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La politique monétaire européenne, entre performance et carence

vendredi 22 avril 2005

Pourquoi l’euro a-t-il été créé ?

Les facteurs expliquant la décision de faire l’euro s’inscrivent d’abord dans le contexte géopolitique de l’Europe au début des années quatre-vingt dix. La monnaie unique apparaît à la fois comme une nécessité pour ancrer l’Allemagne à l’UE après la chute du mur de Berlin en 1989, et comme un moyen pour les Allemands de faire accepter à leurs partenaires européens la réunification au prix de la renonciation au mark, mais en conservant ses vertus stabilisatrices.

Plus généralement, la monnaie unique constitue une réponse à l’accélération du processus de mondialisation de l’économie, en faisant du continent européen une grande puissance économique et monétaire. Les Etats-membres ne sont plus en mesure de faire face séparément aux nouveaux développements de la concurrence mondiale. Avec l’euro, l’Europe se dote d’un instrument à la mesure de son poids économique et commercial.

La monnaie unique est également le complément logique et indispensable au marché intérieur. Après la libération des mouvements de biens, de services, de capitaux et de personnes, les variations de taux de change constituaient le dernier obstacle au développement accru des échanges intracommunautaires. Alors même que les échanges intracommunautaires représentent plus de 60 % des échanges extérieurs pour chacun des Etats membres. En supprimant la possibilité de dévaluation compétitive entre des pays de plus en plus interdépendants, l’euro assure donc une meilleure cohésion des pays de la zone. L’euro accroît également la concurrence au sein de la zone en facilitant la comparaison des prix entre pays et, par ce biais, augmente la compétitivité des entreprises européennes.

Enfin, la monnaie unique vise à concurrencer le dollar comme monnaie internationale de facturation des échanges, et comme instrument de réserve des banques centrales. Pour y parvenir, la gestion de l’euro a été contrainte par le respect d’objectifs de stabilité monétaire.

Il a ainsi été décidé de mener une politique dite de l’euro fort, conformément à l’article 105 du Traité CE, qui assigne au Système européen de banques centrales (SEBC) un objectif de stabilité des prix. Or, alors que l’euro s’échangeait à 1,168 $ le jour lors de son lancement (le 4 janvier 1999), il n’a cessé de baisser durant deux ans, pour atteindre 0,83 $, soit une chute de près de 30 %. Après une longue traversée du désert, l’euro est brutalement remonté au début de l’année 2002 et a gagné près de 50 % sur le dollar, pour atteindre près de 1,3 $.

Comment peut-on expliquer un tel phénomène ?

Il faut voir en la situation actuelle, plutôt que la hausse de l’euro, la baisse du dollar. Elle s’explique par l’ampleur des déficits américains : déficit budgétaire fédéral (5 % du PIB) et déficit des paiements courants (550 milliards de dollars en 2004). Ces déficits exigent un flux quotidien de capitaux, notamment externes, extrêmement important pour les financer.
Côté européen, plusieurs facteurs d’explication sont néanmoins à exposer : la monnaie européenne est menacée par un besoin de financement très lourd des Etats européens pour faire face aux déficits des régimes de retraite et aux systèmes de santé ; les grands Etats européens connaissent des déficits budgétaires parfois très importants (plus de 4 % du PIB pour la France en 2004) ; la croissance économique tarde à redémarrer ; les réformes structurelles sont encore insuffisantes, notamment l’incomplète réforme des retraites en France et l’imparfaite réforme du système de soins allemand.

Il faut enfin noter que la montée de l’euro sera sans doute d’autant plus forte que les autres pays partenaires des Etats-Unis, Chine en tête, continueront de s’opposer à l’appréciation de leur monnaie : l’euro sert de variable d’ajustement.

Cette appréciation de l’euro constitue une perte de compétitivité des grandes sociétés européennes, non seulement aux Etats-Unis, mais sur tous les marchés où les biens sont facturés en dollars (notamment l’Asie). Les exportations européennes globales ont ainsi baissé de 2% en 2003. En Europe même, le prix des biens importés devenant meilleur marché, les entreprises locales peuvent se trouver en difficulté. A contrario toutefois, la baisse du dollar permet de restreindre les tendances inflationnistes européennes, notamment en abaissant le prix du pétrole.

Le Conseil ecofin (regroupant les ministres des Finances des 25) conduit la politique générale de change, mais ne peut toutefois pas affecter l’objectif de stabilité des prix. Un euro fort serait donc impossible, puisque le SEBC doit maintenir coûte que coûte la stabilité des prix. Il est d’ailleurs intervenu le 22 septembre 2000 sur le marché des changes pour acheter massivement des euros contre dollar et contre yen. L’impact des ces mesures a été très faible (l’euro est remonté à 0,95 $ pour redescendre à 0,85 $ quelques mois plus tard).
Ajoutez à cela des réserves de change plus que modestes (2000 milliards de dollars)(1), et vous comprendrez pourquoi une politique de l’euro faible serait constitutive de risques colossaux pour l’économie européenne.

Enfin, les variations de l’euro, qu’elles soient fortes ou faibles, ont un impact neutre sur les Etats-membres. L’essentiel du commerce extérieur des pays membres se fait à l’intérieur de la zone euro, où les niveaux de change sont définitivement fixés. Ce rappel relativise grandement les velléités consistant à relancer les économies domestiques via un affaiblissement de l’euro.

Une politique monétaire efficace et performante

Le SEBC assume à présent la responsabilité de la conduite de la politique monétaire unique. Si la conception et la direction des opérations de change sont centralisées (2), les opérations sont, elles, décentralisées (refinancement, relations avec les banques, réglage fin).
Ce système est satisfaisant, dans la mesure où il est basé, non seulement sur des opérations d’open market (3), mais aussi sur l’offre de facilités permanentes (4) et l’imposition aux établissements de crédit de constituer des réserves obligatoires sur des comptes ouverts sur les livres des banques centrales nationales (5).
N’omettons pas de rappeler que le système de change ne peut se concevoir qu’adossé à l’indépendance organique de la Banque centrale européenne (BCE), définie par les dispositions de l’article 107 du TCE. C’est vrai essentiellement du Directoire, composé de six membres dotés d’un mandat de 8 ans non renouvelable. A l’instar de la Bundesbank jadis, mais aussi de la FED américaine.
Rappelons enfin que les dix nouveaux Etats membres ne pourront intégrer le SEBC qu’au terme d’un délai minimum de 2 ans, car le traité prévoit une période préalable à l’adhésion au mécanisme de change européen (MCE II), pour apprécier la stabilité des monnaies qui ont vocation à entrer dans l’euro. Ceci nous semble sage et utile.

Autant la politique monétaire semble aisée à appréhender, autant une question fait débat depuis l’origine : celle consistant à savoir si celle-ci peut se concevoir dans le cadre de politiques économiques et budgétaires indépendantes. D’aucuns se sont demandés si une politique de désinflation et de maintien de taux d’intérêt élevés pour réduire les déficits publics n’allait pas affecter la croissance de l’UE. En effet, la gestion des chocs asymétriques, affectant un Etat membre ou un groupe d’Etats membres, revient aux politiques nationales, en particulier aux politiques budgétaires.

Il est souhaitable que la politique monétaire menée par la BCE puisse favoriser une croissance soutenue et non inflationniste, et que les politiques budgétaires des Etats membres restent orientées vers le contexte de ralentissement des finances publiques et la maîtrise de l’endettement des administrations. A cet effet, les grandes orientations de politique économique (GOPE) constituent l’instrument central de coordination des politiques économiques. D’une durée de trois ans, les GOPE sont néanmoins réactualisées chaque année. Il faudrait soustraire de la méthode confédérale cette coordination, en confiant à la Commission un pouvoir de proposition et de mise en œuvre des recommandations issues des GOPE.

Ce sont les GOPE qui sont à l’origine de la procédure pour déficits excessifs, telle que développée dans le Pacte de stabilité et de croissance (PSC), adopté lors du Conseil Européen d’Amsterdam (juin 1997). Les critères suivis par la et BCE et permettant à la commission de condamner à Etat à une amende d’un montant considérable (entre 0,2 et 0,5 % du PIB), sont contestés. Il s’agit de l’inflation, qui doit s’approcher au plus près de 2%, de l’agrégat monétaire M3, dont l’évolution est suivie de près, et d’indicateurs économiques généraux. Ce troisième critère, institué le 8 mai 2003, permet à la BCE de ne plus souffrir de critiques à ce sujet.
Par ailleurs, le PSC se couple avec d’autres processus, dit de Luxembourg (coordination des politiques de l’emploi), de Cardiff (coordination des politiques structurelles), et de Cologne (coordination des dialogues macroéconomiques avec les partenaires sociaux).
Une insistance toute particulière doit être portée au respect du processus de Lisbonne (mars 2000), qui vise à coordonner et stimuler à la fois les réformes structurelles, la croissance et l’économie de la connaissance. Nous nous inscrivons absolument dans une telle logique.

L’UEM, les marchés financiers et l’harmonisation fiscale

Conformément aux propositions du comité Lamfalussy, il apparaît que les règles en vigueur sont totalement inadaptées à une unification totale des marchés financiers européens. Il y a de nombreuses différences d’application nationale, source de nombre de cloisonnements.
Il convient d’intégrer les marchés de gros, par une révision de la Directive sur les services d’investissement (DSI (6)) ; il faut fournir un accès plus sûr aux marchés de détail (services financiers, intermédiaires en assurance, etc) ; et surtout il faut réformer les normes prudentielles, dans la mesure où le ratio Cooke (rapport de 8% entre les fonds propres et les engagements des banques) est devenu obsolète. Le ratio McDonough fournit une bonne alternative, par son approche plus qualitative : il tient compte des fonds propres bien sûr, mais aussi des risques de crédit, des risques de marché ou encore des risques opérationnels.

Enfin, l’harmonisation fiscale rencontre de fortes réticences dans plusieurs Etats membres. Néanmoins, ceux qui appliquent des systèmes de comptes anonymes ou de secret bancaire (la Belgique, l’Autriche, le Luxembourg) devront y renoncer dans un délai de sept ans.
Cela étant, outre que l’harmonisation met un terme à une saine concurrence fiscale, un tel procédé sera inopérant tant que les pays tiers n’y seront pas soumis (Andorre, Monaco, la Suisse, le Lichtenstein, San Marin).

Il est décevant que le refus opposé par certains Etats membres à l’harmonisation fiscale se fasse au nom de la défense d’intérêts nationaux, par refus d’abandonner l’unanimité. Il faudrait a contrario que l’intégration communautaire aille de pair avec une émulation tant budgétaire que fiscale.

NOTES

1 : Il s’échange chaque jour 1200 milliards de dollars sur les marchés des changes.

2 : Le système Target (Trans-European Automated Real-Time Gross Settlement Express Transfert System) permet le règlement immédiat et irrévocable des ordres de paiement dans toute la zone euro.

3 : Tels que des appels d’offres hebdomadaires ou mensuels en monnaie centrale, des swaps de devises contre euro, des reprises de liquidités, visant à atténuer des chocs importants sur la liquidité bancaire et permettre, le cas échéant, de piloter l’évolution au jour le jour du taux du marché monétaire.

4 : Elles permettent de fournir ou de retirer des liquidités au jour le jour, d’indiquer l’orientation générale de la politique monétaire, par des prêts ou dépôts à 24 heures, constituant les jalons haut et bas délimitant le corridor de fluctuation du loyer de l’argent au jour le jour.

5 : Sans leur existence, le SEBC serait exposé à une volatilité relativement forte des taux d’intérêt du marché monétaire, qui imposerait un plus fréquent recours aux opérations d’open market pour des besoins de réglage fin.

6 : La DSI soumet au régime du passeport européen les entreprises d’investissement.

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