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Le droit : opposé au fait accompli

mardi 8 août 2006

Pour brouiller les pistes, certains vous rétorqueront alors que ces dernières ne sont peut-être pas si irréprochables que cela, de la même manière que l’atomisation d’Hiroshima fut justifiée par la "responsabilité collective" (concept monstrueux s’il en est) des Japonais. Quand on veut noyer son chien, on l’accuse de la rage. Sans oublier que ce détestable argument est réversible. D’ailleurs, il est employé à son tour par le Hezbollah pour excuser ses ripostes contre des villes israéliennes, alors que les civils y résidant et travaillant ne sont pour rien dans le drame enduré par leurs voisins libanais, victimes en la circonstance du seul État hébreu - comme le note Ken Roth d’Human Rights Watch.

Plus généralement, une guerre n’est pas une fatalité, ni une catastrophe naturelle ; elle est déclenchée par des individus. À ce titre, ceux-ci doivent rendre des comptes et ne pas se croire au-dessus des lois simplement parce qu’ils se déclarent "gouvernement de la nation" et "représentants du peuple". Quand les Etats-nations se constituèrent, une réflexion très riche émanant de théologiens et de juristes, tels que Vitoria, Suarez et Grotius, se développa : ces auteurs donnèrent naissance au droit international public. Partant du constat que les États étaient (et sont encore, évidemment) des puissances souveraines, il fallait leur donner des limites et empêcher leurs gouvernants de se croire autorisés à agir n’importe comment sous prétexte de l’existence d’une situation belliqueuse.

Qu’il s’agisse du droit des neutres, de la liberté de commercer (sur les mers, notamment), de la proportionnalité des ripostes, il s’agissait de confiner sévèrement les États dans leurs limites. Un des principes fondamentaux était qu’aucune armée belligérante n’était légitimée à s’en prendre à des parties extérieures au conflit, et donc à de paisibles civils. Cette distinction rigoureuse entre civils et puissances hostiles fut fortement mise à mal par notre époque démocratique : puisque la démocratie était censée reposer sur la "souveraineté du peuple", le "peuple" devait désormais être tenu pour solidaire des actions du gouvernement supposé en émaner - pour le meilleur et pour le pire. C’est toujours sur ce raisonnement fallacieux que sont assises la plupart des actions gouvernementales. Dès lors, la population tout entière est devenue de la simple chair à canon ou, au mieux, un gigantesque bouclier humain servant de protection aux irresponsables qui régissent les citoyens.

Surtout, la démocratie étant à présent décrite comme la fin de l’Histoire et l’accomplissement de la raison universelle (pour parler le sabir hégélo-fukuyamien), tout semble permis à ses représentants qui couvrent leurs multiples et sanglantes turpitudes en accusant leurs détracteurs de traîtrise et de complicité avec "les ennemis de la nation et du monde libre".

Mais le droit se moque des prétextes idéologiques invoqués, il est là pour sanctionner les fautes commises, pas pour entériner le fait accompli. Des crimes de guerre commis au nom de la démocratie restent des crimes de guerre. Faut-il, du reste, être surpris que le bolchevisme juridique consistant à changer le sens des mots pour les faire cadrer avec sa propre politique soit si prisé par certain gouvernement ?
Enfin, il est souvent répliqué en guise d’argument ultime : "Tout cela est bel et bon, mais vos beaux principes ne seront jamais respectés." Peut-être, et même sûrement tant qu’il existera des États. Mais, tant qu’ils seront en place, leurs chefs ne doivent pas se croire au-dessus des lois. Oublier de le leur rappeler, c’est s’en faire les complices impavides. Au demeurant, avec ce type d’argutie, les auteurs de délits de droit commun peuvent également dormir sur leurs deux oreilles, puisqu’il est certain que le crime existera toujours. Ajoutons que si le Droit était respecté, il perdrait sa raison d’être, ou plutôt il se confondrait avec chacun de nos actes. Raisonnablement, nous pouvons parier sans risque qu’il n’en sera jamais ainsi.

En tant que libéraux et libertariens, n’oublions donc jamais que l’état de fait n’est souvent que l’arme de destruction idéologique massive des criminels et donc des gouvernements, par nature peu soucieux de l’état de Droit.

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