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Une croisade contre le risque

dimanche 18 avril 2004

L’adoption prochaine de la Charte de l’environnement, qui inscrira notamment le principe de précaution au plus haut niveau de notre hiérarchie des normes, illustre parfaitement la tendance croissante de nos sociétés à vouloir se débarrasser du risque.

A en croire la pensée dominante, on a en effet le sentiment que chacun n’aspirerait désormais qu’à vivre dans un univers protégé, aseptisé, dans lequel non seulement il ne serait ni physiquement ni même moralement agressé mais où, en plus, il pourrait compter sur l’organisation collective pour garantir l’ensemble des risques qui seraient susceptibles de nuire à son confort, à son environnement et, plus généralement, au bon déroulement de son existence.

Pourtant, même si notre époque connaît une multitude de dangers, les risques ont, dans l’ensemble, considérablement diminué depuis deux siècles, et le bien-être que proposent les sociétés développées s’est, y compris dans les dernières décennies, très fortement accru. Mais alors même que la maîtrise des dangers ne cesse de s’améliorer, le sentiment d’incertitude progresse. En réalité, c’est sans doute le degré de tolérance individuelle devant la réalisation des risques qui a évolué.

Cette phobie du risque est une caractéristique très préoccupante de notre époque. La prise de risque est en effet un moteur irremplaçable de l’action et de l’innovation. Le progrès, la découverte, le cheminement de l’ignorance vers la connaissance ne peuvent fleurir que si des hommes et des femmes s’aventurent dans des directions aux horizons inconnus. L’histoire de l’humanité a, depuis toujours, été guidée par cette logique de l’essai, de la tentative et de l’erreur sans cesse corrigée pour accéder à la vérité.

L’État ne cesse en effet de brandir la promesse de la sécurité et du risque anéanti. Il s’approprie le principe de précaution, le principe de survie et le principe de propreté. La précaution et la sécurité sont bien au coeur de l’action publique et, par la même occasion, de l’émancipation de l’État.

Si les hommes politiques se sont à ce point engagés dans la lutte contre le risque, c’est surtout parce qu’ils se sentent fragilisés par la crise de l’État-providence. Ce faisant, ils espèrent garantir leur propre survie et c’est ainsi que de « providence », l’État est en passe de devenir « précaution » et que, de « précaution », celui-ci prend le chemin de l’État « sécuritaire ».

Aujourd’hui, la sécurité publique ne saurait donc être entendue strictement. Il faudrait que l’État intervienne, au-delà de ses compétences régaliennes et sociales, et qu’il puisse nous protéger contre les hivers froids, les étés chauds, les inondations, la sécheresse, la faim, la soif, la matière grasse et l’ensemble de ces tracas qui, petits ou gros, s’abattent sur nos vies.

Mais en entretenant l’illusion d’une société débarrassée du risque, l’État nourrit d’ores et déjà les mécontentements à venir. En effet, lorsque l’on s’engage à offrir une sécurité impossible à fournir, la promesse risque fort de ne pas être tenue... Cet angélisme excessif doit donc être dénoncé. Mais si la tyrannie de l’État-précaution guette, une telle critique n’est pas aisée car, au fil de ses interventions, l’État fait naître une génération de personnes qui s’avère de plus en plus réfractaire aux prises de risques et au progrès. Aujourd’hui, même s’il apparaît évident que l’utopie du bien-être absolu n’existe pas, l’État s’est pourtant très largement engagé dans le créneau du « bonheur imposé ». Il faut prendre garde à cette dérive, car nous nous acheminons vers une société sous contrôle qui, sous prétexte de jouer les brancardiers et d’agir pour notre plus grand bien, s’empare d’une source de pouvoir extraordinaire qui, peut-être même plus que l’obsession égalitaire héritée du siècle dernier, est susceptible de nourrir des comportements attentatoires à la liberté individuelle. Si le danger totalitaire naît lorsque l’aspiration à la sécurité devient plus forte que l’amour de la liberté, ce que l’on peut aujourd’hui qualifier de « filon sécuritaire » risque bien, dans les années à venir, d’asseoir chaque jour davantage un pouvoir tentaculaire et de justifier le recul des libertés.

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