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Dura lex, José Bové, sed lex

vendredi 18 avril 2008

Ce n’est pas le moindre des paradoxes que de voir s’ameuter pour la grâce de José Bové certains de ceux qui s’assemblent périodiquement contre Jacques Chirac et ne lui font d’ordinaire crédit d’aucune présomption favorable.

Il n’est pas moins singulier d’entendre des hommes politiques qui exerçaient, hier, les responsabilités du pouvoir et qui aspirent à les retrouver, joindre leurs voix au concert de protestations qui s’organise.

Il est encore plus surprenant de voir l’infanterie des belles âmes s’ébranler pour soutenir une demande que José Bové refuserait de présenter pour, dit une rumeur, ne pas "prêter allégeance".

Tout ce mouvement – on brûle de parler de tapage – fait bien peu de cas des règles les plus simples, les plus élémentaires, les plus classiques, de la démocratie et de la République, et s’il devait trouver son aboutissement, l’Etat de droit n’en sortirait à coup sûr ni grandi ni renforcé.

Trois raisons au moins s’opposent à la grâce de José Bové, qu’on voudrait croire décisives, et qui tiennent, l’une après l’autre, au discrédit dont son usage frapperait la décision des juges, à l’encouragement qu’il fournirait aux extrêmes et à la logique politique dont il consacrerait la victoire.

Le discrédit. Peut-on concevoir que des juges dont on dit qu’ils ont fait preuve en la circonstance de beaucoup de compréhension et de patience face aux provocations répétées de José Bové soient brutalement désavoués sous la pression d’une fraction bruyante de l’opinion ? La justice qui passe, non sans raison, pour la femme malade de la République, n’a pas besoin qu’on accoure à son chevet avec de tels remèdes qui ne peuvent qu’amplifier le mal dont elle souffre. Rien ne serait plus compromettant pour son état que l’usage d’un droit régalien dont le fondement est sans doute constitutionnel, mais l’essence divine et l’usage, par vocation, arbitraire. Un droit que l’Assemblée constituante de 1791 avait rayé de nos codes parce qu’il portait atteinte au principe de la séparation des pouvoirs et que brandissent désormais ceux qui, en d’autres circonstances, professent les vertus républicaines.

Quel regard les juges, "bouches de la loi" dit Montesquieu, poseront-ils sur leur condition, quelle conception se feront-ils de leur fonction, quelle estime pourront-ils inspirer, si au premier pétard, au moindre brouhaha médiatique, à la moindre protestation, au moindre mouvement de foule, le pouvoir les abandonne et sacrifie leurs sentences aux exigences de la rue ? Que comprendront les jeunes délinquants qui purgent leur peine sans bénéficier de clémence particulière ? Et de manière plus générale, peut-on persévérer dans la remise en cause permanente, la remise en cause systématique, de l’exécution des décisions de justice sans courir le risque d’en faire des lettres mortes, sans désabuser ceux qui les rendent et désespérer ceux qu’elles protègent ? Maurice Papon libéré, José Bové gracié, quelle portée, quel sens, quelle valeur ont les verdicts si on les ignore si ostensiblement ?

Les extrêmes. Ils travaillent en profondeur avec tantôt leurs délires xénophobes et racistes, tantôt leurs promesses d’affrontements sociaux en forme de "3e tour". La grâce de José Bové serait l’assurance de l’impunité des adeptes du fait accompli contre le droit, les adeptes du rapport de force, la porte grande ouverte à la tyrannie des minorités qui trouvent toujours, dans l’arsenal inépuisable des idéologies, l’alibi de leurs aventures, et qui, quand la démocratie ne cède pas à leurs revendications, s’en offusquent au nom de ses principes. Mais – est-ce nécessaire de le rappeler ? – José Bové n’a pas été poursuivi pour ses opinions, il n’a pas été condamné pour son engagement syndical, mais pour des actes de vandalisme, des actes répétés, parfaitement volontaires, de destruction qui ont ruiné le bien d’autrui.

Ces actes n’ont rien à voir avec la liberté d’expression, ils n’entrent pas dans le sanctuaire inviolable des libertés publiques. Faire aujourd’hui de José Bové le martyr d’un pouvoir fort, l’ériger en " détenu politique" d’un régime policier, relève de la manipulation politique. Qui peut raisonnablement prêter la main à une telle démagogie dont nul n’a rien à gagner sinon ceux qui attendent que le système s’affaiblisse encore davantage ?

La logique. C’est le plus préoccupant. Ne voit-on pas travailler en arrière-fond l’éternelle contestation de la loi démocratique, le refus récurrent de consentir à ses limites ? Vieille tentation, vieux démon, dont la campagne pour la grâce de José Bové semble fournir le nouvel exutoire. Il n’y a pas en démocratie de contradiction entre la légitimité et la légalité. Il n’y a pas en démocratie de pays réel qui s’oppose au pays légal. Chercher l’affrontement entre l’un et l’autre conduit sur une pente funeste dont nous possédons le précédent historique. La question posée concerne donc la loi démocratique. L’alternative est entre son acceptation et son refus. Aujourd’hui, ce sont les juges qui paieront le prix d’un renoncement. Mais demain la dette sera générale et le risque est de ne trouver personne pour l’acquitter.

"Dura lex, sed lex." Avant d’être un régime, la République est une pédagogie et avant d’être un système, la démocratie est une discipline. Le sort qui attend José Bové est sans aucun doute regrettable et pénible. Nul ne peut s’en réjouir, parce que chacun mesure l’épreuve qui l’attend. Mais est-ce une raison pour oublier les principes qui nous tiennent en commun ?

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