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Le fabuleux déclin de Lionel Jospin

jeudi 22 avril 2004

Au début de cette tragi-comédie politique qui se joue quotidiennement en France, il y avait cette phrase, en forme d’aveu d’impuissance, de lâcheté aussi : « J’ai décidé de me retirer de la vie politique. » Cette phrase, Lionel Jospin avait sans doute trouvé normal de la prononcer, au soir de la plus grande humiliation de sa carrière d’homme public, le 21 avril 2002. Effroi dans l’Atelier socialiste ; des cris, des pleurs, des suppliques s’élevèrent alors de la fosse militante du quartier général du PS, comme lorsqu’une pop star pour midinettes quitte la scène. Tchao l’artiste !

Dans un élan d’humanité pour celui dont la France n’a pas voulu ce jour-là, la tentation est grande d’ajouter : « Et bonne route ! » Car la traversée du désert, longue et pénible, est souvent mortelle en politique.

Vacances en Grèce

Faut-il y voir un symbole ? Au premier jour de sa nouvelle vie d’homme libre, délivré de toute responsabilité politique - mise à part celle d’une nouvelle défaite de la Gauche - le citoyen Jospin s’envole pour la Grèce avec son épouse. La Grèce : pays des origines, qui a vu naître la politique, la démocratie, terre de tragédie, terreau de la puissance de la cité. A défaut d’y élaborer son prochain projet pour la France, Lionel Jospin s’y repose, s’y ressource aussi, avec dans un coin de sa tête, le glaive de la reconversion contrainte et forcée qui lui pèse et l’accable.

Après la Grèce, la Corse. Le citoyen Jospin poursuit sa convalescence et tente de soigner son ego ensanglanté. Car dans cette histoire - celle des retours de Jospin - tout est affaire d’ego et de frustrations béantes. Des jospinistes détruits par la défaite et trahis par la fuite indigne de leur chef aux journalistes de gauche - dont les espoirs de voir Jospin bouter Chirac hors de l’Elysée et de le pousser à une retraite politique dont l’heure, pour eux, semblait avoir sonnée - les responsables de cette mascarade politique sont nombreux, au premier rang desquels Jospin lui-même.

Car à considérer que l’homme n’est pas fou et qu’il n’est manipulé par personne, Jospin reste le principal artisan de ce scandale, qui dure depuis bientôt trois ans. Retour sur une autre leçon sur l’honneur en politique ; petit cours accéléré de démagogie politicienne...

Jamais parti

Que les choses soient claires : la traversée du désert que d’aucuns promettaient à Lionel Jospin n’aura été qu’une pâle traversée du bac à sable. Surfer de la médiatisation abrutissante, il a fait le choix de passer pour un homme qui n’a pas de parole plutôt que, face à l’échec et la honte, se retirer définitivement avec dignité.

La fin de l’année 2002 marque donc le début d’une partie de cache-cache délicieuse entre les médias et Jospin. Que fait-il ? Que pense-t-il ? Le fidèle Daniel Vaillant est le premier à s’exprimer : « Hors de question pour lui de revenir sur la décision qu’il a prise de ne plus être en responsabilité tel qu’il l’a été pendant des années ». Et de nuancer : Jospin a « toute sa place au PS » (1). A bon entendeur... Du bout des lèvres, alors qu’il vient juste d’arriver en Corse pour ses vacances, Jospin lâche un « Je ne serai pas toujours muet » (2) que Le Monde reprendra le lendemain dans ses brèves...

A partir de là, la mécanique sera toujours la même : Jospin fait ou dit quelque chose et les journaux s’en font l’écho. De temps à autres, pour répondre aux amis de Lionel, certains le remettent à sa place et lui taillent un costard à sa mesure (3). Au milieu de ces règlements de compte qui desservent encore un peu plus le Politique, que peut bien penser le lecteur du Monde à la vue d’un titre pareil : « Lionel Jospin fête la retraite d’Armand, son chauffeur » ? (4)

En attendant 2007...

Qu’est-ce qui fait donc courir Jospin ? La Présidentielle de 2007 ? Claude Allègre, son ancien ministre de l’Education, le reconnaît à mots couverts : « Si le pays connaît une vraie crise, si Chirac s’avère incapable de conduire son quinquennat ou si la gauche connaît des divisions qui mettent en péril son unité, alors l’hypothèse Jospin retrouvera une actualité qu’elle n’a plus aujourd’hui. » (5)

Alors, en attendant, Jospin s’est occupé : réapparition publique aux Etats-Unis, pour une conférence (6) ; des tribunes dans la presse pour distiller les bons et les mauvais points, fustiger le gouvernement Raffarin et feindre de jeter de l’huile sur le feu socialiste (7) ; des apparitions d’invité surprise rue de Solférino, pour tester sa popularité (8) ; reportage photo pour Gala ; chez Elkabach sur Europe 1 ; en tournée de campagne pour les Régionales et plus récemment encore, en première ligne pour un « oui » socialiste au référendum sur la Constitution Européenne.

Et quant à s’expliquer sur sa conduite, le citoyen Jospin, simple militant du parti socialiste, lâche sans honte ni scrupules : « Un mot simple : le plaisir. C’est la clé d’explication de mon comportement et de mon attitude au cours des derniers mois. » Évidemment ! Où diable avait-on la tête ? Nous qui pensions qu’il s’agissait de politique !

Notes

(1) : Mercredi 10 juillet 2002, dans les couloirs de l’Assemblée nationale.

(2) : Corse-Matin, édition du 13 août 2002.

(3) : Dans son livre Ma part d’inventaire sorti le 29 août 2002 (Ramsay), Marie-Noëlle Lienemann évoque un Jospin entouré de « courtisans », doté d’un « ego hypertrophié » et juge qu’il était « un peu court pour être président ».

(4) : Le Monde, dans son édition du 19 octobre 2002, ne craint pas de revenir sur la présence de Jospin, le 15 octobre, à la fête organisée à la Maison de l’Amérique latine (Paris), en l’honneur de Armand Rubes, son ancien chauffeur et également celui de François Mitterand.

(5) Le Nouvel Observateur du 14 novembre 2002.

(6) Conférence au Centre d’étude sur la religion et la démocratie de l’université de Virginie, à Charlottesville. Cette apparition publique, le 8 novembre 2002, est la première depuis le 21 avril 2002.

(7) « Etre utile » est sa première tribune. Elle est publiée dans Le Monde du 1er février 2003. Il écrit : « Parler, ce n’est pas revenir. J’ai quitté la vie politique, je n’y reviens pas. Je n’exerce plus de fonctions, je ne brigue pas de mandats. Mais je ne me désintéresse pas du débat public. » Il y en aura également une dans le Figaro du 28 février.

(8) Plusieurs sondages ont montré la popularité intacte de Jospin. Le 2 janvier 2003, pour le Nouvel Observateur, 64 % des sondés croient au retour de l’ancien premier ministre « en politique au niveau national dans les années à venir ». Le 6 mars 2004, pour Le Parisien/Aujourd’hui en France, 76 % des sympathisants socialistes souhaitent son retour. Une majorité des Français (55 %) sont d’un avis contraire. Cela dit, 73 % des sympathisants du PS souhaitent le voir se présenter à la Présidentielle de 2007, 52 % des Français ne désirent pas sa candidature, mais 45 % y sont favorables.

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