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Politique migratoire : qui doit payer le billet de retour ?

dimanche 18 avril 2004

Entre autres censures, le Conseil constitutionnel a déclaré inconstitutionnel l’article 7 de la loi qui lui était soumis. Cet article, relatif aux visas délivrés au titre des visites de caractère familial et privé de courte durée, obligeait la personne hébergeant un visiteur étranger à s’engager à prendre en charge les frais de rapatriement de l’intéressé si ce dernier ne disposait pas, à l’issue de sa visite, des moyens lui permettant de quitter le territoire français. Le Conseil constitutionnel estime en effet qu’en imposant un tel engagement à l’hébergeant, la loi a rompu de façon caractérisée l’égalité devant les charges publiques proclamée par l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui dispose que « pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ».

Si, juridiquement, l’article 7 de la loi a dû subir, sans surprise, le couperet des sages de la rue Montpensier, une telle sanction semble pourtant économiquement critiquable.
D’un point de vue juridique, le Conseil constitutionnel est en réalité demeuré fidèle à sa jurisprudence en reprochant au législateur de n’avoir pas anticipé, en rédigeant la disposition litigieuse, le cas particulier dans lequel le prix du voyage de retour excéderait les ressources d’un hôte dont la bonne foi aurait été abusée. Mais en sanctionnant le projet gouvernemental sur ce point précis, il prive notre législation d’une norme responsabilisante qui non seulement aurait permis aux autorités de s’assurer de la réalité du consentement de l’hébergeant mais également de faire peser sur celui-ci, et non sur le contribuable, les frais de retour de la personne qu’il a librement conviée chez lui. Cependant, sa sanction s’avère parfaitement cohérente au regard des mécanismes complexes de régulation des migrations que n’a pas cessé de créer l’Etat depuis des décennies.

Pour mieux comprendre le problème, il convient en effet de partir d’une situation imaginaire dans laquelle l’espace d’un pays donné serait totalement privé. Dans un tel contexte, aucune parcelle de territoire n’échapperait à l’appropriation privée par des personnes physiques ou morales et le problème de l’immigration, qui agite tant l’opinion, n’existerait tout simplement pas.

En effet, le principe qui gouvernerait la circulation des personnes dans une telle société consisterait à reconnaître la liberté fondamentale d’émigrer et d’immigrer. Chaque propriétaire n’admettrait, en revanche, chez lui que les personnes qu’il aurait librement invitées, qu’il s’agisse de compatriotes ou d’étrangers. Le droit de tout propriétaire n’est-il pas d’accepter ou de refuser librement qu’autrui puisse user des biens qu’il possède légitimement ?

Lorsque le Conseil constitutionnel s’offusque que le projet du gouvernement ne tienne compte « ni des ressources financières de l’hébergeant, ni du prix du voyage de retour, ni de sa bonne foi, ni du comportement de son visiteur, ni du temps écoulé depuis la fin de sa visite », on ne voit pas pourquoi le législateur aurait, dans la société que nous avons imaginée, à prendre en considération un seul de ces paramètres. En effet, si l’ami africain ou le lointain cousin d’Amérique, que j’ai invité à passer Noël en France, n’a pas de quoi payer son billet de retour, serais-je alors en droit de demander à l’Etat (et donc aux contribuables) de le lui offrir, en sorte de ne pas attenter au principe d’égalité devant les charges publiques ? A ce compte, je pourrais faire venir n’importe qui de n’importe quelle partie du monde en lui faisant entendre qu’il n’aura à payer que la moitié de ses frais de transport, le reste étant gracieusement offert par l’Etat français !

Cela illustre bien combien, en réalité, l’immigration n’est cause de difficultés que parce qu’il existe un espace public – lequel a de multiples formes : chemins, routes, voies ferrées, gares, parcs, jardins, plages, quais, écoles, piscines, stades, hôpitaux, hospices, églises, etc. C’est, en effet, seulement parce qu’existe un espace public que l’on peut distinguer les nationaux des étrangers. Et comme l’accès aux espaces publics est sinon toujours gratuit, du moins tarifé au-dessous de son prix coûtant, le gouvernement est bien obligé de procéder à des rationnements quantitatifs et donc de contrôler les frontières, d’instaurer des visas, des quotas d’immigration et d’imaginer tant d’autres mesures du même ordre, qui ont toutes un coût pour le budget de l’Etat et donc pour le contribuable.

Le droit d’exclusion, qui devrait appartenir aux propriétaires, le voici en quelque sorte étatisé. Il en résulte une complexité croissante des normes en matière d’immigration et un recours de plus en plus fréquent à des solutions brutales et inhumaines en la matière tout simplement parce qu’elles sont fondées sur des critères collectifs et nationalistes.

En rappelant au gouvernement que c’est bien aux pouvoirs publics d’assurer le paiement du billet de retour, le Conseil constitutionnel rappelle à sa manière que c’est bien l’Etat qui crée le problème de l’immigration. La cohérence juridique de sa décision ne fait donc pas de doute au sein de l’ordonnancement juridique applicable dans notre droit étatique mais elle révèle une incohérence plus profonde et plus fondamentale qui devrait, un jour, inciter les hommes politiques à remettre totalement en cause les fondements mêmes de la vision étatique de la migration des individus à travers le monde.

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