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Alain Laurent, Le Libéralisme américain : Chapitre 5 - 1920-1947 : préhistoire anti-étatiste et individualiste du « revival » libéral classique aux États-Unis

Un article du blog de Copeau

vendredi 4 août 2006

L’American way of life a été intellectuellement théorisé par des penseurs anarcho-capitalistes défenseurs de la souveraineté absolue de l’individu (Lysander Spooner ou Benjamin Tucker). C’est dans le même esprit que cette tradition anti-collectiviste typiquement américaine va s’exprimer, dès avant le New Deal, et qui ne fera que s’amplifier avec le développement des liberals.

1920-1940 : les réfractaires de la première heure

Albert Jay Nock rappelle que la philosophie politique individualiste du gouvernement limité léguée par Jefferson est le meilleur point d’appui doctrinal. Dans le célèbre Our enemy the state (1935), Nock oppose le « gouvernement » (un syndic de copropriétaires gérant la coordination des droits naturels et facilitant leur coopération volontaire) et l’ « État », de nature constructiviste.

Nock est suivi par Henry Simons, Frank Knight (le seul à utiliser aux États-Unis le terme « libéral » au sens européen du terme), mais surtout par des journalistes ou écrivains, qui, à la différence des économistes, défendent un anti-liberalism sur un plan essentiellement éthique. Ainsi, Nock est secondé au sein de son hebdomadaire The Freeman par Franck Chodorov. Ce dernier collaborera par ailleurs avec Henry Louis Mencken, partisan d’un individualisme farouche. Il considère Roosevelt comme sa bête noire, compagnon de route des premiers anti-étatistes plutôt que refondateur précoce du libéralisme classique.

Henry Hazlitt, à la tête de l’American Mercury puis en tant que chroniqueur du New York Times, devient un activiste néo-libéral célèbre et fait connaître Mises aux lecteurs américains dès la fin des années trente.

Enfin, des intellectuels marxistes ou trotskistes se convertissent au néo-libéralisme (William Chamberlin par exemple).

1943 : le coup de tonnerre de trois femmes

Par un heureux fruit du hasard, l’année 1943 marque trois coups de semonce du renouveau individualiste, de la part de trois femmes, dont aucune n’est économiste. Chacune de ces insoumises fondent leur démarche sur des considérations morales où la réaffirmation des vertus de la responsabilité individuelle et de la propriété privée tient la première place.

The Discovery of Freedom, de Rose Wilder Lane, et The God of the machine, d’Isabel Paterson, dénoncent les méfaits du Welfare state et la notion de bien collectif, dénuée de sens pour elles. Seule la propriété privée est un principe d’organisation sociale conséquent.

La célèbre Ayn Rand choisit, elle, la voie de la fiction. Elle publie en 1943 La Source vive, que King Vidor adaptera peu après au cinéma. Howard Roark, un architecte qui lutte seul contre tous pour faire reconnaître son droit de libre créateur, est dans ce roman traduit devant un tribunal pour y répondre d’une accusation d’asociabilité et de sabotage hostile au sort des masses ; il y défend sa propre cause dans un plaidoyer retentissant en faveur de l’indépendance individuelle, qui connaîtra un succès littéraire important.

1944-1947 : du libéralisme classique retrouvé au « libertarianism »

C’est à partir de 1944 que les précurseurs du renouveau du néo-libéralisme vont être épaulés par deux auteurs originaires d’Europe continentale : Mises et Hayek. Mises reprend à New York son séminaire d’avant-guerre, qu’il animera jusqu’en 1969, et que fréquenteront de futurs libertariens de renom (Israël Kirzner ou Murray Rothbard). Il publie en 1944 The Omnipotent government et Bureaucracy. Hayek publie quant à lui la Route de la servitude, ouvrage couronné d’un grand succès en librairie, et qui l’amènera à traverser le pays pour de multiples conférences, et par la même à nouer des contacts avec ceux qui fonderont la Mont-Pèlerin Society (Friedman, Hazlitt, Chodorov, Chamberlin, Morley).

Hazlitt connaît à son tour un grand succès de libraire avec Economics in one lesson en 1946. Il va, par un langage simple et accessible, montrer à des milliers de lecteurs les effets calamiteux à long terme des politiques keynésiennes et du New Deal. Il participe aussi à la création de la Fundation for Economic Education (FEE), initiée par Leonard Read, lequel diffuse des centaines de milliers d’exemplaires de la Loi de Frédéric Bastiat (dont un certain Ronald Reagan fera son livre de chevet).

C’est ce même Read qui propose en 1947 de récupérer le terme « libertarian » (et qui avait un sens voisin du français « libertaire »), en lui conférant une signification nouvelle, moins anarchisante et plus libre-marchéiste. Cela étant, ce terme a été récusé par nombre d’auteurs, y compris de premier plan (Hayek, Mises, Rand). Il semble donc que coexistent depuis deux sens différents du terme « libertarien », qu’il ne faut pas confondre : un sens pointu, équivalent à anarcho-capitalisme (Rothbard) ; un sens plus large, équivalent à libéralisme au sens européen [1] (et conforme à ce que voulait Read).

Certains iront même jusqu’à revendiquer le terme de « libéraux » pour leur propre compte, comme l’histoire des idées les y autorise.


- Article paru initialement sur le blog de Copeau


[1Par exemple chez Charles Murray, What it means to be a libertarian, ou David Boaz, Libertarianism – A primer.

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