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Le futur est libéral (malgré les ravages de la crise)

dimanche 22 février 2009

Pourtant il y a des raisons d’espérer. La campagne présidentielle de Ron Paul a donné une visibilité significative à notre philosophie politique. Malgré des controverses sur certaines de ses idées ou positions, beaucoup de gens savent désormais ce que signifie être libéral. Ce n’est peut-être pas une grande victoire, mais il faut être conscient que c’est seulement le début. Par ailleurs, en plus de cette nouvelle visibilité, les arguments brandis à l’encontre du libéralisme sont plus bancals et fallacieux que jamais, ce qui finalement nous fait plus de bien que de mal. Enfin l’émergence d’électeurs indépendants tendant au libéralisme nous laisse entrevoir des jours meilleurs. Cela n’arrivera pas du jour au lendemain, mais dans ce marché des idées florissant à l’époque d’Internet, la vérité finira par émerger.

Que prouve la crise ?

Preuve que les arguments libéraux se font entendre, jetez un coup d’œil au récent article paru dans Slate Magazine signé par Jason Weisberg, président et rédacteur en chef du groupe Slate, un article également paru dans Newsweek, intitulé "La fin du libéralisme : la débacle financière prouve que cette idéologie n’a aucun sens". Surtout n’ayez pas peur du titre, rassurons le lecteur sur le fait que Weisberg, incapable d’aligner le moindre argument contre le libéralisme, se contente d’insultes et d’oublis bien opportuns. Ce qui est à retenir c’est surtout qu’il a ressenti le besoin de s’attaquer à nous en priorité.

Voici les deux premiers paragraphes de son article :

"Une occasion de franche rigolade au milieu de ce carnage financier a été de regarder les libéraux se débattre pour expliquer que la crise financière globale est le résultat d’un excès d’interventionnisme et non d’un manque. Un de leur arguments favoris met dans rôle du méchant le Community Reinvestment Act, qui empêche les banques de mettre sur la liste rouge des interdits de crédit les quartiers habités par des minorités. Une autre théorie accuse Fannie Mae et Freddie Mac d’avoir causé ce désordre en subventionnant et en sécurisant les assurances-vies grâce à la caution implicite du gouvernement. Une troisième thèse serait que les précédents sauvetages ont incités les investisseurs à se conduire de façon inconsidérée avec l’idée que le contribuable serait toujours là pour combler les pertes.

Il y a des contre-arguments à ces affirmations et on pourrait les étayer. Mais pour résumer les libéraux sont totalement incapables de fournir une vraie explication des causes de la crise. Ce débat ressemble assez aux discussions de dortoirs en 1989 sur le possible échec du communisme après l’effondrement du bloc soviétique. Les orthodoxes du marxisme refusaient que quoi que ce soit arrivant dans le monde réel puisse invalider leur doctrine. Les utopistes de droite, les libéraux, restent persuadés que leur système n’a pas encore été essayé et qu’il fonctionnerait à merveille si on pouvait simplement faire table rase de l’histoire de l’humanité. Comme tous les idéologues ils trouvent un moyen d’interpréter des preuves flagrantes de leur erreur comme quelque chose qui leur donnerait raison depuis le début."

Comme tous les vrais pragmatiques, Weisberg, remarquant que certains se raccrochent trop à une idéologie, brandit en réponse sa propre idéologie. Mais tout le monde a une idéologie, une vision du monde ; ce qui compte c’est à quel point elle est capable de décrire et d’expliquer le monde réel. En réalité les vrais pragmatiques sont surtout allergiques à toute intégration de leurs idées contradictoires et de leur pensée dépourvue de colonne vertébrale dans un ensemble cohérent.

Les insultes font office d’arguments, et le ton de Weiberg ne convaincra justement personne qui ne serait déjà acquis à sa cause. Il n’offre d’ailleurs aucun argument, où que ce soit dans son article. En quoi sommes-nous "totalement incapables de fournir une vraie explication des causes de la crise" ? Il ne le dit pas. Au lieu de ça il nous traite d’"utopistes de droite" et d’"idéologues", et plus loin de "fondamentalistes du marché". Comme je l’ai dit précédemment, les libéraux ne disent pas que le marché est parfait, ils le trouvent simplement bien supérieur à la planification et au contrôle étatique. Contrairement au marxisme, nos idées, en tenant compte de leur véritable degré d’application, fonctionnent à merveille. Et bien loin de se "débattre" pour expliquer la crise, beaucoup de libéraux ont prédit depuis un moment la crise actuelle à cause des interventions étatiques, comme une rapide recherche dans les archives du Québécois Libre vous le montrera.

On peut toutefois donner raison à Weisberg lorsqu’il tacle Alan Greenspan, un soi-disant libéral qui a récemment "admis" s’être trompé en pensant que les marchés financiers pouvaient s’auto-réguler. Comme Martin Masse l’a écrit ailleurs dans ce numéro du Québécois Libre, Greenspan a depuis longtemps renoncé au moindre droit de se revendiquer du libéralisme. De plus c’est la politique inflationniste de Greenspan qui est responsable en premier lieu de la crise, une explication curieusement absente de l’article de Weisberg.

Après nous féliciter ironiquement pour notre cohérence dans l’opposition au plan de sauvetage du gouvernement - une approche dont il remarque sur un ton sarcastique qu’elle "donnera une merveilleuse leçon de responsabilité personnelle en créant des milliers d’emplois dans les soupes populaires et les friperies" - Weisberg reprend ses insultes, ce qui, j’imagine, lui donne au moins une certaine cohérence.

"Ce qu’il y a finalement de pire avec les libéraux, c’est qu’ils intellectuellement immatures, figés dans une vision du monde que beaucoup d’entre eux ont adopté à force de lire Ayn Rand au lycée. Comme les autres idéologues ils constatent la faillite du monde mais essaient de plier la réalité dans leur modèle en se demandant où le monde s’est trompé. Leur vison héroïque du capitalisme leur rend très difficile d’accepter que les marchés peuvent être irrationnels, mal juger le risque, et mal allouer les ressources, ou qu’un système financier sans un puissant contrôle étatique et la possibilité d’interventions pragmatiques est une catastrophe assurée. Ils sont en faillite, et cette fois il n’y aura pas de sauvetage."

Quelles idées sont en faillites exactement, quand tout ce dont est capable Weisberg est un ramassis d’idées informes et sans aucun fondement ? Pour être plus précis, la position libérale ne dit PAS que les marchés ne sont jamais irrationnels ; c’est lorsque des acteurs d’un marché libre se comportent de façon irrationnelle et négligent les risques, qu’ils supportent les conséquences de leur bêtises. Si ils persistent dans leur bêtise ils font faillite, laissant la place à ceux qui ont su être plus sages. Le principal effet des interventions gouvernementales est d’empêcher ces corrections pourtant nécessaires, et donc d’encourager les mauvais comportements là où le marché les décourage. Si Weisberg trouve une faille dans ce raisonnement ou encore des preuves qui l’affaibliraient, surtout qu’il ne se gêne pas pour le dire. En contredisant une telle démonstration, il ne fait qu’aider notre cause en l’attaquant aussi faiblement - comme en témoignent les commentaires globalement négatifs des lecteurs accompagnant son article.

Le courant dominant libéral répond

Les attaques de Weisberg nous permettent également de répondre à son article en réitérant les différents points principaux de notre sujet, comme je l’ai écrit précédemment et comme D.W.Mackenzie l’a fait en plus amples détails sur le site web du Ludwig Von Mises Institute. (Cf : "Has Libertarianism Ended ?"). Une réponse de Richard A. Epstein, publiée dans le magazine Forbes et s’intitulant "Strident and Wrong" est d’autant plus édifiante pour la diffusion de nos idées.

Epstein est un professeur renommé de l’Université de Droit de Chicago et auteur de nombreux ouvrages dont le fameux Simple Rules for a Complex World édité en 1995 et, plus récemment, Supreme Neglect : How to Revive the Constitutional Protection for Private Property. Bien que se considérant comme libéral classique plutôt que libertarien, Epstein a pourtant fraichement ouvert une rubrique « Le Libertarien » sur le site internet Forbes.com.

Poli mais néanmoins cinglant, il réplique à Weisberg : " Il n’est pas raisonnable de mettre l’essentiel de la débâcle actuelle sur le compte de l’incapacité du gouvernement à réguler le marche des produits dérivés. Il faut donc creuser plus profondément les questions concernant les évènements précédents qui ont amené le marché financier à s’effondrer. Weisberg ne nous fournit en ce sens aucun argument." Résumant la "décision du gouvernement de substituer les emprunts logements à partir de taux d’intérêts artificiellement bas" et les "garanties Fannie et Freddie", Epstein souligne : "Ces décisions stupides ont amené les acteurs du marché à réagir selon ce que les libéraux craignaient en profitant de façon privé des bêtises publiques."

Epstein reste cependant prudent en estimant que tout en étant un libéral partisan d’un pouvoir limité de l’État, il n’est pas opposé à toute règlementation gouvernementale. Selon ses écrits, « Les minarchistes ont des arguments contre ces règlementations qui peuvent être facilement réfutés en observant les évolutions positives sur le long terme. Nous connaissons non seulement les vertus d’un marché libre mais également les challenges que posent l’information imparfaite, les biens publics, les dilemmes du prisonniers et market cascades. » A noter toutefois, les minarchistes « sont également catégoriques quant à une mauvaise intervention qui découlerait le marché financier."

La montée de l’électeur indépendant

La réponse démesurée du gouvernement américain à la crise actuelle - un plan au coût délirant de 700 milliards de dollars, parmi d’autres plans plus petits, mais tout de même énormes - est certainement un signe que le futur libéral n’est pas encore pour demain. Mais la réaction des américains à ce plan était loin d’être unanimement favorable. Lorsqu’il fut présenté comme un "investissement" afin de "sécuriser" les marchés, un sondage a montré que seulement 57% des Américains soutenaient le plan (30% y étant opposés). Alors qu’un autre sondage utilisant cette fois les termes "plan de sauvetage" et "argent du contribuable" trouvait 55% des Américains opposés à ce plan de relance.

En plus de l’opposition assez nette à cette dépense massive et à cette prise de pouvoir du gouvernement, il y a d’autres signes qui suggèrent que l’Amérique avance en direction de la liberté. John P.Avlon, membre éminent du Manhattan Institute et auteur de Nation Indépendante : Comment les centristes peuvent changer la politique américaine, a récemment écrit sur le site internet du Wall Street Journal que les électeurs indépendants "sont désormais le plus important segment de l’électorat et celui qui augmente le plus rapidement." En gros 40% de l’électorat américain se décrit comme indépendant.

Mais que pensent ces électeurs indépendants ? Y a-t-il une idéologie cohérente pour les réunir, ou sont ils simplement une foule hétéroclite ? Selon Avlon il y a des tendances cohérentes : "Les indépendants ont tendance à être fiscalement conservateurs, socialement progressistes, et exigeants en matière de sécurité nationale". Fiscalement conservateurs, socialement progressistes - cela ressemble fort aux "bobos" (bourgeois bohèmes) décrits par Brink Lindsey dans The Age of Abundance. Quant à leur exigence en matière de sécurité nationale, Lindsey a écrit que les bobos "faussent compagnie à tous les grands rêves idéologiques en matière de sécurité nationale (avec du pacifisme d’un côté, de l’aventurisme néo-conservateur de l’autre), insistant plutôt sur la force positive que peut représenter le pouvoir américain dans le monde, une force à utiliser avec précaution."

Dans un article récent du Weekly Standard intitulé "On a tout raté : un regard en arrière et des regrets sur cette opportunité conservatrice gâchée", P.J. O’Rourke se lamente sur l’incapacité des conservateurs à promouvoir la liberté. Il finit sur une défense amusante et éloquente du marché libre :

"Ce qui détruira notre pays ce n’est pas la crise financière, mais le fait que les gauchistes pensent que le marché libre est une sorte de secte ou de culte dans lequel les conservateurs ont demandé aux Américains de croire aveuglément. Le marché libre ce n’est pas ça. Le marché est juste un instrument de mesure, un système qui nous dit ce que les gens sont prêts à payer pour une chose donnée à un moment donné. Le marché libre c’est la balance de votre salle de bain. Vous pouvez toujours détester ce que vous voyez en montant dessus. "Mon Dieu, 120 kilos !". Mais vous ne pouvez pas inventer une loi qui vous en fera peser 80. Les gens de gauche pensent que vous pouvez."

Les conservateurs ont clairement massacré l’image du marché libre. Ils l’ont ruinée en la défendant du bout des lèvres, et ils l’ont massacrée en la mariant de force à une idéologie autoritaire, moralisante et une politique étrangère agressive et imprudente. Mais des cendres du conservatisme renaîtra un meilleur mouvement libéral. Les rangs sans cesse grossissants d’électeurs indépendants ne vous diront pas qui vous avez le droit d’épouser ou ce que vous avez le droit de faire de votre propre corps, ils ne veulent pas exporter la démocratie à travers le monde à coups de fusil, et ils ne pensent pas que les lois de l’économie se décrètent hors de toute réalité.

Comme je l’ai écrit en introduction, ceci n’est que le début. Lindsey écrit bien dans son livre que la synthèse bobo actuelle reste "un compromis tacite et refoulé plutôt qu’un consensus largement adopté et reconnu." En d’autres termes il reste encore beaucoup de travail à faire. Nous devons continuer à écrire, discuter, argumenter, harceler nos amis et connaissances pour leur faire reconsidérer tel ou tel argument, relire tel ou tel article. Oui, les idées libérales en prennent un coup en temps de crise, mais les choses sont différentes aujourd’hui de ce qu’elles étaient encore hier. Aujourd’hui il y a internet, qui est à lui seul un libre marché des idées et une preuve fantastique de comment fonctionne le marché lorsqu’on le laisse libre. Et au risque de sembler triomphaliste, Internet change tout. Avec une visibilité accrue, des critiques inopérantes, et de plus en plus d’électeurs qui brisent le clivage droite-gauche, la liberté fait son chemin. Non, cela n’arrivera pas du jour au lendemain, mais à quoi ressemblera le monde dans cinq ans ? Dans dix ou vingt ans ? Malgré la crise financière, je parie que le futur sera libéral.


- Article initialement sur le [Qu

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