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Réformer l’ISF

lundi 18 avril 2005

Une chose est sûre : les mesures sur l’ISF adoptées dans le cadre de la loi Dutreil sur l’initiative économique constituent un test important. Dans le débat qui a opposé, jeudi, Renaud Dutreil à François Hollande à l’Assemblée nationale, le plus symptomatique était la symétrie des arguments : au Premier secrétaire du Parti socialiste qui rapprochait - de façon un peu démagogique de la part du créateur du plan d’épargne en actions - le cadeau fiscal fait à « la France de très haut » et les plans sociaux qui frappent les Français d’en bas, le secrétaire d’Etat a opposé que c’est justement pour répondre à la montée du chômage que la correction des effets pervers pour l’emploi de l’ISF est nécessaire.

Jean-Pierre Raffarin avait usé du même langage, lundi dernier sur TF1, en déclarant vouloir « taxer l’argent qui dort, mais en revanche, alléger l’argent qui travaille pour l’emploi ». Et de fait, les correctifs apportés « collent » en apparence parfaitement à ce cahier des charges : exonération des apports en fonds propres aux PME ; pacte d’actionnaires exonérant de moitié les titres bloqués six ans ; modification marginale de la définition des biens professionnels.
A l’analyse, ce bricolage fiscal ne fait toutefois que traiter de façon partielle le problème d’attractivité posé par l’impôt sur la fortune, sans le résoudre au fond. C’est Jean Arthuis, ancien ministre de l’Economie et président UDF de la commission des Finances du Sénat, qui le dit le plus crûment : selon lui, le « vrai courage politique serait de supprimer l’ISF », tout simplement, comme l’Autriche en 1994, le Danemark et l’Allemagne en 1997, la Suède, pays social-démocrate s’il en est, en 1998, bientôt la Catalogne, et donc, sans doute, l’Espagne de José-Maria Aznar... Dénoncée par les socialistes qui ont attaqué « l’hypocrisie » du gouvernement qui avance « masqué », « à la dérobade », cette perspective est démentie, la main sur le coeur, par Jean-Pierre Raffarin. Notre Premier ministre n’a eu de cesse d’assurer qu’il s’opposerait « farouchement » à toute « réforme globale de l’ISF »...

En s’abstenant d’un véritable débat, cartes sur table, on peut se demander si Jean-Pierre Raffarin n’a pas justement tué l’occasion d’une véritable réforme. Le « Pacs » actionnarial, qui ne résout en rien le cas des Français expatriés, apparaît ainsi comme une mauvaise réponse à un vrai problème. Inspiré d’une idée de l’ancien président du CNPF, Yvon Gattaz, celui qui négocia avec François Mitterrand la définition de l’outil de travail, ce pacte part d’une bonne intention : résoudre le conflit existant entre le dirigeant, exonéré, soucieux de réinvestir ses profits, et ses minoritaires, qui réclament une maximisation du dividende, faute de quoi ils doivent vendre du capital pour payer l’impôt. La tension, qui incite certains dirigeants à rester jusqu’à un âge canonique, se termine souvent par la cession de l’entreprise. Cette situation unique en Europe, qui a fait de la France le paradis des fonds de LBO et autres « raiders » étrangers, est à l’expérience défavorable à l’emploi. La restructuration, voire la délocalisation de l’entreprise suit bien souvent la cession.
Pour autant, faut-il répondre à cet effet pervers par un malthusianisme pire encore, en incitant, pour des raisons purement fiscales, à geler six ans durant le capital entre les mêmes mains, qui ne sont pas forcément les plus compétentes ? Le pacte d’actionnaire, sur lequel le débat se poursuivra au Sénat en mars, n’apporte qu’une réponse défensive aux agressions de la mondialisation. D’abord, il ne résout que la moitié du problème. En agissant sans discernement, il est en outre propice à des montages d’évasion fiscale légalisée qu’il eût été possible de limiter en le réservant aux seuls cas de transmission par succession.

Contraire à un « capitalisme du mouvement », au sens de la « destruction créatrice » chère à Joseph Schumpeter, il est en outre évident que ce n’est pas ce super-PEA, comme l’a appelé le socialiste Didier Migaud, qui fera revenir les nombreux Français fortunés ayant choisi d’émigrer pour fuir le régime « confiscatoire » qu’est devenu, selon eux, l’impôt sur la fortune, surtout depuis le déplafonnement Juppé de 1996. En réalité, le pacte d’actionnaire, c’est une façon déguisée de programmer, en douce, l’arrêt de mort de l’ISF, en renforçant son vice de fabrication congénital : une assiette trop étroite et des taux trop élevés. Pour l’essentiel, cela devient un impôt qui frappe les moyennes fortunes immobilières, de façon de plus en plus mordante, le barème n’ayant pas été actualisé depuis 1997, en pleine période de flambée des prix. D’ailleurs, la meilleure preuve que l’ISF est en train de mourir, c’est la stabilisation, voire probablement, cette année, la chute de son rendement, bien en dessous des 2,5 milliards d’euros de 2002.
A défaut de supprimer l’ISF, qui reste un facteur de stabilité sociale en France, Jean-Pierre Raffarin, qui se dit « pour le risque et contre la rente », aurait eu l’occasion de proposer une vraie réforme. Il lui suffirait pour cela de relire le rapport sur l’attractivité de la France remis à l’été 2001 par le député socialiste de Paris, Michel Charzat. A l’époque, la droite n’avait d’ailleurs eu de cesse de recommander à Lionel Jospin de l’appliquer sans tarder. Ce rapport si consensuel proposait aussi de réformer l’assiette de l’ISF, mais de façon beaucoup plus transparente, avec deux alternatives.

La première, la plus radicale, consiste à supprimer l’exonération de l’outil de travail. Simple et lisible, cette décision aurait permis d’élargir l’assiette de l’ISF tout en justifiant une baisse massive des taux. Au lieu d’un barème progressif avec un taux maximum à 1,8 %, il aurait été possible, sans nuire au rendement de l’impôt - on n’efface pas si facilement 2,5 milliards d’euros de recettes fiscales - de les harmoniser à 0,4 % ou 0,5 %, un niveau non dissuasif, conforme avec l’esprit économique de l’imposition du patrimoine, qui est d’inciter à une bonne valorisation du capital. La viscosité de l’impôt sur la fortune, c’est un peu la taxe Tobin de l’entrepreneur. Cette solution présente toutefois un inconvénient qui la condamne probablement : elle pénalise les dirigeants de PME exonérés. Certes, des réponses techniques existent, comme la fixation d’un abattement à la base suffisamment élevé et d’un taux de taxation suffisamment faible. Mais elles maintiennent un effet de seuil psychologique.

La deuxième possibilité examinée par Michel Charzat propose, à l’inverse, d’élargir les conditions d’exonération de l’outil de travail. Actuellement, seuls les mandataires sociaux et les dirigeants détenant au moins 25 % du capital (ou ceux dont la valeur des titres dépasse 75 % du patrimoine) sont exonérés. Michel Charzat proposait de baisser le seuil de 25 % à 5 % et d’étendre la notion d’outil de travail aux salariés actionnaires. En exonérant les participations des dirigeants dont la valeur est supérieure à 50 % du patrimoine total, la majorité est allé dans ce sens. Là est sans doute la vraie réforme de l’ISF à poursuivre, et il ne reste plus au gouvernement, maintenant que le premier test est passé, qu’à baisser aussi le seuil de 25 % et à rétablir, dans la prochaine loi de Finances, un mécanisme de plafonnement du cumul de l’impôt sur le revenu et de l’ISF. Nul doute que, pour la majorité actuelle, le débat n’est pas considéré comme terminé. Rendez-vous après les retraites ?

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