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Der Untergang

Un article du blog de Copeau

samedi 22 janvier 2005

Tout a été dit sur ce film. Le pire, notamment. Dans le dernier numéro de Marianne, une chronique traite le réalisateur, Oliver Hirschbiegel, de sympathie objective avec les thèses nazies. Pourquoi ?

Parce qu’il n’aurait pas rappelé la Shoah.

Marc Ferro, interrogé au moment de la sortie du film, a tenu en gros le même discours.

« Avons-nous le droit de faire le portrait d’un homme responsable de la mort de 40 millions de personnes ? » titrait carrément lors de la sortie du film le quotidien berlinois Tagesspiegel, voulant faire apparaître le danger d’humaniser le dictateur, donc de pousser le spectateur - qui le verra caresser son chien, embrasser Eva Braun ou tapoter la joue des enfants Goebbels - à le « comprendre ». Die Welt s’inquiétait des moments « où l’on ne peut s’empêcher de ressentir un brin de compassion » pour l’ex-maître de l’Europe hagard et tremblant (d’un Parkinson) à l’heure de la défaite.

Le seul problème, c’est que le film ne porte pas sur la Shoah. L’action se situe entre le 15 avril et les premiers jours de mai 1945, à Berlin. Je vois mal comment on aurait pu parler des Juifs, sachant que depuis 1941 au mieux, il n’y en avait plus aucun à Berlin sinon dans toute l’Allemagne. Tous les camps avaient déjà été libérés, parfois depuis longtemps, parfois moins (janvier 1945 pour Auschwitz-Birkenau), il n’y avait par conséquent plus aucune solution finale en application en avril 1945. Et je doute que voyant leur dernière heure arrivée, les nazis de Berlin aient eu quoi que ce soit à foutre des Juifs qu’ils avaient exterminés.

C’est triste à dire, mais c’est la réalité. Accuser Hirschbiegel ne faire du nazisme rampant dans son film, ou tout du moins de réhabiliter Hitler, c’est un peu comme accuser ma grand-mère de ne pas mettre de fromage râpé dans une tarte aux pommes. Rien à voir, on ne parle pas de la même chose.

Je trouve que le réalisme de ce film permet de mettre en relief ce qui a trop souvent été occulté. On voit ainsi sur l’écran au jour le jour, souvent à travers les yeux de Traudl Junge, comment le chancelier, prisonnier à l’intérieur de son bunker, perd complètement le contrôle de la situation sans pouvoir se l’avouer. Hitler suscite encore des attachements inconditionnels (par exemple celui de Goebbels et de sa femme, qui resteront auprès de lui jusqu’au bout, empoisonnant leurs nombreux enfants avant de se tuer, juste après le suicide du Führer et de sa fidèle Eva Braun), mais aussi, bien vite, des trahisons opportunistes (Goering, Himmler, etc.). Et il préfère sacrifier son peuple, contre l’avis de certains de ses proches (notamment Speer, le grand architecte du Reich), plutôt que de capituler même quand tout est perdu. En contrepoint, on assiste, à travers des scènes intercalées, à l’effondrement des troupes de la Wehrmacht dans Berlin assiégé et bombardé par les Soviétiques. Dans les rues, la population, prise entre deux feux, subit sous les bombes la pire des épreuves.

Comme le dit l’ami Lafronde,

L’accent est plus que jamais mis sur la personalité des personnages : la fidélité irréprochable des Goebels, le médecin, la présence d’esprit des Himmler, Goering et Fengelein, un petit bijou.

Je voulais m’engager dans une longue réflexion, mais au final je préfère citer NicolasPierreGuillaume, qui résume parfaitement le fond de ma pensée :

Beaucoup (trouvent ce film) révisionniste...car on ne le montre pas comme un dictateur mais plutôt sous un portrait adouci, celui d’un être humain qui caresse un rêve mégalo.

S’il est révisionniste, alors tant mieux.

Pourquoi ?

Les gens s’identifient plus facilement à quelqu’un qui a du pouvoir et de la force.

Le culte du dictateur, que l’on retrouve aux USA dans le culte voué aux "serial killers". Dans les films, les serial killers sont "cools", "puissants", bref provoque l’admiration des foules, alors que ce sont en réalité des ratés.

Je pense que montrer un homme aussi dangereux sous les traits d’un pauvre fou, qui dans le film semble atteint de TOC, et paraît bien schyzophrène, est plus sain que de le montrer sous sa forme "ultime", celle d’un homme puissant.

A mon sens, mieux vaut provoquer la pitié, la compassion que susciter l’admiration chez certaines personnes.

Enfin, et vous allez me dire à juste titre que je ne fais que citer et que donc je ne suis qu’un gros fanéant, ce qui est vrai, voici in extenso la réaction de Khano et Khayek, l’une des meilleures que j’ai pu lire :

J’ai vu ce film et je trouve que la polémique qui a été lancée à son sujet n’est que vaine agitation médiatique. On y voit un homme défait, s’enlisant dans son erreur, emportant son peuple jusqu’au fond du cauchemar. Il n’y aura que des imbéciles manichéens pour regretter qu’Hitler soit montré comme un homme, capable de coups de gueules les plus terribles et d’être attentionné et bienveillant pour ses proches.

Bruno Cras disait très justement sur Europe 1 que c’est un film sur le fanatisme. Si le réalisateur en montre certains aspects, comme le culte inconditionnel du chef, l’asservissement complet des suivants, la gestion caligulesque résultant de la concentration du pouvoir dans les mains du chef (exécutions sommaires, un général venu dans le bunker pour y être fusillé injustement ressort avec un poste de choix dans la hiérarchie nazie parce qu’il a impressionné le Fuhrer...), ou le suicide de la famille Goebbels (un peu lourd), d’autres ont peut-être manqués.

J’ai pour ma part regretté le peu de place accordé à la haine du Juif. Certes ils ont toujours été accompagnés de fantasmes ridicules (ils empoisonnent les puits, mangent les enfants, organisent des complots internationaux, etc.), brimés par les chrétiens à cause de leur bien utile rapport argent, mais ceci s’est complètement emballé au XXe siècle (en Allemagne et ailleurs...). Il suffisait d’être taxé, pour de nombreuses raison variées et parfois contradictoires, de "juif" pour être instantanément disqualifié... tout comme (dans d’autres proportions) il suffisait d’être taxé de "bourgeois" dans les 70’s, de "fasciste" dans les 90’s, aujourd’hui d’"ultra-libéral", qui sait demain de "terroriste", d’"islamiste" ou de "turquophile", etc. pour se voir dans autres formes de procès frappé du sceau de l’infamie. Evidemment, multiplier les assertions antisémites aurait été trop risqué pour le film, et sans doute a-t-il fallu adapter un peu tout de même au politiquement acceptable...

Enfin je trouve dommage que le réalisateur ne montre que la chute sans rappeler de temps en temps, bref clins d’oeil, la "grandeur" du rêve allemand, la ferveur, la rude noblesse de l’aryen convaincu de son droit naturel (sic) et de participer au sens de l’histoire, de sa race, du délire de puissance, du besoin de communion... cet homme malade et aboyant a aussi été le chef craint, Moïse traversant la Mer Rouge de Nuremberg, Napoléon, le messie, l’homme providentiel, l’espoir d’un peuple, etc.

Traudl et le gamin revenu de son fanatisme s’enfuient de l’horreur berlinoise sous le soleil, comme sorti d’un mauvais rêve, presque heureux, avec certes quelques fantômes d’allemands autour d’eux, mais j’aurais aimé qu’on insiste sur ce sentiment de déroute et d’échec : la réalité vous vient dans la tronche, mettre à terre ce en quoi vous avez sincèrement cru, pour quoi vous avez vécu... ils s’en sortent un peu facilement tout de même... Cela aurait pu être un beau message de mise en garde pour tous les troupeaux actuels : altermondialistes, humanistes bien-pensants de toutes chapelles, Occidentaux arrogants et sûrs de leur combat, fanatiques religieux de tous les continents, postes avancés de la liberté, Axe du Bien, j’en passe et j’en oublie. Rappeler que la leçon du national-socialisme n’a pas encore été comprise ... si jamais elle peut l’être.

Il rappelle ce qui sera ma conclusion, le syndrôme d’Erostate : à défaut de réussir, plutôt être l’ennemi public n°1 que rien.


- Article paru initialement sur le blog de Copeau

- Illustration sous licence Creative Commons : Hitler

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