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L’expropriation inique

Un article du blog de Copeau

jeudi 12 août 2004

C’est un peu technique mais fondamental d’un état d’esprit étatiste, qu’il faut dénoncer.

La France a grande habitude de se faire condamner par la Cour européenne des droits de l’Homme (COEDH), basée à Strasbourg, et non pas à Luxembourg comme la Cour de justice des communautés européennes.

En effet, il est reproché au droit public français son caractère fondamentalement léonin à l’encontre des particuliers. Je veux dire, de manière presque ontologique.

Un exemple, un seul : selon l’article 6-1 de la Convention européenne des droits de l’Homme, que la Cour du même nom se charge de faire respecter,

« toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

La COEDH s’est déjà payée plusieurs fois le Conseil d’Etat français (CE). En 2001 par exemple, dans un arrêt Kress contre France, elle a été jugé que la présence d’un commissaire du gouvernement - chargé de donner un avis impartial - au délibéré d’un arrêt du CE était illégale. De même, la présence au sein de la formation de jugement du président d’une section qui avait donné un avis favorable au texte qui faisait l’objet du recours, est illégale : la COEDH a jugé que le Conseil d’Etat ne respectait pas la notion de procès impartial.

La France a également été condamnée pour violation du délai raisonnable dans le fonctionnement de la justice, en 2002, dans un arrêt de la COEDH Lutz contre France. La France a d’ailleurs d’autant plus été condamnée qu’il n’y a pas de possibilité légale de se plaindre devant les juridictions internes de la violation d’un délai raisonnable de jugement.

Parfois c’est même le juge interne qui condamne la France : je ne citerai qu’un seul exemple, mais il est emblématique : le tribunal administratif de Paris à jugé, en 2003, que la responsabilité de l’Etat était engagée pour faute du legislateur dans l’affaire SA Fipp. Qu’avait donc fait le Parlement ?

Il avait voté une loi qui ne respectait pas la convention européenne des droits de l’Homme, et plus exactement le droit aux biens.

Mais l’hécatombe ne s’arrête pas là.

Je voudrais vous entretenir à présent d’un autre arrêt, et des conséquences qu’en ont tirées les juridictions françaises. Elles me semblent emblématiques d’un état d’esprit gallican voire nationaliste, étatiste et profondément stupide.

Le 24 avril 2003, la COEDH (arrêt Yvon contre France) a condamné la France a raison de la position dominante occupée par le - encore lui - commissaire du gouvernement, à la fois, nous dit la Cour, "expert et partie" dans la procédure d’expropriation, et de l’influence importante exercée par ce dernier dans le cadre de l’évaluation judiciaire de l’indemnité [1].

Selon la Cour de Strasbourg, et je ne peux que la suivre, la situation de l’exproprié n’est pas, compte tenu de ce qu’elle reproche à la France, conforme au principe d’égalité des armes et le droit français contrevient donc aux dispositions de l’article 6 § 1 de la Convention.

Un arrêt supranational doit être respecté immédiatement par les juridictions nationales. Comment ont-elles réagi ?

La Cour de cassation, organe suprême du droit privé, a, comme à son habitude, pris acte très rapidement des incidences de cet arrêt. Sans état d’âme, elle s’est alignée sur l’argumentaire européen. Dont acte.

Comment le juge administratif français, et le Conseil d’Etat en premier lieu, organe suprême du droit public, a-t-il réagi quant à lui ?

Ben... comme un hypocrite aux abois.

Il cherche, avec son ridicule extincteur, à éteindre tout un feu de forêt. A nier l’évidence. A montrer ses biceps, lui qui ne joue plus qu’aux jeux paralympiques.

Alors chacun y va de sa petite interprétation :
- le premier commentateur nous dit : oui mais, le juge peut statuer au vu des des pièces fournies, en prenant acte des conclusions du commissaire du gouvernement, s’il considère que ces conclusions ne représentent qu’un avis indicatif.
- un autre ajoute : c’est bien beau tout ça, mais c’est à l’exproprié d’établir en quoi il est victime d’une violation de la convention européenne, pas à moi, qui suis, ça va sans dire, un juge parfait !

Manifestement, les juges administratifs français n’ont rien compris au droit européen. La Cour a dénoncé l’ensemble d’une situation, pas un détail par-ci par-là. C’est en effet le directeur des services fiscaux du département qui exerce les fonctions de commissaire du gouvernement devant le juge. C’est donc un allié objectif de l’expropriant. Il défent les intérêts de l’Etat, pas ceux du particulier. Il met sa capacité d’expertise au service exclusif de l’expropriant, et ce d’autant plus qu’il dispose à cet égard d’un quasi-monopole et qu’il bénéficie d’un accès privilégié au fichier immobilier à partir duquel vont être répertoriées les mutations de référence.

Une fois encore, le droit européen - souvent communautaire, mais pas toujours, car ce n’est pas le cas ici - valorise l’individu et fait cesser une situation de dépendance hiérarchique à l’égard de ce fameux Etat qui n’est plus qu’un colosse aux pieds d’argile. Ses séides zélés pourront bien tenter de construire des barrages de fortune, ils n’y pourront rien.

Lorsqu’ils se retourneront, ils entendront chanter dans leurs poumons le vent de la liberté.


[1Je rappelle pour mémoire que c’est le juge administratif qui, en France, décide du principe de l’expropriation, mais c’est le juge judiciaire, gardien de la propriété, qui fixe le montant de l’indemnité versée au particulier spolié.

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