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Une lumière dans la nuit

Jean-François Revel ou le combat contre la mauvaise foi

mardi 23 septembre 2008

La disparition de Jean-François Revel me rappelle celle du dessinateur Reiser. Un chagrin qui vous prend, sans avoir personnellement connu l’homme, avec la certitude d’une perte irréparable. Outre la tristesse à l’annonce de sa mort, beaucoup de femmes et d’hommes ressentent à son égard de la gratitude, se découvrent être son débiteur.

A l’époque où Hannah Arendt était encore peu connue du grand public, ce philosophe érudit transmettait avec passion et clarté les clés de compréhension du totalitarisme et particulièrement du socialisme qui sévissait encore sur une partie de l’Europe.

On peine à imaginer aujourd’hui ce qu’a pu être, pour un jeune progressiste des années 70, désemparé par les indignations sélectives et le conformisme de la pensée, un homme comme Jean-François Revel. Une lumière dans la nuit. Souvenons nous : même le mot démocratie était alors suspect car il sous-entendait « démocratie formelle ». Il combattait avec courage les aveuglements et les ignorances, les complaisances envers les crimes des dictateurs révolutionnaires, compagnons de route de tant de nos belles âmes, aujourd’hui spécialisés dans les leçons de démocratie médiatisées.

Athée impénitent, anti-gaulliste, anti-colonialiste et anti-communiste, il avait foi en la liberté et une dévotion inconditionnelle à la vérité.

Un message sans contradicteur

Revel n’a cessé de chercher, sur le terrain des faits et des idées, des adversaires qui se sont dérobés. Classé libéral, il a toujours dénié le statut d’idéologie au libéralisme dont les théoriciens se bornent à observer des faits, des situations avérées, à dire aux acteurs du monde ce qu’ils font et non ce qu’ils doivent faire. Avancer que le marché est, à l’expérience, un moyen moins mauvais d’allocation des ressources que la répartition planifiée ne relève pas de l’idéologie, c’est un constat. Au contraire, le socialisme qui imprègne tant les esprits est bien une idéologie, une reconstruction mentale de la réalité.

Il est très significatif que les rares contradictions à ses pamphlets, alors que les attaques contre sa personne étaient nombreuses, se résumaient en un truisme : « le marché ne résout pas tous les problèmes », sous entendu, le libéralisme est également un système qui prétend tout résoudre, comme le socialisme. « L’idéologie ne peut pas concevoir qu’on lui oppose une objection si ce n’est au nom d’une autre idéologie. » notait il. C’est ainsi que le libéralisme est jugé, non pas sur ce qu’il apporte (sécurité sociale et démocratie, par exemple) mais sur ce qu’il pourrait ne pas apporter de bon. En quelque sorte c’est le débat truqué qui consiste à comparer la perfection de ce qui n’existe pas (la société socialiste ou écologiste) avec les imperfections de ce qui existe (la démocratie libérale). Le tour de force des idéologues patentés étant de se faire juger sur leurs intentions et non sur la réalité des expériences socialistes vécues.

Contre dogmes et utopies

Deux questions sont au coeur de son oeuvre politique : Qu’est ce qu’une société viable ? Et pourquoi y a-t-il, dans les sociétés libres, tant de gens qui haïssent la liberté et veulent la servitude ? Il s’est efforcé de le comprendre, dans ses nombreux ouvrages, en traquant le mesonge et le faux, la paresse intellectuelle et la crainte de la liberté.

L’auteur de « La tentation totalitaire » fut le compagnon, le réconfort moral de ceux pour qui un supplicié chinois, russe ou angolais, est un homme aussi digne d’intérêt qu’un chilien ou un espagnol voué au même sort. Le temps, disait il, « est la matière première de la vie humaine. L’histoire recommence et finit avec chaque individu ».

La « Connaissance inutile » publié en 1988 sans prendre une ride depuis, devrait être lu par tous les étudiants en journalisme. Ils y apprendraient pourquoi les dogmes et les utopies sont hermétiques à la réalité des faits.

Pourquoi l’objet commun de la haine des deux totalitarismes qui ont ravagé la planète au siècle dernier est la société démocratique libérale, incontrôlable avec ses milliards de variantes individuelles.

Contre l’hémiplégie de la mémoire, enfin, dans « La Grande Parade » il nous montre pourquoi le devoir de mémoire envers les victimes d’Hitler se double d’un droit à l’indifférence pour les victimes de Staline, Mao, pol Pot, Mengistu, et autres Kim Il Sung. Il démonte également l’instrumentalisation politique de la menace d’un danger fasciste.

Revel a été un lutteur infatigable au service de la liberté alliant à sa culture très étendue l’intelligence et le courage, la force et le coeur. J’ajouterai l’humour, présent dans toute son oeuvre, au détour des traits les plus acérés, des reflexions les plus fécondes. Et jusqu’à tout récemment où, avec son « Obsession anti-américaine » il brocarde férocement ceux qui, ayant pour tout bagage un anti-américanisme de bon aloi, se prennent pour des penseurs.

Les interviews accordées par ses amis à l’occasion de son décès nous apprennent que ce bon vivant était également un homme très généreux. Sans le savoir, nous le savions. Lucide, il retire de sa propre expérience « l’aptitude des hommes à se persuader de la vérité de n’importe quelle théorie, de bâtir dans leur tête un attirail justificatif de n’importe quel système, fut-ce le plus extravagant, sans que l’intelligence et la culture puissent entraver cette construction idéologique ». Et les hommes ne changeront pas. Beaucoup de ceux qui s’intéresssent à la chose publique préféreront toujours leurs convictions à la réalité des faits. Si le danger totalitaire peut être combattu, la tentation totalitaire existera toujours car elle est inscrite dans l’homme.

« L’esprit totalitaire peut donc ressurgir un jour prochain dans une nouvelle incarnation initialement inoffensive et vertueuse, un travestissement inédit derrière lequel très peu de physionomistes identifieront de prime abord le vieux visage messianique et maléfique de l’idéologie... ».

Nous voilà prévenus. Merci Jean-François Revel.


Voir en ligne : Wikib


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