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Quelques remarques sur les 35 heures

dimanche 16 novembre 1997

Pour compenser les surcoûts liés à la réduction de la durée du travail, les entreprises, à défaut de diminuer les salaires, vont durablement bloquer les augmentations de salaire. Citons Martine :

"On peut très bien négocier une moindre augmentation (sic) des salaires ou un blocage (on y vient, ndlr). Et pourquoi ne pas remettre sur la table l’intéressement ou d’autres avantages divers accordés ?"

Or ceci revient à bloquer un rouage essentiel et naturel de l’économie, qui consiste à motiver les gens, à les payer en fonction du travail qu’ils fournissent.

Une hausse de 11.4 % des coûts salariaux, surtout ceux des moins qualifiés, sera la conséquence de cette réforme (35 heures payées 39).

Prenons l’exemple de services dont la qualité doit être maintenue à tout prix (le secteur du tourisme ou de l’hôtellerie par exemple). Cette hausse de 11.4 % ne sera pas compensée par une amélioration de la productivité, car elle est impossible.

Dans les PME, il est hautement difficile de créer des emplois à temps partiel. Une boulangerie n’embauchera pas un salarié polyvalent faisant 1/10e de boulangerie, 1/10e de pâtisserie et 1/10e de vente.
Ce sont les chefs d’entreprises, et leur famille le cas échéant, qui devront compenser la perte de travail du passage à 35 heures. Or voici à titre indicatif le temps de travail moyen des artisans, commerçants et agriculteurs : 51.6 heures par semaine...

Denis Olivennes, proche de Pierre Bérégovoy, a écrit dans une note de la Fondation Saint-Simon (proche de Michel Rocard) : il y a, à la lumière des exemple français, espagnol, allemand et norvégien, une corrélation entre l’aggravation du chômage et la diminution du temps de travail. Car pour éviter une hausse des coûts unitaires de production, il faut une compensation salariale (partielle ou totale). Or le coût du travail non qualifié augmentant de 11.4 %, (compte non tenu des aides de l’Etat), ceci représentera un choc plus important que la crise pétrolière de 1973.
L’aide publique dégressive neutralisera la hausse au début. Mais cette dernière atteindra tout de même 4.5 % en fin de période. Or les entreprises n’amélioreront pas leur compétitvité à due concurrence, notamment pour les raisons soulevées plus haut.

Le gouvernement veut-il négicier comme il le prétend ? En réalité non. Un amendement présenté lors de la discussion au parlement voulait substituer aux mots "la durée du travail est fixée à 35 heures" les mots "la durée du travail peut être fixée à 35 heures". Cet amendement a été rejeté, preuve que le gouvernement veut imposer et non négocier. D’ailleurs Aubry ne dit pas autre chose : "Comme vous, je pense que c’est par la négociation qu’il faut avancer. Mais - je le déplore - il nous faut donner le la par la loi" (extrait des comptes-rendus analytiques de l’assemblée nationale)

L’équivalent du passage de 39 à 35 heures, c’est + 5 semaines de congés payés par an. Comme le dit Charles Wyploz (Libération, 13/10/1997) : "Quid de tous ceux qui ont besoin ou envie de gagner plus d’argent ? Les chargés de famille qui sont prêts à travailler 50 heures parce qu’un meilleur logement vaut sa peine. Quid, surtout, des chômeurs ? Le plus surprenant, c’est que la plupart des Français imaginent la réduction de la durée du travail comme un acte de solidarité face au chômage. La vérité est très cynique : ceux qui ont un boulot et préfèrent les loisirs à l’argent viennent d’imposer leurs préférences aux chômeurs et à ceux qui ont besoin de gagner plus d’argent"
Cela rappelle étrangement les propos du ministre du Travail sur "un véritable changement de société", voire, n’ayons pas peur des maux, "l’avènement d’une société des loisirs". C’est le communiste Jean-Pierre Brard, citant Pierre Larrouturou, qui a dit à l’assemblée que "les 35 heures, c’est une heure de télé en plus chaque jour ; les 32 heures, c’est une vie plus libre"

Comme le disent les Norvégiens, la France est le seul pays de l’UE à ne pas rejeter le dirigisme, bien au contraire. Nous sommes les seuls à réduire le temps de travail. En Italie, on préfère attendre les résultats que la France récoltera pour se prononcer. Ailleurs, en Allemagne, au Japon ou a fortiori dans les pays anglo-saxons, on augmente la durée du travail.

Quid de ceux qui, passé au régime des 35 heures, continueront de travailler 39 ? Selon Aubry, il y aura 2 SMIC. Pour ceux qui travailleront à 35 heures payées 39, ils auront un salaire mensuel de 6664 F (ce qui représente, on l’a dit, une hausse de 11.4 %). Pour ceux qui travailleront 39 heures, ils ne toucheront néanmoins pas 39 heures de SMIC horaire. Aubry a donc esquissé l’idée d’une rémunération mensuelle minimale à côté du traditionnel SMIC horaire. Par conséquent, 39 heures représenteront 4 heures supplémentaires : soit 6664 F pour 35 heures, plus 4 X 39.43 F (le SMIC horaire), soit au total 6821.72 F (augmentation de 2.5 %).
Dans ces conditions, les contrats d’intérim (payés 4800 F) fleuriront au détriment des CDI.

A titre d’exemple, Volkswagen, entre 1992 et 1996, a diminué le temps de travail. Pendant cette période, 23 000 emplois ont été supprimés.

Si le passage aux 35 heures est une bonne mesure, pourquoi ne pas l’appliquer également à la fonction publique ? Mais il faudra alors embaucher pour maintenir le service public. Ce qui aggravera d’autant les déficits publics.

Excellent exemple des effets de seuils que la mesure consistant à différer le passage aux 35 heures pour les entreprises de moins de 20 salariés. C’est le meilleur moyen pour que la préoccupation dominante des chefs d’entreprises soit de ne surtout pas dépasser 20 salariés.

Aujourd’hui les heures supplémentaires sont limitées, au-delà de 39 heures, à un contingent de 130 heures par an. Comme le dit Marc Blondel :

"M. Jospin se contente de dire qu’en l’an 2000, la durée légale sera de 35 heures. Il ne peut pas dire qu’elles seront payées au prix de 39 heures, car il interférerait dans la définition des salaires et il n’a aucune compétence légale en la matière. Si, en l’an 2000, je travaille encore 39 heures dans mon usine, on me devra 4 heures supplémentaires, payées cinq, ce qui représente 2.86 % d’augmentation. Est-ce que ce chiffre est monstrueux sur deux ans ? Mais quatre heures sur quarante-cinq semaines, cela fait 188 heures par an, ce qui est bien au-delà du contingent admis"

Et il faudrait un contingent annuel de 318 heures pour conserver le volume d’heures supplémentaires autorisées jusqu’à présent. Ce qui est donc sûr, c’est que les heures supplémentaires payées au-delà des 39 heures disparaîtront. Or beaucoup de gens se sont endettées en fonction de cet apport précieux des heures supplémentaires.

Les salariés français travaillent en moyenne 1530 heures par an. A titre de comparaison : les Italiens 1682, les Britanniques 1735, les Américains 1950 et les Japonais 1919.

Le coût total pour le budget de l’Etat des subventions aux entreprises, si l’objectif du PS de créer 600.000 emplois était tenu, est de 74 milliards de francs. Pour chaque contribuable, chaque emploi créé représentera un coût de 160.000 F la première année. Au terme des 5 années d’aide de l’Etat, le coût sera de 620.000 F.

Les pays les moins touchés par le chômage sont ceux qui travaillent le plus. Aux Etats-Unis et au Japon, on travaille nettement plus, et pourtant le chômage y est inférieur au nôtre. Chez nos voisins allemands, on qualifie d’"erreur du siècle" leur marche vers les 35 heures. Les Allemands réagissent en se proposant de travailler plus et de revenir aux 40 heures.

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