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Quel avenir pour l’Europe ?

Un article du blog de Copeau

mardi 10 janvier 2006

Les deux « non » successifs, français et néerlandais, de l’année 2005 ont été perçus, au sein des instances dirigeantes européennes et tout particulièrement parmi les membres du staff de la commission, comme une remise en cause du projet européen en tant que tel, de ces cinquante ans d’existence, du modèle social et économique européen aussi. On sait bien que si le Royaume-Uni avait du se prononcer, lui aussi, en 2005 ou plus tard, par référendum, il aurait probablement voté, encore plus massivement, contre le projet de constitution.

Pour autant, il me semble que les vraies causes de l’échec de la synthèse giscardienne sont ailleurs : il s’agit d’une crise majeure de croissance, tant il était certain et prévisible que, d’élargissement en élargissement, l’Union européenne allait droit dans le mur. Une Europe à vingt-cinq ne peut plus fonctionner comme du temps béni de la marine à voile et de la lampe à huile, lorsqu’une cabine téléphonique suffisait à contenir les Six fondateurs.

On a tout dit sur le divorce entre les élites et le bon peuple, entre les instruits et les riches d’une part, les ploucs et les cons d’autre part. On oublie cependant une chose : si le traité de Maastricht a été ratifié en 1992, certes de peu, c’est essentiellement grâce au vote des classes moyennes (enseignants, comptables, employés de banque, commerciaux, infirmières, que sais-je ?), qui était massivement favorable au traité. Tandis qu’en 2005, ce sont ces catégories socio-professionnelles qui ont fait défaut aux tenants du « oui ».

Si le vote a été négatif, et la raison est valable aussi bien en France qu’aux Pays-Bas, c’est bel et bien pour des motifs liés à la politique intérieure. En France, le chômage que les gouvernements successifs n’arrivent pas à abattre, la crise de l’immigration et des banlieues, le sentiment plus global de perte d’identité ont été le terreau fertile du vote protestataire depuis déjà quinze ou vingt ans. Le référendum n’est que le dernier avatar en date, et pas le moindre, de cet état d’urgence généralisé. Aux Pays-Bas, la présence d’une population turque et marocaine pas du tout assimilée, la déconfiture de l’Etat-providence et les réformes courageuses qui ont été entreprises, le mauvais film en deux épisodes, Pim Fortuym en 2002 et Theo van Gogh en 2004, la défiance à l’encontre d’un gouvernement faible et contesté, voici quelles sont à mes yeux les explications les plus évidentes du vote négatif néerlandais.

La première conséquence du vote négatif, c’est évidemment le gel de la construction européenne pour un petit moment. Mais ne soyons pas dupes : sans même évoquer l’hypothèse d’un nouveau vote référendaire, partout où il a été négatif, à l’instar du Danemark dans les années quatre-vingt dix, hypothèse peu crédible pour des Français qui seraient sans doute particulièrement humiliés de cela, on peut dire deux choses. Tout d’abord, le traité de Nice, qui s’applique donc, fait la part trop belle, notamment en terme de représentation au Conseil, à l’Espagne et à la Pologne, au détriment de l’Allemagne, sinon de la France. Les modalités de vote à la majorité qualifiée, comme le nombre pléthorique de commissaires, sera un moteur évident d’une réforme prochaine des institutions. D’autre part, il ne faut pas omettre que, parmi les réformes proposées par le Traité, certaines étaient, à mes yeux, d’incontestables avancées : président du Conseil, ministre des affaires étrangères, resserrement du nombre de commissaires, disparition du doit de veto pour un seul pays en cas de disposition législative fondamentale, augmentation des pouvoirs du parlement. Ces réformes ne sont que partie remise, et, sorties par la porte, elles rentreront par la fenêtre.

A plus long terme, il me semble qu’à présent l’élargissement de l’Europe subira, lui, un authentique coup de frein. Hormis pour les pays auxquels l’adhésion a été promise, la Bulgarie et la Roumanie, il est peu envisageable d’aller plus loin dans l’immédiat. La Turquie est de fait hors-jeu.

Le débat post-référendaire, à l’opposé du reste de la campagne référendaire en tant que telle, est l’occasion d’enfin ne plus se voiler la face sur une évidence que pourtant tout le monde cherche à nier : en intégrant les pays issus du Pacte de Varsovie, l’Union européenne a franchi un seuil non plus seulement quantitatif, mais aussi qualitatif. Pour ne rien dire des pays en proie aux déchirements réguliers, ceux des Balkans en particulier, ou encore l’Ukraine ou la Géorgie. Entre ceux qui pensaient, et qui pensent toujours (et vous savez que j’en fais partie) que la Turquie a toute sa place en Europe, et l’opinion de la très grande majorité de l’opinion publique de la plupart des pays, il y a un hiatus considérable que rien ne viendra combler. Certains pensaient même que l’Europe avait vocation à s’étendre jusqu’à Israël par exemple, histoire d’atténuer le choc des civilisations.

Il est évident que la promesse européenne a servi les démocrates turcs ; que la condition des femmes, des prisonniers, des libertés publique ou des droits de l’homme s’est améliorée d’abord et avant tout grâce à la carotte de l’intégration européenne. C’est une voie sur laquelle il faut continuer à s’engager. Mais aller au-delà, et parler d’adhésion, devient à mon sens irréaliste.

En France tout particulièrement, on a voté contre le « libéralisme » économique, contre Chirac et ses affaires, contre l’Amérique de Bush, voire contre la Turquie, mais pas contre le traité constitutionnel en tant que tel. Dès lors que les causes resteront inchangées, il est illusoire de s’attendre à un autre vote des électeurs. On sait pourtant que des réformes assez basiques permettraient déjà de réduire un peu le chômage, en supprimant les obstacles aux licenciements ou en allégeant le coût du travail. On adoucirait le sort des plus modestes si on leur permettait de gagner plus, pour ceux qui veulent travailler plus. Si on facilitait aussi la création d’entreprise. Comme partout ailleurs, et pas seulement en Europe. Mais pour cela il faudrait des dirigeants qui disent la vérité, qui ne se contentent pas de brosser l’électeur dans le sens du poil, qui aient aussi le courage d’appliquer les réformes sur lesquelles ils ont été élus. Or on a la classe politique qu’on mérite.

Une piste plus probable est celle des coopérations renforcées ; déjà en vigueur en matière de défense (les 60 000 hommes de la force de réaction rapide par exemple), ou de sécurité intérieure (le protocole de Schengen lie quinze Etats membres, plus des extérieurs comme la Suisse), il faudra bien l’étendre à d’autres domaines, parmi les plus stratégiques (l’euroland, la PAC, la diplomatie, le marché du travail et les politiques sociales). C’est la seule manière de pousser plus avant le train du fédéralisme, qui me semble plus prometteur que tout autre en l’espèce.


- Article paru initialement sur le blog de Copeau

- Illustration sous licence Creative Commons : Non

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