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Le pouvoir illusoire sur le pouvoir d’achat

jeudi 4 septembre 2008

Ces derniers temps, le pouvoir d’achat a augmenté tout seul. Ce faisant, il n’a pas fait d’étincelles : + 0,5 % prévu pour la première moitié de cette année après + 1,6 % l’an dernier. Sur la dernière décennie, il a tout de même gagné plus de 20 %. Mais les Français râlent, et pas seulement parce que c’est dans leur tempérament. Tout d’abord, ce chiffre global agrège des réalités de plus en plus éparpillées. Le gâteau du revenu est découpé en un nombre de parts de plus en plus élevé, car le nombre de ménages augmente. Ensuite, les prix des dépenses indispensables, comme le logement, accélèrent. D’autres postes, comme les télécommunications, montent en puissance et compriment le reste du budget. Enfin, les Français ont des raisons de croire que les prix augmentent plus vite que ne l’indique l’indice Insee. La grande distribution s’est sucrée au moment du passage à l’euro début 2002. Alors que les salaires, eux, se traînent et que les cotisations sociales ont repris leur ascension en début d’année.

« On » va donc s’efforcer de mettre les bouchés doubles. Quatre grands leviers existent pour accroître le pouvoir d’achat. Le premier, le plus évident, est de faire rentrer davantage d’argent dans les caisses (accroître les revenus). Le deuxième est de moins pomper d’argent dans les mêmes caisses (diminuer les impôts et cotisations sociales). Le troisième consiste à pouvoir acheter plus avec la même somme (baisser les prix). Le dernier est de faire vider les coffres (diminuer l’épargne). Depuis un an, le gouvernement multiplie les actions pour actionner les trois derniers leviers, notamment via les mesures Sarkozy-Gaymard. Mais il n’a pas les moyens d’actionner le premier, pourtant le plus efficace.

Reprenons levier par levier, en donnant des ordres de grandeur. L’épargne tout d’abord. En 2004, les Français ont mis grosso modo 160 milliards d’euros de côté, soit un peu plus de 15 % de leurs revenus. C’est plus que dans la plupart des pays développés. Le gouvernement veut les inciter à casser leur tirelire par tous les moyens : exonération des dons d’argent, assouplissement des règles de déblocage de l’épargne salariale, déduction fiscale sur les intérêts des crédits à la consommation (plus d’emprunts, c’est moins d’épargne), réforme prévue des prêts adossés à l’immobilier... Mais les Français ont des raisons d’épargner beaucoup : ils doutent encore de leurs retraites, des remboursements de la Sécu, de leur avenir professionnel. Dans ces conditions, un recul de 1 % du taux d’épargne serait déjà un pas gigantesque... et ne libérerait que 10 milliards d’euros.

Les prix, ensuite. Comment les faire baisser, ou au moins les freiner ? C’était déjà l’idée fixe de Pierre Bérégovoy quand il était ministre de l’Economie dans les années 1980. Ses successeurs font de même. Assureurs, pétroliers, grands distributeurs sont allés à Bercy comme à Canossa. Hervé Gaymard vient d’annoncer qu’il veut mettre de côté l’indice du coût de la construction sur lequel sont indexés des millions de loyers parce qu’il augmente « trop » vite. Mais l’action sur les prix est un combat permanent et difficile. Un ralentissement des prix de 0,5 % suppose d’énormes pressions et ne libérerait que 5 milliards d’euros.

La vraie solution pour avancer sur les prix est bien connue : c’est libérer la concurrence. Laisser les distributeurs ouvrir de nouvelles surfaces en faisant sauter une certaine loi... Raffarin. Supprimer les nombreuses barrières à l’entrée dans des centaines de métiers. Pour en dresser la liste, il suffit de consulter les études sur la question, du rapport Armand Rueff de 1960 jusqu’au rapport Cahuc-Kramarz de 2004. Mais pour avancer dans cette voie, il faut affronter des lobby qu’aucun gouvernement n’a eu le courage de froisser jusqu’à présent.

Viennent ensuite les impôts et cotisations sociales payés par les ménages. Ici, la masse est énorme, près de 700 milliards d’euros (impôts sur le revenus, cotisations sociales salariés et employeurs). Voilà pourquoi il y a sans cesse de la baisse d’impôts dans l’air. C’était la promesse de Jacques Chirac en 2002, récemment répétée par Hervé Gaymard. Mais la masse colossale de prélèvements ne suffit pas à couvrir les dépenses. En 2004, il aura manqué près de 60 milliards dans les caisses publiques. Pour baisser durablement les entrées, il faut donc baisser tout aussi durablement les sorties. Lesquelles ? Une diminution des retraites relève du suicide électoral. Il est possible de moins rembourser les soins de santé... mais cela vient à nouveau amputer le pouvoir d’achat. Là encore, la seule vraie solution est bien connue : c’est la réforme de l’Etat. D’autres pays y sont arrivés. En France, il reste du pain sur la planche. Le ministre de la Fonction publique provoque encore un haut-le-coeur syndical quand il ose employer le mot « productivité ».

Venons-en au principal levier : ce qui rentre dans le portefeuille des Français. Pas moyen d’augmenter les 330 milliards d’euros de transferts sociaux (retraites, allocations chômage, indemnités maladie) sans relever les cotisations ou l’impôt, car cet argent-là va presque directement de la poche d’un Français à celle d’un autre. Difficile d’avoir prise sur les 250 milliards d’euros engrangés par les entrepreneurs individuels. Reste les 530 milliards de salaires nets. Les bonnes années, la paie peut monter de 30, voire 40 milliards d’euros ! Dans le secteur public, qui emploie un actif sur quatre, la hausse des traitements pose toutefois question. Comme pour les transferts sociaux, il n’y a pas d’autre solution pour les arrondir que de relever les impôts ou creuser les déficits. « On » en vient alors aux salaires du privé. « Il faut augmenter les salaires ! », proclament régulièrement des magazines soucieux de doper leurs ventes. L’économiste en chef d’Ixis-CIB, Patrick Artus, tient le même discours.

Mais en économie de marché, c’est l’entreprise qui décide d’augmenter les salaires. Elle a les moyens de le faire quand elle accumule des gains de productivité avec des salariés plus compétents car mieux formés, des machines plus efficaces ou une organisation plus performante. Elle est obligée de les augmenter quand elle ne trouve plus les bras dont elle a besoin, c’est-à-dire quand l’économie approche du plein-emploi. Elle en verse à un nombre accru de salariés quand l’activité est assez tonique pour stimuler l’embauche. Le vrai secret du pouvoir d’achat est là, dans la croissance, la formation, l’efficacité. « On » a souvent tendance à l’oublier au profit d’une gesticulation illusoire.


Illustration sous licence Creative Commons.

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