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Dopage et sport

Ethiquette

samedi 10 juillet 1999

Si le sport passe pour fournir des héros, c’est par défaut ou par démagogie. Cela ne veut pas dire qu’il ne mette pas en jeu des valeurs, essentiellement aristocratiques ( « être le meilleur »), qui puissent informer positivement la collectivité : il en est une représentation particulière, culturellement favorisée, parmi d’autres, infiniment plus générales. Toutefois, il est l’antidote sournois d’une culture de l’égalité et tout discours qui le célèbre repose sur un nombre considérable de contradictions : celle qui se fait jour entre le principe coubertinien - « l’essentiel est de participer » - et l’expression très violente du culte des vainqueurs, par exemple. A l’origine, les héros étaient, pour les Grecs, des êtres hybrides, mi-hommes, mi-dieux. Des monstres, en quelque sorte, par rapport à des catégories bien ordonnées, ce qui se traduisait par leurs actions démesurées. Dans L’ Iliade, l’obstination des héros à montrer leur excellence (l’ aristéia) les amène à se battre entre eux. Cela n’en fait pas des saints, ils sont coléreux comme Achille, menteurs comme Ulysse, fous comme Ajax. Héraklès les rachète tous, en tuant les monstres, mais, supplicié sur l’OEta, il paie très cher ses écarts de conduite.

Dans l’idéologie romaine, le héros devient civique : c’est un homme que sa générosité au service de l’Etat rend digne de l’immortalité divine, c’est-à-dire de figurer comme exemple dans la culture politique.

Les stoïciens de l’Empire en feront l’emblème de la vertu, sans laquelle il n’est pas de bien suprême. Le christianisme trouve là l’archétype de ses saints, exemples éminents de la vie chrétienne, modelés sur Hercule ou sur Caton avant de trouver un appui théologique.

La dérive romanesque ou dramatique du terme de héros l’affadira au point qu’il désigne communément le personnage central d’une intrigue. En fin de compte, la notion d’héroïsme se cristallisera autour de deux caractères : l’emploi d’une énergie exceptionnelle au service du bien collectif, et une aptitude au sacrifice qui va généralement jusqu’à la mort, au bénéfice d’autrui (la patrie, la vie des hommes, la science...).

Si les champions cyclistes, donc, sont des héros, c’est de la même façon qu’ils sont des géants : métaphoriquement. C’est beaucoup, et c’est très peu. Trop peu, en tous cas, pour qu’ils incarnent une éthique : on peut, au mieux, exiger d’eux une déontologie, puisqu’ils sont professionnels. En l’occurrence, la prise de produits interdits par la règle du jeu est déontologiquement condamnable : si ces produits sont d’autre part interdits par la loi générale, et assimilés à des stupéfiants, c’est un délit. Mais la question éthique serait : l’atteinte à l’intégrité de soi est-elle contraire au Bien ? Et l’on ne voit point qu’elle concerne spécifiquement les cyclistes, ni les sportifs en général. Sauf, justement, à considérer que le statut de héros, hâtivement conféré, fait du cycliste ou du sportif (accidentellement, quand il gagne ou quand il se dope) la métonymie parfaite, sur le plan de la représentation, d’une humanité idéale. Cette affirmation paraîtra scandaleuse à tous les esprits sains : le cycliste n’est pas l’Homme. Il n’en est même pas l’idéal. Et l’on ne peut déduire de l’activité sportive aucune règle morale générale. Sinon, il serait moral d’abattre son semblable à coups de poing.

Tout au plus peut-on mettre au compte de ce phénomène culturel un effet de modélisation des conduites qui mériterait une analyse plus nuancée.

Si l’on envisage les effets négatifs de cette modélisation, il n’y a aucune raison de s’arrêter à l’injection d’érythropoïétine. Bien d’autres façons de tricher ne sont pas sanctionnées, car, comme dans la société, les arbitres ne voient pas tout : le spectacle des sports collectifs met en scène cent triomphes de l’injustice et du vice rusé.

Du reste, en tant que spectacles, certains sports catalysent la violence que leurs règles, en tant que jeux, prétendent codifier et réduire. Le hooliganisme est une composante d’une compétition de football, parmi d’autres émotions dont le caractère bénéfique est plus éphémère. L’hypothèse reste que d’autres pratiques (la convivialité, secondée par l’encadrement policier des stades) peuvent contrecarrer ces effets pervers. Ou bien on affirme que les spectateurs violents ne sont pas des sportifs. Ce qui montre que, lorsqu’on veut s’en donner la peine, on sait encore distinguer le sens des mots, et marquer des limites.

Pourquoi, alors, une piqûre prohibée mettrait-elle l’éthique en péril ? A cause du mauvais exemple ? Mais qui a eu l’étrange idée de travestir les sportifs en héros exemplaires ? Ils ne sont ni fils de dieux, ni citoyens d’élite, ni auréolés de sainteté, ni sauveurs d’hommes, ni bienfaiteurs de l’humanité. Ils font leur travail, ils nous distraient, et ils accomplissent pour cela une foule d’actes, souvent violents et dangereux. Faudrait-il s’en remettre à eux pour éclairer nos consciences ? Quel est cet opium nouveau ? Admettons que Dieu soit mort, il faut une grande indigence intellectuelle pour laisser croire que ses anges courent sur les stades ou grimpent le Tourmalet.

Il faut donc dégonfler la baudruche d’un débat hypertrophié. Assez de fausse monnaie : l’euthanasie, les dommages collatéraux des bombardements, le déclenchement d’une guerre, les modifications génétiques, la procréation artificielle ou médicalement assistée posent de vrais problèmes éthiques, sur lesquels notre conscience peut utilement s’interroger, et choisir ses réponses. Le dopage des coureurs invite à d’autres questions : comment l’overdose peut-elle devenir un accident du travail, par exemple ?

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