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À qui profite le développement durable ?

dimanche 21 décembre 2008

Ceci ne fait certes pas d’elle une spécialiste des débats scientifiques, qui sont ceux qui animent en général les questions liées au développement durable, mais lui donne tout de même une certaine crédibilité. Par ailleurs, cet ouvrage sort moins d’un an après celui de Claude Allègre, Ma vérité sur la planète, nominé au prix Wikibéral 2008 et dont Lexington a commenté les tenants et aboutissants.

Sylvie Brunel n’est pas pour moi une inconnue. Outre sa vie privée, mise à jour il y a peu [1], j’ai déjà eu l’occasion de lire et d’apprécier deux de ses ouvrages de jeunesse, parus à la fin des années quatre-vingt, tout d’abord Asie, Afrique : grenier vides, greniers pleins, paru Economica, collection « Économie agricole » en 1986, et ensuite Une Tragédie banalisée, la faim dans le monde, ouvrage paru chez Hachette-Pluriel en 1991 et qui m’avait à l’époque profondément troublé.

Sylvie Brunel est du reste surtout connue pour avoir travaillé pendant plus de quinze ans dans l’action humanitaire : de 1984 à 1989, pour Médecins sans frontières, puis de 1989 à 2002 pour Action contre la faim (ACF) en tant que conseillère stratégique, directrice entre 1992 et 1993 et présidente de juin 2001 à mars 2002.

Ses thèses, qui visent (en particulier dans une Tragédie banalisée) à moins insister sur une forme d’euro-masochisme d’un monde occidental un peu trop prompt à battre sa coulpe, que sur la nécessité symétrique pour les Africains de se responsabiliser et de se prendre en main, ont frappé d’un sceau indélébile la position libérale classique en matière d’aide humanitaire. Non sans, pour être honnête, tirer malgré tout sur quelques grosses ficelles, celles des accusations un peu rapides à l’égard de l’Occident indifférent, ou encore celles du misérabilisme fondé sur un lamento un peu trop larmoyant. La tragédie de la faim est trop sérieuse pour jouer avec les sentiments.

Au demeurant, ses ouvrages « humanitaires » comprennent tous une partie fort descriptive, proche du documentaire journalistique, dans le bon sens du terme, celui qui permet de comprendre ce qu’est le kwashiorkor [2], comment les peuples Africains vivent les périodes de soudure [3], quelles sont les conséquences à long terme de la malnutrition.

Mais l’objet de cet article n’est pas de parler des thèses de Sylvie Brunel en matière de malnutrition, ou encore ses critiques à l’encontre du système humanitaire qu’elle a, tout comme Jean-Christophe Rufin par exemple, connu de l’intérieur. Cet article vise à présenter les thèses de l’ouvrage qu’elle a publié en 2008, A qui profite le développement durable ?, dans lequel elle développe une vision critique de ce concept. Elle s’interroge aussi bien sur les réalités scientifiques énoncées, que sur les fondements idéologiques du développement durable. Essayons de présenter ses principales thèses.

Un vaste retour en arrière

En premier lieu, elle considère que les assertions des tenants les plus jusqu’au-boutistes du développement durable sont infondées, voire fausses. Du reste, elle ne distingue pas les environnementalistes des tenants de la deep ecology, ce qui est l’un des principaux points faibles de son ouvrage [4].

Elle cite en particulier un exemple que nous connaissons bien depuis C’est trop tard pour la terre, de Cécile Philippe, celui du réchauffement climatique [5]. Emmanuel Le Roy Ladurie a montré que l’Europe, après avoir connu une phase de réchauffement propice aux défrichements et aux innovations agricoles du IXe au XIIIe siècle, est entrée dans un « petit âge glaciaire », du XIVe au XIXe siècle. En 1850 en Europe, la révolution industrielle vient tout juste de commencer. Ce n’est donc pas elle qui permet d’expliquer la phase de réchauffement actuelle. Il ne faut pas analyser le réchauffement climatique en termes négatifs. Les gains qu’il entraîne doivent être pris en compte : libération de terres cultivables aux hautes latitudes, ouverture de nouvelles routes circumpolaires qui permettront d’économiser l’énergie nécessaire aux trajets actuels qui contournent les continents par le sud, augmentation de la période propice à la croissance des végétaux, donc accroissement des récoltes.

L’apparente multiplication actuelle des catastrophes est liée, d’une part, à leur médiatisation, d’autre part au rôle joué par les ONG, enfin et surtout à un phénomène structurel, l’accroissement de la population. Mais, sur ce dernier point, Sylvie Brunel se veut confiante : la planète est parfaitement capable de nourrir une population qui ne doublera plus jamais.

Autre fondement scientifique à subir la critique de Sylvie, l’empreinte écologique. Elle écrit : « les indicateurs utilisés dans l’empreinte écologique ne tolèrent que le mode de vie d’un Bolivien ou d’un Bukinabé. Peu importe que le Bolivien ou le Burkinabé dispose d’une espérance de vie qui ne dépasse pas soixante ans et qu’il perde deux enfants sur dix avant l’âge de cinq ans : au regard de la Planète, il est clean [6] ».

Sylvie Brunel rappelle aussi que la nourriture industrielle, autre cible privilégiée des tenants de la deep ecology, sert notamment à garantir la longévité et la sécurité des aliments. Le bilan énergétique entre un petit détaillant et un supermarché penche en faveur de ce dernier, de par les économies d’échelles qu’il permet de réaliser. Rouler à bicyclette et labourer les champs à la main suppose que la main d’œuvre soit abondante et gratuite. Et de telles conduites constituent des retours en arrière par rapport à ce qu’était l’objectif premier du développement : libérer l’être humain des contraintes matérielles et de l’asservissement à l’énergie humaine.

Sylvie Brunel rappelle du reste opportunément que le bilan énergétique des agrocarburants est moins favorable que celui des énergies fossiles. Que la biodiversité est une construction humaine, car, depuis que la vie est apparue sur terre, les espèces animales n’ont cessé de disparaître ou de se transformer, 99% de celles qui ont vécu depuis l’origine de l’humanité n’existant plus.

L’homme, un parasite à éliminer

Sylvie Brunel s’oppose à la dualité entre un état de nature idéalisé et un homme vu comme un parasite. Elle rappelle le mythe fondateur de Tarzan, fils d’aristocrate anglais, incarnation du héros occidental dont la mission est de sauver la forêt et ses habitants de la bêtise et de l’ignorance des peuplades primitives.

Le développement durable et ses outils (les Agendas 21 en particulier) intronisent la mondialisation d’une conception du monde directement inspirée de ce que Tocqueville qualifiait de l’ « esprit de religion » américain, mélange de puritanisme et de messianisme. Le nouveau Mal, c’est le mal fait à la planète. Les ONG tiennent ainsi un discours de nature religieuse, fortement influencé par la morale évangéliste qui valorise l’auto flagellation. Les partisans de la durabilité forte (les tenants de la Deep ecology) accordent la primauté à l’environnement sur l’humanité car les hommes sont de toute façon condamnés à disparaître s’ils ne préservent pas leur milieu de vie. Sylvie Brunel a alors beau jeu de rappeler que la notion de « conservation », chère au cœur des tenants de la durabilité forte, est étrangère à la plupart des géographes, qui soulignent au contraire que, pour subsister, tout écosystème a besoin d’évoluer en permanence.

Sylvie Brunel souligne aussi le rôle néfaste joué par les ONG. Ce sont au final elles qui décident de ce qui peut être conservé en l’état, utilisé, transformé. Chaque institution tente d’imposer ses référentiels et ses procédures, pour occuper le terrain au détriment de ses concurrentes. Cette guerre de la représentativité aboutit à une surenchère dans le catastrophisme.

Le mythe de la « nature naturelle » est une chimère : nulle part dans la partie de la terre habitée par l’homme, ne subsiste d’espace qui n’ait pas été modifié par lui. Les espèces préservées le sont par sa seule volonté.
Du reste, la nature n’est pas du tout bienveillante : la Nature, c’est la loi du plus fort, l’élimination impitoyable du déviant, du débile, du fragile, du vulnérable, du faible. C’est bien selon Brunel le type de société que prônent les écologistes.

Riches contre pauvres

Dernière série d’arguments avancés par Sylvie Brunel, ceux qui incarnent, à travers les tenants du développement durable, une forme nouvelle d’impérialisme. Elle estime que l’invocation du développement durable peut servir de paravent à la défense des intérêts des pays du Nord contre ceux du Sud, en particulier aux riches des pays du Nord, aux entreprises et aux ONG de l’humanitaire. Pour Sylvie Brunel, le développement durable « légitime un certain nombre de barrières à l’entrée. En offrant ainsi un prétexte au protectionnisme des pays développés, « le sentiment que donne le développement durable, c’est qu’il sert parfaitement le capitalisme ». Contrairement aux ONG altermondialistes, les ONG environnementales travaillent de concert avec les entreprises et ne remettent nullement en question les mécanismes du capitalisme.

Ceux qui savent combien nous abîmons la planète détiennent aussi le pouvoir de nous exonérer de notre terrible culpabilité. Il nous suffit de donner. L’Afrique, en particulier, sert de véritable laboratoire à ciel ouvert du développement durable. Les normes concernant l’alimentation animale, les « petfoods », sont plus exigeantes que celles qui sont en vigueur dans les camps de réfugiés ! L’Afrique est le théâtre de nos fantasmes, car à l’heure où ce continent cherche à échapper au piège de la pauvreté et de la dépendance envers la nature, le reste du monde cherche à l’y maintenir de force au nom du Paradis perdu.

Le développement durable tel qu’il est actuellement présenté sert donc les intérêts des riches plus que ceux des pauvres, qu’ils soient dans le Tiers Monde ou dans les pays développés. Grâce à l’environnement, les pays du Nord savent qu’ils vont pouvoir non seulement s’ouvrir de nouveaux marchés, y compris dans les pays du Sud, mais aussi et surtout discréditer les produits en provenance de ces pays et les taxer, avec la légitimité d’un protectionnisme justifié par de nobles arguments environnementaux.

Si les pauvres souffrent de la faim, ce n’est pas parce que la nourriture n’est pas disponible, mais parce qu’elle ne leur est pas accessible, faute de revenus. Le vrai problème n’est ni la population, ni la nourriture, mais la pauvreté. En particulier, en créant une tension sur les prix agricoles, les agrocarburants offrent la perspective de revenus à des paysans pauvres. Ils peuvent permettre d’exploiter des terres improductives.

Pour atteindre vraiment ses objectifs, le développement durable doit cesser d’être, comme il l’est actuellement pour Sylvie Brunel, un gadget « écolo-responsable », une religion avec ses fanatiques néo-convertis ou une culpabilisation allant jusqu’à la déformation, à la peur et au « flicage ». Mener une politique de développement durable efficace, ce ne doit donc pas consister à rechercher « un vaste retour en arrière » comme c’est actuellement le cas selon elle, mais prendre en compte tous les éléments, en particulier la dimension sociale. Pour elle, « il faut toujours garder présent à l’esprit que sa finalité doit être l’humaine. La planète n’existe pas indépendamment de l’homme ».


- Principaux ouvrages de Sylvie Brunel :


[1Sylvie Brunel est la femme du secrétaire d’Etat Eric Besson

[2Le kwashiorkor est un syndrome de malnutrition protéino-calorique sévère de la première enfance. Le terme, qui signifie enfant (kwashi) rouge (orkor) dans la langue des Ashanti du Ghana, se réfère à la rougeur de peau des enfants qui en sont frappés. Le kwashiorkor touche principalement le jeune enfant qui, âgé de 18 mois à trois ans, à l’arrivée d’un second enfant, est brutalement sevré et passe à une alimentation trop pauvre en protéines.

[3La soudure désigne la période entre deux récoltes où la nourriture et l’eau viennent à manquer (de janvier à mai en Afrique sub-saharienne). En Europe, la soudure se situait à la fin du printemps.

[4Voir bien évidemment sur cette question l’ouvrage fondateur de Luc Ferry, Le Nouvel ordre écologique, Grasset, 1992.

[5Cécile Philippe, C’est trop tard pour la terre, Jean-Claude Lattès, « Idées fausses Vraies réponses », 2007. Voir aussi la page consacrée au sujet sur Wikibéral.

[6P. 19

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