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la démocratie frictionnelle

Un article du blog de Copeau

mercredi 20 septembre 2006

Serge Galam rappelle utilement dans le Monde de ce jour que nous vivons une ère nouvelle, que j’appelle celle de la démocratie frictionnelle, comme on parle de chômage frictionnel. Nombreux sont les exemples, depuis ces quelques années, de scrutins suprêmes (entendez : présidentiels, dans la plupart des cas) aux résultats si serrés qu’ils en sont totalement improbables d’un point de vue statistique, et pourtant bien réels.

En voici quelques exemples, parmi les plus connus : l’élection présidentielle américaine de 200, et les 537 voix mille fois recomptées de Floride ; Bush n’a battu Gore, rappelons-le, que parce que les grands électeurs lui ont donné une majorité de circonstance, alors même que Gore était majoritaire de 0,5% en nombre de voix cumulé sur le plan national.

En 2005, seuls 0,92% des suffrages exprimés ont séparés en Allemagne Schröder et Merkel. Un gouvernement d’union nationale a alors été constitué.

En Italie, cette année, Prodi n’a obtenu que 25 000 voix d’avance sur Berlusconi (sur 38 millions de votants), soit 0,06%.

Enfin au Mexique en ce moment même, le président de droite n’a obtenu que 230 000 voix de plus que le candidat socialiste (soit 0,46% des votants), lequel refuse de reconnaître sa défaite et s’apprête à former un shadow government.

Comme l’écrit Serge,

Mais la question se pose alors de savoir si l’on peut fonder cette légitimité démocratique sur une majorité qui se réduit à quelques milliers de voix, car dans un contexte de dizaines de millions de votes, quelques milliers de voix sont quasiment équivalentes à « une voix ». Et, dans ce cas, on ne peut jamais être vraiment sûr qu’il n’y a pas eu de fraude sur « la voix » en question.

Plutôt que de s’interroger sur les fondements des choix des électeurs, cette nouvelle réalité pose une lumière encore plus crue qu’avant sur le paradoxe démocratique. Celui-ci commence à de plus en plus ressembler au paradoxe syndical : les élus, qui poursuivent leur propre intérêt (Tullock l’a amplement montré), ont en plus tendance à ne plus représenter qu’une frange très minoritaire de la population. Comme les syndicats, pourtant uniques titulaires de la représentativité professionnelle, n’ont que 2 à 6% d’adhérents selon les structures.

Chirac, aux élections de 2002, n’a été élu que par moins de 20% des suffrages exprimés du premier tour. Rapporté aux nombre d’inscrits, et donc au taux d’abstention (qui croît continûment), la représentativité de Chirac en 2002 est comparable à celle de Chirac, alors arrivé troisième, aux élections présidentielles de 1981.

Je n’ai pas la solution miracle pour résoudre ce dilemme, mais je sais une chose : exiger plus de démocratie (par exemple, pour les institutions européennes) amènera tôt ou tard à accentuer cet effet. La bonne solution, même si elle choque l’esprit français, consiste à faire une place aux contre-pouvoirs ailleurs que dans la rue. Car après tout, leur légitimité en vaut bien d’autres. Plutôt que d’avoir au Palais du Luxembourg un mouroir doré et capitonné pour politiques finissants, j’y verrai bien la représentation constituée des lobbies et autres groupes de pression. Évidemment, cela ne règle pas la question du mode d’élection ni celle de représentativité en tant que telle, mais c’est juste une question qui à mon sens mérite d’être posée.


- Article paru initialement dans le blog de Copeau

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