imagination. Et toute la dignité de l’homme lui vient donc de sa capacité à être capitaliste. Comment se fait-il alors qu’il soit si difficile de se dire favorable au capitalisme, d’en défendre les valeurs ? On pourra voir un indice inquiétant des dérives intellectuelles de notre temps en considérant l’extraordinaire contraste qui existe entre, d’une part, le « battage médiatique » mondial qui entoure la rencontre de Porto Alegre – ainsi que, dans une moindre mesure, la réunion du Forum de Davos –, et, d’autre part, cette formidable initiative qu’a été, le 2 décembre dernier, la « marche pour le capitalisme » qui s’est déroulée dans une presque centaine de villes à travers le monde. Cette « marche » – dont l’initiative revient non pas à quelque « gros capitaliste », mais à un chanteur des rues australien – est passée presque inaperçue, d’une part bien sûr parce que les organisateurs de ces différentes manifestations étaient loin de bénéficier des aides financières disponibles pour les autres, mais aussi parce que le silence médiatique a été presque total. Mais, répétons-le, ce n’est pas le nombre qui fait la vérité.

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