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Les forçats de la SNCF

Le rapport que cache la SNCF pour ne pas provoquer les contrôleurs

dimanche 18 avril 2004

Les 10 000 contrôleurs de la SNCF sont souvent en repos ou en congés. Et quand il leur arrive de travailler, ils ne foutent pas grand-chose. Voilà, à peine caricaturées, les conclusions d’un rapport interne réalisé en avril 1998 par une dizaine d’agents de la Direction des audits et du contrôle de la SNCF. Et depuis, ce document - en trois exemplaires seulement - dort dans les tiroirs de la direction.

A l’heure où s’ouvre la négociation sur les 35 heures, il ne faut surtout pas fâcher des contrôleurs fort susceptibles. Ce sont eux en effet qui étaient à la pointe de la grève de décembre dernier pour réclamer de nouvelles embauches.

Ce rapport affirme pourtant refléter "l’opinion de la plupart des dirigeants" de la société nationale. Autrement dit l’audit révèle que la haute direction découvre soudain l’Amérique, et ce qu’elle pense tout bas sans oser le déclarer à la table des négociations. Rien de glorieux, donc : la gestion des personnels est dominée par un grand "empirisme" - ce qui à la fois coûte cher et ne répond pas aux besoins de la clientèle, résume ce rapport explosif.

Du repos avant le repos

Officiellement, les agents commerciaux des trains (ACT), à savoir les contrôleurs, travaillent deux cent jours par an. Premier problème, les généreuses vacances qu’ils s’octroient sont généralement prises en juillet et août, période de pointe du trafic. D’où la nécessité de recruter des vacataires. Soit, pour la seule gare de Bordeaux, une trentaine d’agents.
Ce document, qui passe au peigne fin la situation de Paris-Sud-Est, Marseille et Bordeaux, fourmille de découvertes conceptuelles. Ainsi les enquêteurs ont-ils décrit la "durée moyenne du repos encadrant le repos périodique". En clair, ce repos autour du repos hebdomadaire oscille entre vingt-quatre et vingt-six heures, et atteint des pics de plus de quarante heures. L’astuce consiste à quitter le service le vendredi dès midi pour le reprendre le lundi en début d’après-midi. Histoire d’arriver frais et dispos en congé.

Autre trouvaille : des "jours de repos supplémentaires" sont attribués sans raison aux contrôleurs. Ainsi à Bordeaux, en 1997, trois quart d’entre eux bénéficiaient de cette tolérance.
A moins qu’il ne s’agisse d’absences non contrôlées. En effet, le rapport d’audit explique benoîtement que de nombreuses dérives sont tolérées en matière d’absentéisme. Pour une raison simple : les absences annoncées sont notées au niveau local, et cette comptabilité n’est pas tenue à jour. Les rapporteurs observent d’ailleurs "un certain laxisme ou une complicité de la part des responsables chargés d’organiser l’utilisation de ces effectifs".

Lointaines banlieues

Le temps de travail est lui-même marqué par cette intense recherche de repos salvateurs. Près des neuf dixièmes des missions des contrôleurs sont assorties d’un "repos hors résidence", baptisé RHR. Les allocations de déplacement qui en découlent expliquent cet engouement, car elles peuvent atteindre jusqu’à un cinquième du salaire et ne sont pas déclarées au fisc. Seul hic, beaucoup de ces temps de repos sont totalement injustifiés.

Ces moments de détente indus peuvent prendre diverses formes. Ainsi des "usages locaux" interdisent aux contrôleurs d’effectuer dans la même journée l’aller-retour Paris-Avignon ou Paris-Grenoble. Plus surprenant encore, des agents affectés en banlieue parisienne se voient attribuer fictivement des repos hors résidence alors qu’ils rentrent le soir chez eux.
Le rapport note que ces primes d’éloignement injustifiées sont "destinées simplement à maintenir, voire à augmenter, le niveau de rémunération". Illégal, ce système constitue au sein de la SNCF "un instrument d’amortissement des tensions". Autrement dit destiné à calmer la propension des contrôleurs à faire grève.

Cinq heures par jour

Le boulot des contrôleurs est parfois stressant mais les compensations sont multiples. Un dixième des effectifs de Bordeaux et un quart à Paris-Sud-Est sont utilisés à des tâches autres que le contrôle des voyageurs. Pour cause de formation... ou de visite médicale.

Quand le contrôleur contrôle, le travaille effectif ne dépasse pas cinq heures par jour dans presque un tiers des cas - ce que le rapport appelle joliment les "petites journées". De tels horaires s’expliquent entre autres par le maintien des effectifs dans les gares qui ont une faible charge de travail. Ainsi Dax compte cinq agents, Pau et Agen six... La journée la plus courte observée dure quarante-six minutes entre Auxerre et Laroche.

L’audit conclut à une gestion "conservatrice" (doux euphémisme) du corps des contrôleurs. Et en explique plus loin les raisons : "Compte tenu des risques sociaux, il n’y a pas de remise en cause des situations, le principe est de reconduire les errements antérieurs". Et d’ajouter : "Les modifications ne se font qu’à la marge lorsque la SNCF dispose de nouveaux trains." Ailleurs, le rapport note pudiquement : "Les acteurs ont perdu de vue la dimension économique de leur activité". Comprenons qu’ils ne se foulent pas.

Autant de dérives qui, pour être corrigées, supposent, souligne encore le rapport, "un appui hiérarchique fort".

Pas de problème : on peut compter sur l’armée de polytechniciens qui dirigent la SNCF.

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