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Le libéralisme, bouc émissaire

vendredi 22 avril 2005

La Constitution européenne n’est pourtant pas – comble du paradoxe – libérale ! Pour les libéraux, une Constitution devrait tout d’abord avoir pour objet non pas tant d’agencer les pouvoirs que de limiter le pouvoir. Synthèse ambiguë, la Constitution européenne encourage à l’inverse l’augmentation et la centralisation des pouvoirs. Au-delà des domaines de compétence exclusive de l’Union européenne, la liste des domaines de compétence partagée avec les Etats membres est en effet impressionnante : marché intérieur, environnement, protection des consommateurs, transports, etc. Les principes de subsidiarité et de proportionnalité sont certes consacrés, mais au lieu d’être remontante, au lieu de partir de l’individu pour remonter jusqu’à l’Union européenne, la subsidiarité, concept fondamentalement libéral, est ici descendante.

Pour un libéral, une Constitution devrait également soumettre la prise de décision politique au respect des droits fondamentaux que sont la liberté, la responsabilité et la propriété afin de protéger les individus contre la tyrannie de la majorité et l’arbitraire du prince. Or, lorsque le projet de Constitution européenne proclame que l’Union « oeuvre pour le développement durable de l’Europe fondé sur (...) une économie sociale de marché » et participe à l’avènement de la « justice sociale », il s’inscrit bien plus dans une dialectique sociale-démocrate que dans une dynamique authentiquement libérale.

De même, les nombreux « faux droits », issus de la charte des droits fondamentaux et rassemblés dans la seconde partie de la Constitution, sont des « droits-créances » – et non pas des vrais droits de l’homme – et n’auraient donc jamais trouvé leur place dans une « Constitution de la liberté ». Certes, le droit de propriété est prévu mais en dix-septième position sur cinquante-quatre articles, et il n’est consacré qu’en fonction de son « utilité sociale ». Quant à la « liberté d’entreprise », elle est bien rappelée à l’article précédent mais elle doit être entendue « conformément au droit de l’Union et aux législations et pratiques nationales ».

Autant dire qu’elle n’est pas garantie. Même si, enfin, la Constitution reconnaît le droit de sécession de tout Etat membre et dispose que l’accroissement de la fiscalité communautaire demeurera soumis à la volonté unanime des Etats, comment ne pas s’inquiéter des termes de l’article 1-54, relatif aux ressources propres de l’Union, qui prévoit que celle-ci « se dote des moyens nécessaires pour atteindre ses objectifs et pour mener à bien ses politiques » ?

Cette « Constitution » n’est donc pas, à proprement parler, libérale. Le fait que de nombreux Français aient voté contre ce texte ne devrait donc pas être interprété comme un signe de défiance à l’encontre des solutions libérales. Le non l’ayant emporté, que va-t-il cependant se passer ? Au niveau européen, la France aura sans doute, pendant quelque temps, moins d’influence. D’aucuns s’en inquiètent. Mais lorsque l’on voit que le président français était parvenu, pour des raisons puremen t politiciennes, à brandir son fameux « modèle social français » (qui n’a, comme c’est étrange, séduit aucun pays de l’Est au sortir du communisme), pour faire céder les vingt-quatre autres pays de l’Union européenne sur la directive Bolkestein, alors même que la France, second exportateur mondial de services, aurait pu en tirer le plus grand profit, ne faut-il pas, non sans tristesse, y voir une bonne nouvelle ? L’Europe a parfois su tirer la France vers plus de liberté. Si les libéraux européens pouvaient effectivement avoir, grâce au non français, davantage de marges de manoeuvre pour imposer leurs vues, la France ne pourrait, par ricochet, qu’en tirer le plus grand profit.

Au niveau national, du fait de l’antilibéralisme triomphant tant chez les partisans du oui que chez les défenseurs du non, il fallait s’attendre à ce que les autorités publiques annoncent un nouveau « virage social », envisagé avant même le résultat par Dominique de Villepin et supposé tenir compte de la volonté exprimée par le peuple français. Avec la victoire du non, le président de la République risque d’ouvrir une période qui, sans rompre avec la stratégie molle des demi-choix non assumés (qui ne paye pourtant pas électoralement), devrait être encore plus étatiste, constructiviste et anti-réformatrice que la précédente. Une telle perspective avait d’ailleurs fait hésiter une partie des libéraux à se prononcer, politique intérieure oblige, contre une Constitution qui ne correspondait pourtant pas à leurs idéaux de liberté et de responsabilité. Le pire serait donc à venir.

La France aurait pourtant bien besoin d’un véritable « tournant social », qui ne perpétuerait pas des recettes anciennes mais qui ouvrirait la voie à une nouvelle politique de désengagement étatique rapide de la sphère économique, de renforcement énergique de la flexibilité du travail et de récompense véritable du mérite et de l’effort. Car un pays où l’on donne la possibilité, grâce à une réforme fiscale audacieuse et à une révision profonde du droit du travail, à ceux qui ont perdu leur emploi d’en retrouver un autre rapidement et où le taux de chômage tombe à 4%, est bien plus juste et plus efficace, sur le plan social, qu’un pays où le taux de chômage reste à 10% et où l’on promet, en guise de solution, l’aide impossible d’un Etat obèse et déresponsabilisant. Cette politique, authentiquement libérale et couronnée de succès partout où elle a été mise en oeuvre, n’a pourtant jamais été appliquée en France. Les hommes politiques devraient saisir la chance de rompre enfin avec les échecs du welfare pour sortir de l’« exception » française et emprunter, avec énergie, confiance et conviction, la voie novatrice du workfare. Mais qui en aura le courage ?

Que le non soit antilibéral ou pas, personne ne peut le savoir : il y a tant de non différents ! En revanche, une chose est plus que jamais certaine : la France, qui s’effondre chaque jour davantage, ne pourra supporter les conséquences d’une énième surenchère sociale. Elle doit changer de modèle de société. Et seule une société de liberté permettra à ce pays de remonter la pente.

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